86 ans après la Nuit de Cristal, une communauté allemande récupère la clé d’une synagogue détruite
La relique, l'un des deux seuls objets ayant survécu, a été conservée par une jeune fille qui a échappé aux nazis grâce au Kindertransport ; elle est aujourd'hui conservée par une communauté en plein renouveau
JTA – La chantre Jennifer Bern-Vogel avait l’habitude d’entendre sa mère raconter cette histoire.
Le soir du 9 novembre 1938, sa mère, Marianne Katzenstein, alors âgée de 16 ans, se trouvait dans la synagogue familiale de la ville de Bielefeld, dans le nord-ouest de l’Allemagne, et jouait de l’orgue. Quand elle a terminé, elle a utilisé une clé pour fermer le bâtiment et est rentrée chez elle. Plus tard dans la nuit, la synagogue a été réduite en cendres par les nazis lors du pogrom de la Nuit de Cristal.
Seuls deux objets ont survécu à l’incendie : un rouleau de la Torah et la clé de Katzenstein.
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« Je me souviens qu’elle en parlait, que sa voix changeait et qu’elle était plus lente, plus douce et très nostalgique lorsqu’elle racontait toute l’histoire », a confié Bern-Vogel, 67 ans, lors d’une interview. « Chaque fois qu’elle racontait l’histoire et qu’elle brandissait la clé, les gens – et j’en ai fait moi-même l’expérience – avaient toujours le souffle coupé ».
Bern-Vogel, qui est chantre à la Congrégation Emanu El de Redlands, en Californie, depuis 2009, a déclaré que l’histoire de la clé était « légendaire » dans sa famille.
Samedi, 86 ans après la Nuit de Cristal, la clé est retournée chez elle.
Bern-Vogel a passé la semaine dernière en Allemagne, où elle a vécu pendant plus de dix ans lorsqu’elle était plus jeune. Elle a renoué avec ses amis, sa famille et la communauté juive de Bielefeld, où la synagogue a été rétablie peu après la Shoah. C’était la première fois qu’elle se rendait à Bielefeld avec son mari et sa fille. Son frère et sa nièce, ainsi qu’un cousin du Danemark, ont également fait le déplacement pour l’occasion.
Le vendredi soir, Bern-Vogel et le chantre de la synagogue de Bielefeld ont dirigé ensemble l’office du Shabbat. Bern-Vogel a chanté une chanson adaptée d’un poème écrit par son grand-père, sur une musique composée par un ami de longue date originaire d’Allemagne.
Après le rituel de la havdalah, à l’issue de Shabbat samedi soir, la ville a organisé une cérémonie qui a débuté sur le site de la synagogue détruite avant de se poursuivre à l’Hôtel de Ville, où la remise officielle de la clé a eu lieu. La clé a été ajoutée à la collection du musée historique de la ville et sera exposée dans le bâtiment actuel de la synagogue.
Selon Irith Michelsohn, présidente de la communauté juive de la ville et du mouvement juif progressiste allemand, la communauté juive de Bielefeld compte 450 membres, sur une population locale totale d’environ 340 000 personnes. La synagogue que la communauté utilise actuellement a été rénovée à partir d’une ancienne église protestante et a été inaugurée en 2008.
Avant la Shoah, Bielefeld comptait près de 1 000 Juifs, a indiqué Michelsohn. La communauté connaît un certain renouveau depuis que Michelsohn en a pris la direction le 1er janvier 2000, date à laquelle elle a indiqué qu’elle ne comptait plus que 35 membres.
Michelsohn a déclaré que le retour de la clé était extrêmement important pour la communauté.
« J’étais très excitée, parce que nous n’avons qu’un rouleau de la Torah, et maintenant la clé, c’est tout ce que nous avons de notre ancienne synagogue », a déclaré Michelsohn. « Et maintenant, la clé est de retour. C’est formidable, vous ne pouvez pas imaginer. »
Selon Michelsohn, la clé est particulièrement importante car elle permet de sensibiliser la communauté actuelle à son passé. Elle explique qu’à l’instar de nombreuses communautés juives allemandes, les Juifs de Bielefeld sont presque tous originaires de l’ex-Union soviétique.
« Il n’y a pas beaucoup de personnes originaires d’Allemagne », dit-elle.
« Certains se sont convertis au judaïsme, d’autres ont immigré d’Israël ou d’autres pays ou travaillent à Bielefeld dans une université, mais la plupart des membres des 120 communautés juives d’Allemagne sont originaires de l’ex-Union soviétique. »
La clé, a déclaré Michelsohn, représente une occasion de « leur enseigner quelque chose sur l’histoire, sur le passé, sur ce que nous avons perdu ».
Elle constitue également un rappel physique de l’ancien bâtiment de la synagogue, construit en 1905 à la demande de la famille Katzenstein. Le grand-père maternel de Bern-Vogel avait été à la tête de la communauté juive et avait aidé des centaines de familles à fuir l’Allemagne.
« Cela symbolise un lien avec l’ancien et très, très beau bâtiment que nous avions », a déclaré Michelsohn, ajoutant que la synagogue détruite était
« un bâtiment tellement merveilleux ».
Tout comme la clé qu’elle a conservée, l’histoire remarquable de la mère de Bern-Vogel ne s’est pas arrêtée en 1938. L’année suivante, elle s’est échappée en Angleterre avec sa jeune sœur grâce au Kindertransport. Des années plus tard, lors d’un dîner de Shabbat en Israël, elle a rencontré Julian Bernstein (un patronyme plus tard abrégé en Bern), le père de Bern-Vogel, qui a également survécu à la Shoah.
Julian était l’un des six enfants d’une famille lituanienne, mais seuls lui et un de ses frères ont survécu à la Shoah. Ce frère, Leon Bernstein, et la mère de Bern-Vogel travaillaient tous deux pour le Congrès juif mondial ; Leon a organisé le dîner de Shabbat au cours duquel Julian et Marianne se sont rencontrés.
Ils se sont fiancés au bout d’une semaine et ont fini par s’installer dans l’Iowa, où Julian et son frère ont été élevés.
Dans les dernières années de la vie de sa mère, Bern-Vogel a déclaré que des efforts avaient été déployés pour apporter la clé au Musée de l’Holocauste des États-Unis à Washington, DC. Mais un contact que sa mère avait au musée est décédé, et en 2017, elle est décédée à son tour, à l’âge de 94 ans.
« Il s’agissait d’un lien très profond », a déclaré Bern-Vogel, en faisant référence à la clé, dont elle possède toujours une copie. « Je ne pense pas avoir pensé, lorsque nous grandissions, que la clé serait ailleurs qu’avec nous. Elle nous appartenait en quelque sorte ».
Mais à mesure que sa mère vieillissait, Bern-Vogel a expliqué que sa famille voulait décider où la clé devait aller pour qu’on en prenne le plus grand soin et qu’elle ait le plus de signification possible. Après quelques voyages récents en Allemagne, la réponse a émergé.
« Au cours des deux dernières années, et surtout lorsque je me suis rendue sur place l’été dernier pour les rencontrer à la synagogue et au musée, il est apparu plus clairement que c’est là qu’elle aurait le plus de sens pour tout le monde et pour les générations futures », a-t-elle déclaré.
Bern-Vogel a déclaré que même si sa mère avait une relation tendue avec l’Allemagne en raison de la façon dont l’histoire de sa famille s’est terminée, Bielefeld sera toujours leur maison. Et elle sait que sa mère apprécierait de savoir que la clé y est retournée.
« Je pense qu’elle serait incroyablement émue par l’accueil qui sera réservé à la clé et par les personnes impliquées dans la ville », a déclaré Bern-Vogel. « Je pense qu’elle serait très honorée et heureuse, et je pense qu’elle serait reconnaissante. »
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