30 ans après l’attentat de l’AMIA, les Juifs argentins entre douleur et soif de justice
Après qu'un tribunal a statué que l'Iran et le Hezbollah étaient à l'origine de l'explosion survenue dans le centre communautaire, en 1994, Milei a juré de relancer l'enquête sur l'attentat après des décennies d'impasse et d'inaction

BUENOS AIRES (JTA) — Noah et Shai Abruj n’ont jamais rencontré leur oncle, Cristian Adrian Degitar. Ils ont pourtant mis un point d’honneur à venir honorer sa mémoire, cette semaine, lors d’une soirée froide.
Degitar avait 21 ans – c’est l’âge de Noah aujourd’hui – quand il avait perdu la vie à Buenos Aires, le 18 juillet 1994. Un camion piégé avait détruit le centre communautaire juif de cette ville, faisant 85 morts, notamment des enfants, et brisant le cœur des Juifs d’Argentine, deux ans après l’explosion qui était survenue au sein de l’ambassade israélienne au cours d’une autre attaque terroriste qui avait déjà fait l’effet d’une onde de choc au sein de la communauté.
Les frères Abruj ont assisté à une cérémonie organisée mercredi, à la veille du 30e anniversaire de l’attentat – une cérémonie qui a été l’occasion de rendre hommage aux victimes, de préserver leur mémoire ainsi que la mémoire d’un événement qui a tristement contribué à définir l’histoire juive du pays et, dans une mesure importante, sa politique.
Différents gouvernements et différents tribunaux ont, dans le passé, mal géré ou politisé les enquêtes menées sur l’attaque et, comme les Juifs et d’autres l’ont déploré, aucune instance, aucun responsable n’a jamais réellement tenu la promesse faite de présenter les auteurs de l’attentat devant la justice – même après que la Cour a, au mois d’avril, clairement statué que l’Iran et le groupe terroriste du Hezbollah l’avaient perpétrée.
« Je n’ai pas eu la chance de connaître mon oncle physiquement… mais mes proches me racontent toujours des choses à son sujet, au sujet de ce qu’il aimait et de ce qu’il n’aimait pas, ils me parlent de ses passions et de ses hobbies. Ils me montrent beaucoup de photos et ils me racontent de nombreuses anecdotes », indique Shai, qui a 18 ans.
« Je ne sais pas si justice sera rendue dans ce dossier. Je l’espère. Mais… que justice soit rendue ou non, je pense qu’il est extrêmement important de continuer à organiser ce genre d’événement pour nous souvenir, pour enseigner ce qui s’est passé et pour ne pas laisser disparaître la mémoire de ceux qui ont perdu la vie pendant cette attaque. Les futures générations sauront ce qui s’est passé ici », explique-t-il.

La cérémonie de mercredi soir est entrée dans le cadre d’une série d’événements qui ont eu lieu, cette semaine, pour marquer ce triste anniversaire.
A la veille de l’anniversaire, Deborah Lipstadt, envoyée spéciale américaine à la lutte contre l’antisémitisme, a rejoint plus de 30 de ses homologues venus du monde entier à Buenos Aires pour lancer les nouvelles directives mondiales dans le combat contre la haine antijuive – un plan d’action en direction des gouvernements et des organisations issues de la société civile.
Le chef des relations étrangères au sénat des États-Unis, Ben Cardin, a pris la tête d’une délégation qui a assisté à la commémoration, à Buenos Aires, où le président Javier Milei a promis de remédier à des décennies d’inaction et d’obstructions dans le cadre des investigations lancées sur l’attaque.
Au début du mois, l’Argentine a inscrit le Hamas sur sa liste des organisations terroristes, ordonnant le gel de tous ses avoirs financiers. Milei – contrairement à ses prédécesseurs – a toujours entretenu des liens forts avec Israël.

La cérémonie officielle à commencé à 9 heures 53 du matin, heure locale – à l’heure exacte où le véhicule piégé avait explosé, il y a trente ans. Le président américain Joseph Biden avait envoyé une lettre et le secrétaire d’État Antony Blinken, dans un communiqué distinct, a fait savoir que « nous sommes déterminés à faire assumer leurs responsabilités aux auteurs de cette attaque vicieuse ».
Il y a eu aussi, vendredi, un sommet international consacré au terrorisme à Buenos Aires, organisé par le Congrès juif mondial et par le Congrès juif d’Amérique latine.
Au cœur de ce sommet, le rôle de chef d’orchestre de l’Iran dans l’attentat de 1994 – et le lien avec le soutien apporté par la république islamique au Hamas dans les semaines qui avaient précédé le pogrom du 7 octobre 2023, quand des milliers de terroristes avaient envahi le sud d’Israël depuis la bande de Gaza. Les hommes armés avaient massacré près de 1200 personnes, des civils en majorité, et ils avaient kidnappé 251 personnes qui avaient été prises en otage, ce qui avait entraîné la guerre qui oppose actuellement Israël au groupe terroriste.
Cardin, dont les grands-parents juifs étaient venus en 1908 aux États-Unis après avoir quitté leur Lituanie natale, a pris la parole lors de ce sommet.
« Comme ma famille, les Juifs d’Argentine ont dû venir à bout d’un antisémitisme systémique », a dit Cardin. « Après les attentats à la bombe qui ont eu lieu ici, cette communauté a refusé de compromettre ses valeurs malgré des décennies de dissimulation tardive ; jamais cette communauté n’a abandonné la justice ».

Les commémorations de cette année arrivent dans le sillage de changements significatifs qui ont modifié les choses, avec notamment l’arrivée au pouvoir de Milei. Le pogrom du 7 octobre a aussi établi un nouveau triste record, devenant l’attaque antisémite la plus meurtrière depuis la Shoah – un titre qui revenait jusque-là à l’attentat de l’AMIA.
Amos Linetzky, le président de l’AMIA, a établi des parallèles entre les deux attaques dans des propos qui ont été prononcés lors de la cérémonie officielle.
« Nous parlons du 7 octobre parce que l’origine est la même : l’Iran », a-t-il déclaré. « L’Iran soutient toujours le terrorisme ; le facteur commun entre l’AMIA et le 7 octobre est la haine, la haine contre les Juifs et également l’hypocrisie du monde ».
L’attaque a eu des répercussions dans toute la Diaspora également. Dans un post publié sur un blog, la rabbin Claudia Kreiman, qui officie au Temple Beth Zion de Brookline, dans le Massachusetts, a rendu hommage à sa mère, Julia Susana Wolynski Kreiman, qui avait été l’une des 85 victimes.
« Sa mort a marqué un tournant pour moi. J’ai quitté ce pays, je me suis d’abord installée en Israël puis aux États-Unis. Je suis devenue rabbin et éducatrice, une activiste à la poursuite de la paix, du dialogue et de la justice sociale », a-t-elle écrit.
« J’allais déjà dans cette direction mais le meurtre de ma mère a modelé encore davantage mes valeurs et ma détermination à vivre une existence qui ait du sens, où il y ait de l’intention – une existence consacrée à la croyance que les êtres humains peuvent faire mieux, que la violence et la haine ne sont pas des moyens dans ce monde », a-t-elle ajouté.
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