Yeshiva en Seine-et-Marne: « une secte à tous points de vue », dénonce un ancien élève
Avi Ran, resté 12 ans à Beth Yosef, parle d'un "lavage de cerveau", de "châtiments" et "des coups physiques"
Avi Ran, né dans la ville ultra-orthodoxe de Bnei Brak en Israël, avait 12 ans quand sa famille l’a envoyé étudier en France dans l’école talmudique Beth Yosef de Bussières, un village de 500 âmes à 60 kilomètres à l’est de Paris, en Seine-et-Marne, connue pour « redresser » les jeunes « qui sortent un peu du chemin » de la Torah.
Arrivé en 2002 dans l’école francilienne, il devait y rester quelques mois, il y restera 12 ans, victime dit-il à l’AFP d’un « lavage de cerveau » de la part d’une institution, qui même au regard des pratiques très strictes et parfois d’un autre temps de ce milieu religieux, étaient « extrêmes ».
Une « secte à tous points de vue », assure aujourd’hui le trentenaire.
Dans un communiqué la procureure de Meaux, Laureline Peyrefitte, a décrit un établissement où se pratiquait « enfermement, confiscation des documents d’identité, conditions de vie dégradées, actes de maltraitance, absence d’accès à l’éducation et aux soins, et sans possibilité de revenir dans leurs familles ».
Pour le jeune adolescent ultra-orthodoxe « au début c’était bien, on avait l’impression d’y être pris en main, même si les méthodes paraissaient très dures », dit-il.
« L’endroit est complètement délabré, les chambres sentent le pourri, il n’y a pas d’eau chaude », dit-il à propos de cette grande bâtisse située dans les bois, à l’écart du village de Bussières.
« Leur base de travail, c’est de nous faire tenir un journal, dans lequel on doit tout le temps écrire au rabbin ce que l’on ressent, nos pensées et surtout nos mauvaises pensées ».
« Et ensuite c’est les châtiments, soient ils jettent une opprobre sur l’un ou l’autre publiquement en disant qu’il ‘sort du chemin’ et les autres ne peuvent plus lui parler, soit il y a des coups, des coups physiques », se souvient le jeune Israélien.
« Dans mon cas, je n’en n’ai jamais reçu, mais on m’a demandé d’en donner à mon frère, en me disant ‘venant de toi ça sera encore plus efficace pour qu’il comprenne’. C’était traumatisant ».
« Et puis rapidement on comprend qu’on est en prison, qu’on a plus de passeports, qu’on ne peut pas sortir du lieu, qu’on a des visites très réglementées de nos proches et très rares. Il y a très peu de sorties au village et il faut s’abstenir de tout contact ».
« On pouvait passer des mois, même des années sans passer la porte de l’école, sauf pour rentrer en Israël exceptionnellement », pour un mariage ou une occasion familiale.
« J’avais fini par écrire à ma mère que je n’étais plus son fils, mais le fils du rabbin A et j’y suis resté 12 ans », se désole-t-il.
« Il y a eu énormément de tentatives de fugues et certains ont essayé d’alerter les autorités. Mais il faut comprendre qu’on est complètement séparés du monde. Après 12 ans en France je ne savais pas parler un mot de français à part ‘merci' », dit-il alors que l’intégralité de l’enseignement se fait, comme le veut la tradition en yiddish et en hébreu.
Lundi matin, 16 des responsables de l’école ont été interpellés et placés en garde à vue.
« La nouvelle de ces arrestations m’a énormément soulagé, car on se demandait quand est-ce que ça allait s’arrêter. Il y a une équipe de rabbins et de familles qui séquestre génération après génération des centaines de gamins dans cet endroit, tout le monde le savait, personne ne faisait rien ».
Au sein de l’enceinte délimitée par des murs, se trouvent plusieurs bâtisses en pierre de 3 à 4 étages, certaines dans un état de délabrement avancé. L’école talmudique s’est installée il y a plusieurs décennies dans le vaste domaine de Séricourt, un ancien sanatorium, ainsi que plusieurs familles juives orthodoxes.
Plusieurs habitants, entrant ou sortant du domaine en voiture, ont refusé de répondre aux questions de l’AFP.
Dans le village, la présence de cette communauté, en retrait du reste des habitations, était connue mais ne posait aucun problème.
« Avant, ils venaient souvent pique-niquer près de la mairie, ils étaient normaux, les enfants aussi. Ils essayaient de communiquer avec nous mais les enfants ne parlaient pas français », témoigne Jordane, installée depuis 4 ans à Bussières. Lors de ses promenades avec ses chiens à la lisière du domaine, elle voyait parfois les jeunes garçons, en bonne forme selon elle, couper les haies.
« Ce sont des gens très discrets », décrit-elle. « On n’avait aucun souci avec eux, ils sont très tranquilles ».
« La direction de l’association conteste toute forme de violence au sein de son établissement, qui n’est ni une secte ni un centre de redressement mais un lieu d’enseignement religieux pour adolescents en difficulté », ont réagi dans un communiqué transmis à l’AFP Mes Philippe Ohayon et Dan Mimran, conseils du directeur de l’établissement.
« On ne peut pas accepter la mise en danger de la vie des enfants, les chefs d’accusation sont terribles, on verra comment l’enquête avance, les conditions dans lesquelles ils vivaient sont inadmissibles. Point », a déclaré à l’AFP le grand rabbin de France Haïm Korsia, qui dit être en contact avec eux.
Pas de téléphone portable, pas d’internet, étude du soir au matin et peu de contacts avec la société : la yeshiva appartient à l’une des mouvances les plus rigoristes, dite « lituanienne », très présente en Israël et aux Etats-Unis, mais peu en France.
Selon le site internet de l’école, l’institution Ohr Yossef, dont dépend la yeshiva, a été fondée en 1948 par le rabbin orthodoxe Gershon Liebman et « regroupe plus d’une centaine d’étudiants, venant du monde entier ».