A Los Angeles, dans les flammes, les Juifs sauvent les rouleaux de Torah
Si sauver des vies humaines est une priorité absolue de la tradition juive, la protection des rouleaux de Torah n'est pas loin derrière - poussant les fidèles à braver les incendies avant d'évacuer

Lorsque l’incendie de Pacific Palisades, à Los Angeles, a commencé sa propagation rapide, le 7 janvier, tous les employés du centre Habad de Topanga Canyon ont immédiatement compris que les flammes, attisées par des vents violents, encouragées par une végétation aride, atteindraient probablement leur quartier vallonné et verdoyant.
« Nous avons tout de suite commencé à nous préparer… La première priorité était la sécurité des enfants » qui fréquentent l’école maternelle populaire du centre, raconte le rabbin Mendy Piekarski, l’un des directeurs de la ‘Habad House de Topanga.
Après avoir eu l’assurance que les élèves étaient bien renvoyés chez eux dans des conditions optimales de sécurité, la priorité suivante avait été la mise à l’abri des deux rouleaux de Torah – dont l’un avait été rapporté d’Europe par une famille de la communauté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
« Mon beau-père, le grand rabbin, a pris les deux Sifrei Torah ; il les a enveloppés dans un châle de prière et il les a mis dans une voiture. Nous avons pris des objets de valeur avec nous, nous avons contacté les familles pour qu’elles évacuent… Quelques heures plus tard, l’ensemble deu canyon de Topanga était soumis à un ordre d’évacuer par les autorités. C’est toute notre communauté qui a dû partir », se souvient Piekarski, lors d’un entretien accordé par visioconférence au Times of Israel.
Les rouleaux de Torah traditionnels sont des objets assez volumineux, dont la fabrication est coûteuse et chronophage. Ils contiennent les cinq livres de Moïse écrits en hébreu par un scribe qualifié sur un parchemin spécialement traité, qui a été fabriqué à partir de la peau d’un animal casher. La lecture ritualisée et chantante des rouleaux de la Torah, appelée cantillation, apprise par les garçons et par les filles lorsqu’ils atteignent l’âge adulte, s’intègre aux offices du shabbat et des fêtes – avec des versions tronquées dans les matinées du lundi et du jeudi.
Le centre Habad de Topanga est au service d’un quartier où il n’y a pratiquement plus de Juifs orthodoxes depuis plus de 20 ans. Le mouvement Habad Loubavitch, l’organisation juive de proximité à orientation hassidique, compte plus de 5 000 émissaires dans le monde, dont certains sont implantés dans des lieux très lointains.
En accordant la priorité absolue à la sécurité des enfants et à celle des membres de la communauté, les rabbins du centre Habad de Topanga ont respecté la loi juive – qui place la sauvegarde de la vie humaine au-dessus de presque tout le reste.

Protéger les rouleaux de Torah arrive toutefois peu après – et les communautés juives qui ont été évacuées à la suite des incendies de Los Angeles ont mis un point d’honneur à les mettre à l’abri, perpétuant une longue tradition qui a toujours été respectée dans les moments de malheur et de catastrophe.
Los Angeles en flammes
Dimanche, les multiples incendies de Los Angeles qui s’étaient déclarés la semaine dernière sous l’effet du vent avaient ravagé plus de 160 kilomètres carrés – une superficie supérieure à celle de San Francisco. À l’heure de la rédaction de ces lignes, les flammes sont à peine circonscrites et les prévisionnistes annoncent des conditions météorologiques dangereuses et le retour de vents violents cette semaine, ce qui risque encore d’aggraver la propagation des flammes.
Les autorités ont indiqué, dimanche, que des milliers de maisons et autres structures avaient été détruites, que 24 personnes avaient été tuées et que plus d’une dizaine d’autres étaient portées-disparues – un chiffre qui devrait encore augmenter. Environ 150 000 personnes sont toujours sous le coup d’un ordre d’évacuation dans le comté de Los Angeles.
Les incendies se sont principalement déclarés dans des zones vallonnées qui entourent Los Angeles. Les principaux quartiers juifs – le quartier Pico-Robertson à l’ouest de Los Angeles, Sherman Oaks dans la vallée et le vieux quartier de Fairfax, dans le centre-ville – ont été épargnés par le feu et par les ordres d’évacuation.
Néanmoins, de nombreuses synagogues et communautés ont été touchées. Le bâtiment de Kehillat Israel, une grande synagogue du mouvement reconstructionniste qui est située à Pacific Palisades, a survécu au désastre. Mais cette bonne nouvelle est une goutte d’eau dans un océan de drames personnels : la maison du rabbin de la communauté et celles de centaines de ses membres ont été détruites.

Les multiples rouleaux de Torah de la synagogue, qui ont été évacués en même temps que les résidents, sont apparus sur des photographies qui ont été publiées sur Instagram, posés sur des lits ou sur les canapés de maisons appartenant aux fidèles – « en sécurité et entre les meilleures mains qu’il puisse exister », dit le post diffusé sur le réseau social.
De l’autre côté de la ville, au Pasadena Jewish Temple and Center, les rouleaux de Torah ont été retirés avant que le bâtiment ne soit détruit par les flammes de l’incendie d’Eaton.
« Nous voulons vous assurer que la nuit dernière, nous avons pu sauver tous nos rouleaux de Torah du sanctuaire, de l’autel et des salles de cours. Ils sont en sécurité chez l’un de nos fidèles », a annoncé la synagogue dans un communiqué qui a été émis la semaine dernière.
Selon un article paru dans The Forward, « quatre membres du temple et du personnel se sont précipités dans la synagogue alors que les flammes se rapprochaient, les cendres pleuvant autour d’eux ». Le souffle court sous l’effet des fumées, les quatre personnes sont malgré tout parvenues à sauver les rouleaux de Torah de la congrégation, notamment la Torah de Nehdar, qui avait été écrite dans l’Iran des années 1930.

Le Sefer Torah de Nehdar avait survécu à la révolution islamique et elle avait disparu pendant la guerre qui avait opposé l’Iran à l’Irak – elle avait ensuite été mystérieusement envoyée à un membre de la famille à Los Angeles quelques années plus tard. La légende dit que Khomeini lui-même avait pu la faire parvenir à son destinataire, précise The Forward.
Ce n’est pas la première fois que des rouleaux de Torah doivent être sauvés des flammes dans le sud de la Californie, une région qui ne connaît que trop bien les incendies. En 2018, lorsqu’un feu s’était déclaré à Thousand Oaks – les incendies, au cours de cette saison, avaient détruit plus de 6 000 structures dans tout l’état – quatre rouleaux avaient été sauvés du Temple Adat Elohim, une synagogue réformée.
L’aspect spirituel
La loi juive est très claire concernant l’importance de protéger les rouleaux de Torah.
« Sauver un Sefer Torah est quelque chose d’important. On a le droit de transgresser le shabbat pour sauver un Sefer Torah mais on n’est pas censés risquer des vies humaines », dit le rabbin Tuvia Aronson, éducateur de renom et rabbin d’une communauté située à Pardes Hanna, en Israël.
Au fil des générations, le peuple juif a fait de grands efforts pour sauver des rouleaux de Torah, en particulier pendant les périodes troubles du Moyen-Âge et pendant la Shoah, fait-il remarquer. Même s’il ne reste que 85 lettres dans un rouleau de Torah endommagé (sur les 300 000 lettres que contient une Torah complète), les sages ont indiqué que le précieux parchemin pouvait être sauvé et que, même s’il devait être endommagé au point d’être irréparable, il pouvait alors être « enterré comme on le fait pour un être cher », ajoute-t-il.
Le Baal Shem Tov, un maître hassidique du 18e siècle, enseignait à ses disciples qu’un rouleau de Torah représentait « les canaux de la bénédiction divine qui s’écoulent dans le monde à travers les lettres – comme une échelle, comme un pont entre le ciel et la terre, entre spiritualité et monde matériel », ajoute Aronson.

Dans le Zohar, qui est le principal texte de la Kabbale – ou judaïsme mystique – le peuple juif et la Torah « sont unis, ils ne font qu’un. Nous sommes tous une lettre dans ce rouleau qui représente l’ensemble du peuple juif, sui représente l’ensemble de nos missions. Ce n’est pas quelque chose de simple… Ainsi, lorsqu’on tente de sauver un Sefer Torah, il ne s’agit pas seulement de sauver un livre de lois », explique-t-il.
Les incendies de Los Angeles sont « très certainement une grande tragédie », note Aronson dont l’épouse est originaire de Los Angeles. Ses parents ont été évacués du quartier de Brentwood Hills et dans cette région vallonnée, les flammes ne sont plus « qu’à quelques crêtes » de leur maison, raconte-t-il.
« La douleur humaine qui est actuellement visible à Los Angeles est immense », s’exclame-t-il.
« La plus grande des tragédies, ce sont les vies humaines qui ont été perdues et, pour le peuple d’Israël, c’est la perte de nos lieux de culte », commente Aronson.
Efforts de la communauté
À Topanga Canyon, un quartier chic de quelque 25 000 habitants où règne un esprit de village, qui est niché au-dessus de Malibu dans un paysage de canyons, d’arbres et d’arbustes, les flammes s’approchaient toujours dimanche du centre Habad, qui est située le long de l’Old Topanga Canyon Road, l’artère principale de circulation, explique le rabbin Piekarski.
Au cours des quarante-huit heures qui ont suivi le départ des différents feux, il n’y a pas eu de largage d’eau ou de largage de produits ignifuges et, à cause des routes de montagne – certaines ne figurent même pas sur Google Maps – les services de lutte contre les incendies, à bout de souffle, ont eu du mal à atteindre certains endroits.
« Une centaine de personnes sont restées sur place pour protéger leurs maisons. C’est tout ce qu’ils ont… Je connais quelqu’un qui, avec un tuyau d’arrosage, a pu sauver sa maison alors que les autres brûlaient autour de lui », raconte Piekarski.

Le centre Habad House de Topanga a été en mesure d’organiser des livraisons de nourriture et de différentes fournitures à destination de tous les habitants qui sont restés car « en tant que seule organisation juive à Topanga, nous avons pris la responsabilité de toute la ville », explique-t-il. De plus, les rabbins de Topanga – comme cela a été aussi le cas des rabbins d’une grande partie de la communauté de Los Angeles – lancé des collectes de fonds ; ils ont mis en place des banques alimentaires et d’autres services pour les personnes évacuées.
Le centre Habad de Topanga a même prêté l’un des deux rouleaux de Torah évacués. Les membres de la communauté ‘Habad de Malibu, une ville balnéaire huppée située en contrebas de Topanga qui a été fortement endommagée par les incendies, devaient organiser une cérémonie de bar mitzvah pendant le shabbat alors qu’ils étaient évacués dans la vallée – mais ils n’avaient pas de rouleau de Torah à leur disposition.
L’un des rouleaux sauvés à Topanga a été envoyé à Malibu vendredi pour permettre au jeune adolescent de 13 ans de pouvoir, malgré le drame qui continuait à se jouer, vivre ce moment unique de son existence, ajoute Piekarski.
La JTA a contribué à cet article.
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