Pourquoi les Juifs orthodoxes se ruent vers cette petite ville anglaise terne ?
De bonnes écoles, des maisons à des prix abordables font de Gateshead l'une des communautés juives qui croît le plus rapidement dans le monde
GATESHEAD, Royaume-Uni (JTA) — C’est l’heure du déjeuner et alors qu’ils attendent leurs sandwiches commandés chez un traiteur casher, cinq jeunes orthodoxes haredim discutent avec vivacité en yiddish à propos de textes hébreux.
Une telle scène peut paraître banale à Jérusalem ou à New York, ou même à Anvers ou Londres. Mais de la part d’une ville comme Gateshead, petite ville minière terne du nord de l’Angleterre, c’est plus surprenant – surtout pour une région qui a vu ses importantes communautés juives décliner de manière spectaculaire au cours des dernières décennies.
Et pourtant, en raison d’une série unique de circonstances, Gateshead – qui se situe en face de la ville de Newcastle dont elle est séparée par le fleuve Tyne – héberge dorénavant la communauté juive qui croît le plus rapidement au Royaume-Uni.
Une congrégation très unie de 8 000 habitants haredim s’est installée à Gateshead et sa taille n’est pas son seul aspect inhabituel : la communauté juive, là-bas, présente également dans son esprit un mariage étonnant combinant l’esprit de clocher et la suspicion face aux influences culturelles étrangères.
Mais pourquoi la communauté juive de cette municipalité a-t-elle été multipliée par deux depuis 2008 ?
Les opinions sont variées et il y a de nombreux facteurs. Les locaux citent les prix relativement bas de l’immobilier, le leadership du grand rabbin local ou les qualités plus anciennes de Gateshead – notamment son engagement à éduquer les femmes religieuses ainsi que sa yeshiva renommée pour les garçons qui est également l’une des plus importantes d’Europe.
Quelle que soit la raison, les habitants et autres observateurs conviennent que la communauté juive de Gateshead a connu un essor spectaculaire dans un paysage improbable.

Pour Jonathan Arkush, président du Board of Deputies des Juifs britanniques, Gateshead est devenu « l’équivalent haredi d’Oxford: une ville universitaire unique pour les gens très pieux et une citadelle de l’intellectualisme orthodoxe ».
L’institution d’éducation la plus prestigieuse de la ville est assurément la yeshiva de Gateshead, un séminaire fondé il y a 88 ans qui compte dorénavant 300 élèves âgés de 15 à 23 ans. Les adolescents travaillent 12 heures par jour et vivent dans des chambres de trois ou quatre lits. La réputation de la yeshiva de Gateshead a ouvert la porte à la création d’au moins cinq autres yeshivot, largement considérées comme excellentes. Ce qui a, de surcroît, créé le noyau d’une communauté d’enseignants qui habitent la ville en permanence. Gateshead est ainsi devenu un pôle majeur d’activité intellectuelle dans le monde haredi et compte dorénavant sept librairies juives (la plus importante d’entre elles, Lehmanns, est une institution communautaire réputée avec environ 40 000 volumes dans ses stocks).
Plusieurs élèves ont expliqué à JTA qu’obtenir le diplôme de la yeshiva de Gateshead n’améliorera non seulement leurs connaissances du Talmud mais aussi leurs perspectives de trouver un « shidduch » de qualité – ou un bon mariage « arrangé ».
« Faire nos études ici aura une conséquence incontestable sur la femme que nous allons épouser », s’exclame Yishai Rose, un jeune de 20 ans originaire de Londres. « Une fille qui veut rencontrer quelqu’un qui a des connaissances bien développées, un très, très bon élève… Eh bien, si vous avez fait vos études ici et que vous avez réussi, vous pouvez vous attendre à rencontrer une fille très bien ».
Cela n’a pas toujours été le cas, selon Joseph Schleider, ancien leader de la communauté juive de Gateshead et historien spécialisé dans l’étude de la communauté juive locale depuis son établissement au 19ème siècle, lorsque les Juifs avaient fui les persécutions dans la Russie du tsar.
En Lituanie, personne n’aurait voulu épouser un rabbin. Cela signifiait la « pauvreté » pour les femmes qui n’avaient pas grandi au sein du système éducatif haredi, dit Schleider.
Mais à Gateshead, les choses ont commencé à changer dans les années 1940, lorsqu’un séminaire pour les femmes et les filles a ouvert. Il a offert « un noyau de 400 femmes qui voulaient uniquement rencontrer un homme ayant un statut rabbinique », poursuit-il.
Cela a été « un développement très puissant qui a changé le visage de la communauté juive de Gateshead plus que toute autre chose », continue-t-il, et cela a posé les fondations nécessaires à la « renaissance » actuelle de la communauté, comme l’appelle Schleider. Un autre séminaire pour les femmes a ouvert ses portes en 1998.
Et pourtant, Gateshead comptait une communauté juive bien moins importante il y a moins d’une décennie, lorsqu’il n’y avait qu’une petite boulangerie casher et peu d’activités spirituelles hors des murs de sa principale synagogue, qui se situe derrière la yeshiva. La ville ne possédait pas les équipements nécessaires pour attirer les jeunes couples ou pour retenir les diplômés de la yeshiva désireux de fonder une famille.
Ces derniers ont commencé à s’installer à Gateshead peu après l’arrivée en 2008 de son grand rabbin actuel, Shraga Feivel Zimmerman, originaire du New Jersey. Il est connu ici simplement sous le nom de « le Rov », la prononciation en yiddish du mot rabbin.
« Avant le Rov, les choses étaient restées les mêmes pendant de nombreuses, nombreuses années », dit Shimon Guttentag, l’un des principaux administrateurs de la yeshiva, qui ajoute que le changement a amélioré « énormément » la qualité de vie des Juifs.
Schleider explique que Zimmerman — qui a décliné la demande d’entretien de JTA, évoquant un emploi du temps chargé – a permis d’ouvrir au monde la communauté alors que celle-ci, selon Schleider, éprouvait davantage de réserves que maintenant à l’idée d’interagir avec l’extérieur.
« Pendant de très nombreuses années, nous avons été essentiellement isolés au sein de la communauté juive de Gateshead », a dit Schleider dans une interview accordée le mois dernier, se référant aux attitudes fermées aux influences extérieures. Au cours de l’entretien, il a également noté que le port du jean chez les hommes était désapprouvé par certains des membres de sa communauté profondément conservatrice.
Schleider a déclaré que cet enfermement a quelque peu changé sous la direction de Zimmerman dans la mesure où ce dernier a décidé « qu’il ne voulait pas s’enterrer dans la synagogue, mais qu’il voulait être le rabbin de l’ensemble de la collectivité ».
L’une des réformes de Zimmerman a été d’autoriser l’ouverture du premier restaurant casher de Gateshead, Blooms, un établissement de vente à emporter. Les rabbins précédents s’étaient opposés à l’ouverture d’un tel commerce pour éviter des interactions non surveillées entre les sexes. Mais Zimmerman l’a approuvée sous réserve que les hommes et les femmes soient servis à des horaires différents.
De manière plus spectaculaire, Zimmerman a pris l’initiative d’un investissement massif dans l’éducation en direction des plus jeunes avec l’aide de donateurs extérieurs à la communauté de Gateshead, qui est relativement pauvre, transformant la municipalité en une option attirante pour les grandes familles.
Il a également créé des services de conseils conjugaux et autres programmes sociaux prévus spécialement pour le public haredi. Et sous son leadership, les représentants communautaires ont commencé à se lier plus étroitement aux responsables municipaux, estiment les locaux.
Et pourtant, indépendamment de cette relative ouverture, la communauté juive de Gateshead et son leader restent ultra-conservateurs, à la droite de la majorité des Juifs britanniques.
La communauté évite la plupart des médias et les influences culturelles qui sont considérées comme étrangères et porteuses de corruption morale.
Au mois de juin, Zimmerman avait appelé au départ ou à la démission d’un autre rabbin orthodoxe de Londres, Joseph Dweck, ce dernier ayant affirmé que l’acceptation croissante de l’homosexualité dans la société était un développement « fantastique » pour l’humanité.
Pour de nombreux haredim, l’appel de Gateshead est essentiellement économique : alors que les prix du logement deviennent prohibitifs à Londres, de nombreux juifs religieux recherchent des solutions au nord. Ces dernières années, certains ont déménagé à Manchester, la seule autre ville du Royaume-Uni à avoir vu augmenter sa communauté juive.
Mais dorénavant, « même les prix à Manchester s’envolent », ce qui a amené de nombreux haredim à penser à Gateshead, commente Guttentag, père de 11 enfants dont la famille a été parmi les premières à s’installer dans la municipalité.

Gateshead est également l’un des seuls endroits au Royaume-Uni doté d’une importante communauté juive où l’antisémitisme n’est pas une inquiétude prioritaire.
A la yeshiva de Gateshead, il n’y a ni gardes ni clôture d’enceinte.
« Nous sommes conscients de la situation mais heureusement, nous n’avons jamais connu d’incident grave et ce n’est pas un problème majeur qui nous touche », estime le rabbin Gershon Miller, responsable d’éducation à la yeshiva.
Schleider explique ce phénomène en partie par la rareté relative des « populations ethniques » – en référence aux musulmans. Selon un sondage récent, les musulmans au Royaume-Uni sont de manière significative plus antisémites que la population générale. Les extrémistes musulmans sont responsables d’environ la moitié des attaques antisémites dans le pays.
La combinaison de tous ces facteurs et d’autres – notamment la proximité avec l’aéroport international de Newcastle, une infrastructure importante pour les familles haredim ayant de nombreux proches en Israël, aux Etats-Unis et au-delà – a transformé Gateshead. La ville, qui accueillait une communauté juive ancienne et endormie, est devenue un aimant pour les familles haredim.
Mais le progrès a un prix, dit Schleider, qui regrette le côté plus intime qu’avait la communauté lorsqu’elle était plus petite.
Si le prédécesseur de Zimmerman, Bezalel Rakow, resté à la tête de la communauté pendant 40 ans jusqu’à sa mort en 2003, était « comme notre père », Zimmerman, lui, ressemble davantage à un « directeur exécutif ».
« La communauté a connu une croissance énorme », dit Schleider, « mais elle est également devenue importante, impersonnelle et elle n’a plus cette saveur qu’elle avait jadis pour des gens comme moi ».
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