Israël en guerre - Jour 533

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A New York, une expo s’intéresse aux chrétiens qui se sont dépeints dans l’histoire de Pourim

Le Musée juif étend le sceptre de la conservation artistique à des maîtres comme Rembrandt, qui voyaient dans l'héroïsme d'Esther une illustration de leur propre lutte contre l'Espagne catholique

De Rembrandt van Rijn, "Une héroïne juive de la Bible hébraïque", 1632-33. Huile sur toile, 109,2 x 94,4 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, acheté en 1953, numéro d'acquisition 6089. (Crédit : NGC)
De Rembrandt van Rijn, "Une héroïne juive de la Bible hébraïque", 1632-33. Huile sur toile, 109,2 x 94,4 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, acheté en 1953, numéro d'acquisition 6089. (Crédit : NGC)

NEW YORK — Une dizaine d’années avant la fin de la guerre de Quatre-vingts ans qui avait opposé l’Empire espagnol et la République néerlandaise, Rembrandt van Rijn avait pris son pinceau et il avait réimaginé la reine Esther en lui donnant les traits d’une femme hollandaise du 17e siècle.

Cette peinture à l’huile, plus grande que nature – appelée par l’artiste « Héroïne juive de la Bible hébraïque » (il s’agit probablement d’Esther) – représente une femme vêtue d’une somptueuse robe pourpre et dorée assise sur un fauteuil. Un homme, derrière elle, coiffe sa longue chevelure couleur de lin.

Cette toile est aujourd’hui à découvrir, auprès de 120 autre œuvres, dans le cadre d’une exposition majeure qui vient d’ouvrir ses portes au musée juif de Manhattan : « Le livre d’Esther à l’époque de Rembrandt ».

L’exposition – les visiteurs pourront y admirer des tableaux et des objets – se penche sur la manière dont le Livre d’Esther avec, en particulier, le courage affiché par la reine face aux persécutions, a pu inspirer le maître hollandais et ses contemporains. L’histoire d’Esther avait indubitablement touché une corde sensible chez les néerlandais calvinistes qui étaient en train de devenir une puissance commerciale dans le monde, tout en s’affranchissant du joug de l’Espagne catholique. De même, ce récit avait eu un écho au sein de la population juive d’Amsterdam, qui avait trouvé dans la ville un havre de tolérance religieuse.

« Cette exposition s’intéresse à la façon dont les artistes et les mécènes de l’époque de Rembrandt – Juifs et chrétiens – ont modelé l’iconographie basée sur le Livre d’Esther en s’appropriant la reine Esther, cette jeune femme qui avait donné une voix à ceux qui n’en avaient pas au risque de sa propre sécurité », commente Abigail Rapoport, une conservatrice du musée.

L’exposition, qui a été organisée en collaboration avec le North Carolina Museum of Art, à Raleigh, est à découvrir jusqu’au 10 août. Elle se rendra ensuite, au mois de septembre, en Caroline du Nord. L’Isabella Stewart Gardner Museum de Boston présentera une version condensée de l’exposition au mois d’août 2026.

Jan Victors, « Esther accusant Haman », 1651. Huile sur toile, 164,8 x 182,2 cm). Musée et galerie de l’université Bob Jones, Greenville, Caroline du Sud, P.68.432.3 (Crédit : Musée et galerie de l’université Bob Jones, Greenville, Caroline du Sud)

Comme l’explique Shelley Perlove, professeure émérite d’histoire de l’art à l’université du Michigan, les Néerlandais considéraient Amsterdam comme une nouvelle Jérusalem de tolérance et de liberté religieuse – en contraste avec la tyrannie de l’Espagne catholique de l’Inquisition, avec laquelle ils étaient en guerre.

« La population néerlandaise – comme les Juifs de l’histoire d’Esther – était peu puissante face à cet empire qui menaçait de les anéantir, mais Haman, l’ennemi des Juifs (qui représentait l’Espagne dans les esprits des Hollandais) avait trouvé la mort : le Juif Mordechai incarnait l’image du patriote néerlandais et Esther, la courageuse reine juive, avait surmonté tous les obstacles pour sauver son peuple », explique Perlove.

Une férocité qui s’illustre dans un tableau de Jan Victors, peint en 1651, qui est intitulé « Esther accusant Haman ». Esther, vêtue d’une robe argentée et d’une coiffe ornée de bijoux, affiche une expression déterminée en faisant un geste en direction d’Haman, l’homme étant sur la défensive, presque recroquevillé. Assuérus se tient entre eux deux, vêtu d’un manteau d’hermine plus adapté au milieu des années 1600 qu’à l’ancienne Perse.

La facette plus contemplative d’Esther est représentée sur une toile de 1685 appelée « Esther et Mardochée », peinte par Aert de Gelder. Esther, dont le visage est éclairé, y apparaît tenant des papiers et échangeant avec son oncle.

Si Esther est incontestablement la star de l’exposition, les visiteurs sont également invités à s’intéresser à la manière dont les autres personnages sont représentés, indique Perlove.

Aert de Gelder, « Esther et Mardochée », vers 1685. Huile sur toile, 59,7 x 143,5 cm. Musée de la Rhode Island School of Design, Providence, Museum Appropriation Fund, 17.138 (Crédit : RISD Museum, Providence)

« Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est la représentation du roi Assuérus qui est souvent représenté comme divinement majestueux dans l’iconographie catholique – mais aussi comme un fou dans l’art protestant et juif », fait remarquer Perlove.

Par exemple, sur un tableau peint en 1670 par l’artiste Jan Steen qui est intitulé « Colère d’Assuérus », un Assuérus furieux se lève de table alors qu’il vient de renverser un plat de tarte. Alors que les couverts, les plateaux et les vêtements évoquent le rôle croissant des Pays-Bas dans le commerce mondial, l’attitude d’Assuérus traduit toutefois une omniprésence imposante, qui touche à l’affect.

Deux plaques de cheminée allemandes de 1640, qui représentent toutes deux la reine Esther, font partie des nombreuses pièces exposées qui montrent des objets de la vie quotidienne décorés de scènes directement tirées de l’histoire de Pourim – des objets qu’il n’était pas inhabituel, d’ailleurs, de trouver dans les habitations des non-Juifs à l’époque.

Jan Steen, « La colère d’Assuérus », vers 1670. Huile sur toile (Crédit : The Henry Barber Trust, The Barber Institute of Fine Arts, Université de Birmingham, Royaume-Uni)

Ces lourdes arches en fonte étaient placées à l’arrière du foyer pour protéger la pierre et renvoyer les flammes en direction de la pièce.

Sur l’une des plaques, le roi Assuérus et la reine Esther marchent côte à côte. Sur l’autre, la reine Esther est à genoux devant Assuérus.

Une armoire en bois fabriquée en Angleterre, vers 1665, attire également l’attention du visiteur. Ornée de perles de rocaille, de fils de métal et de lin, et de satin de soie, cette pièce montre Esther demandant à Assuérus, dans une ultime supplication, d’empêcher l’anéantissement imminent des Juifs.

Le fait que l’armoire contienne des instruments permettant d’écrire est particulièrement remarquable, d’après le texte qui l’accompagne. Le Livre d’Esther se termine par la rédaction, par l’héroïne et par son oncle Mordechai, de lettres qui décrivent la fête de Pourim à des communautés juives éloignées.

Si une une grande attention est portée à la manière dont les communautés non-juives percevaient l’histoire d’Esther, il faut toutefois noter que la communauté juive d’Amsterdam considérait, elle aussi, l’histoire de Pourim comme une forte source d’inspiration.

Artiste/fabricant inconnu, couverture de Tebah (couverture de pupitre de la société Dotar pour la synagogue portugaise utilisée à Pourim et pendant le tirage au sort), Europe du Sud, 17e siècle. Collection de la Fondation du patrimoine culturel de la Congrégation israélite portugaise (CEPIG), Amsterdam, inv. no. 0125. (Crédit : Communauté juive portugaise d’Amsterdam)

« La reine Esther était un symbole de bravoure pour les Juifs portugais qui devaient cacher leur identité dans l’Espagne catholique, tout comme Esther avait dû le faire lorsqu’elle avait épousé Assuérus », dit James S. Snyder, directeur du musée qui était, dans le passé, à la tête du Musée d’Israël.

L’exposition présente des objets d’art cérémoniel juif rares qui ont été prêtés par la synagogue portugaise d’Amsterdam. Il y a notamment un couvercle de lutrin au décor extravagant et des rouleaux d’Esther fabriqués par Salom Italia, le fabricant de rouleaux le plus prisé à l’époque de Rembrandt.

Il y a également des coupes de kiddoush en argent et une lampe de Shabbat qui avait été fabriquée à partir d’objets en terre cuite.

Et pourtant, si les Néerlandais considéraient l’histoire de Pourim comme une métaphore du triomphe sur l’adversité et qu’ils ressentaient une fascination pour la reine juive, il reste important de ne pas trop romancer la relation qu’avait pu entretenir Rembrandt avec le peuple juif.

Rembrandt van Rijn (Crédit : Domaine public)

Le peintre vivait sur la Jodenbreestraaat, une rue où habitait les Juifs portugais et les Juifs ashkénazes, et il aura ainsi eu des relations professionnelles et personnelles avec les membres de la communauté au cours de sa vie. Mais il n’était pas pour autant un défenseur du peuple juif, affirme Steven Nadler, qui est professeur de philosophie à l’université du Wisconsin-Madison et qui est l’auteur de « Rembrandt’s Jews ».

« C’est tentant de prendre ces grandes personnalités de l’Histoire, ces individus créatifs et brillants, et de voir en eux ce que l’on voudrait y voir », explique Nadler. « Dans le cas de Rembrandt, ce n’est pas seulement tentant, c’est aussi réconfortant de le voir comme un ami des Juifs à une période de l’Histoire particulière où les Juifs n’avaient pas beaucoup d’amis dans de nombreux endroits ».

Néanmoins, Nadler explique que les visiteurs de l’exposition devraient « pouvoir grandement apprécier le brio de Rembrandt et sa capacité à prendre ces histoires de la Bible hébraïque et du Livre d’Esther, en particulier, et à leur donner un rendu si profondément ressenti ».

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