Afrique du Sud : une douloureuse expo sur l’exode des Juifs éthiopiens en Israël
L'Opération Moïse, ou le départ en Israël de 7 000 Juifs éthiopiens organisé secrètement par le gouvernement israélien pendant plus de sept semaines entre 1984 et 1985
LE CAP (JTA) — En 1983, alors que Danny Abede était âgé de 9 ans, sa famille juive a décidé une nuit de Rosh HaShana de quitter son village isolé d’Éthiopie – avec environ 700 autres personnes – à cause de la guerre et d’une série de famines qui ravageaient le pays.
« Nous ne savions pas [où nous allions], personne ne nous avait informés, » se souvient-il. « Nous avons marché pieds nus jusqu’au Soudan – pendant 800 kilomètres, en trois semaines, en parcourant entre 45 et 55 kilomètres par jour ».
A l’époque, Abebe ne savait pas qu’il faisait partie de l’historique Opération Moïse – le départ en Israël de 7 000 Juifs éthiopiens organisé secrètement par le gouvernement israélien pendant plus de sept semaines entre 1984 et 1985. Il s’exprime aujourd’hui sur les difficultés rencontrées en chemin à l’ouverture de « l’Opération Moïse : 30 ans après », une exposition au Musée juif d’Afrique du Sud qui présente les expériences de 10 individus ayant participé à l’opération.
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Selon Gavin Morris, le directeur du Musée juif d’Afrique du Sud, un élément important de l’exposition est qu’elle reconnait la présence juive en Afrique depuis deux millénaires.
« A l’heure actuelle, on a tendance à penser que les Juifs sont des gens blancs, de classe moyenne ou supérieure, alors que la réalité historique a toujours été très différente », déclare Morris à l’agence de presse JTA.
« Nous faisons venir beaucoup d’écoliers africains dans le musée – je voudrais qu’ils voient que les Juifs ne sont pas tous des gens blancs, ashkénazes de la classe moyenne, mais que nous sommes une culture et une communauté très variées, et que l’expérience vécue par les Juifs éthiopiens est très proche de leur propre expérience. C’est peut-être quelque chose qui leur parlerait plus », a ajouté le directeur du musée.
Les communautés juives d’Afrique du Sud et d’Éthiopie étaient alors les deux principales communautés juives d’Afrique sub-saharienne.
« Puisque nous sommes la seule communauté juive majeure encore présente sur le continent, cela nous appartient en tant que Musée juif d’Afrique du Sud de représenter l’expérience juive en Afrique », explique Morris.
Certaines des thématiques de l’exposition – comme le racisme et les différences culturelles – sont communes à l’Afrique du Sud et à la vie des Éthiopiens en Israël. Comme on peut le lire sur une pancarte, même si le nombre de mariages mixtes chez les Éthiopiens a augmenté au cours des dernières années, ces couples font face à des « défis importants ».
Shay Yosef, âgé de 36 ans, est un des Israéliens d’origine éthiopienne dont on raconte le parcours dans l’exposition. Il a le sentiment que « des préjugés l’empêchent de trouver un emploi dans son domaine professionnel », mais il est fier de « ses racines éthiopiennes » et il « cherche à transmettre les traditions éthiopiennes » à ses enfants.
Yosef est un ingénieur expérimenté, mais il travaille dans le secteur de la sécurité dans l’implantation d’Efrat où il vit.
Abebe, lors de cette inauguration, se remémore d’autres défis qu’il a dû surmonter. Son tout petit village d’Éthiopie était très loin de la civilisation occidentale.
« Je n’avais jamais entendu parler de l’Etat d’Israël, seulement de Jérusalem – mon père m’en a toujours parlé », s’exclame-t-il.
Passé du statut « de berger très primitif », comme il le dit lui-même, à celui de journaliste au Yediot Aharonot et devenu un shaliach, ou émissaire, basé à Johannesburg, pour le jeune mouvement sioniste Habonim Dror, Abebe qualifie sa trajectoire de « folle ».
Il y a trois ans, il a emmené ses enfants – trois sont nés en Israël et un en Éthiopie – dans son village natal.
« Ils étaient choqués, » a dit Abebe. « Tout était si loin des ordinateurs, des tablettes ». Mais la vie y était « bonne, simple et agréable ».
Ce qui, selon lui, manque à l’exposition – présentée en collaboration avec la fédération sioniste sud-africaine et qui a été détachée par Beit Hatfutsot, le musée du peuple juif de Tel Aviv – est la profondeur de la souffrance vécue par celles et ceux qui avaient entrepris le voyage et par ceux qui n’y avaient pas survécu.
Le jour qui avait précédé l’arrivée du groupe à la frontière soudanaise, il y a déjà tant d’années, la tante d’Abebe était décédée, laissant derrière elle trois enfants en bas âge.
« C’est la première fois que j’ai vu mon père pleurer », explique-t-il. « Nous l’avons laissée en chemin – le Mossad [les services de renseignement israéliens] avaient dit qu’il fallait continuer ».
L’exposition ne mentionne pas non plus le camp de réfugiés du Soudan où Abebe a vécu pendant une année entière.
« C’était dur, vraiment dur pour nous – j’aurais aimé voir cette souffrance réelle dépeinte dans l’exposition », explique-t-il.
« J’ai vu beaucoup de gens mourir tous les jours de maladie. Nous avons vécu un petit holocauste au Soudan – nous avons perdu 4 000 personnes » pendant le voyage, en raison des violences et des maladies. « Et je dois le dire : c’est vraiment dur d’être ici ».
L’expérience au Soudan avait été si traumatisante que son père avait refusé d’en parler au fil des ans.
« Il y a seulement cinq ou six ans, une nuit, je l’ai appelé au téléphone pour lui demander quelque chose », raconte Abebe. « Il m’a dit : ‘Adeno, je voudrais te dire ce qu’il s’est passé là-bas’. »
Adeno était le prénom de naissance de Danny. Daniel est celui, « très américain », que l’Agence juive a décidé de lui donner, explique-t-il.
Les difficultés n’ont néanmoins pas pris fin une fois arrivés en Israël.
« L’écart qui existait entre nous et la société israélienne était au moins de 100 ans, même peut-être plus », dit-il. « Deux jours après notre arrivée, l’Agence juive nous a emmenés dans un appartement à Arad, nous plaçant au sixième étage. C’était la première fois que je voyais un immeuble tel que celui-là mais aussi un frigo, une gazinière, des toilettes – pour nous, c’était un grand défi ».
La mère d’Abebe s’était intégrée bien mieux que son père dans la société israélienne – un phénomène qui, dit-il, a pu se ressentir dans une grande partie de la communauté.
Mon père se trouve en Israël mais il est encore en Éthiopie. 35 ans après, il ne parle pas hébreu et n’a jamais travaillé.
« Mon père se trouve en Israël mais il est encore en Éthiopie. Trente-cinq ans plus tard, il ne parle pas hébreu et n’a jamais travaillé », explique Abebe, qui ajoute qu’aucune formation ni enseignement ne lui ont jamais été proposés pour faciliter son passage d’un mode de vie primitif et rural à une vie moderne.
Dans un rapport de 1996, le ministère israélien de l’Intégration notait que les immigrants d’âge mur ou âgés en provenance d’Éthiopie affichaient un taux de chômage bien plus élevé que les autres Israéliens, l’écart s’élargissant encore avec l’âge. Le rapport reconnaissait également qu’il était nécessaire de mettre en place plus de programmes de formation pour faciliter l’intégration des Éthiopiens, hommes et femmes.
La première fois qu’il a senti qu’il était un véritable israélien, se souvient Abebe, c’est lorsqu’il est devenu le premier Éthiopien à servir dans la radio militaire de Tsahal.
Concernant ses enfants, « pour moi, il est très, très important de les considérer comme n’importe qui d’autre, de leur offrir la chance de grandir comme des petits Israéliens parce que c’est un défi important », explique-t-il. « Je ne me préoccupe guère de moi-même ».
Se référant aux différences culturelles entre les Éthiopiens et la société israélienne, Abebe note simplement que « tout a été vraiment difficile ».
« Ce n’est que récemment que nous avons commencé à nous poser des questions sur nos traditions – 35 ans après », s’exclame-t-il. « Nous étions tellement affairés à essayer de devenir des Israéliens… Nous avons dorénavant réalisé qu’il est important de conserver notre culture et nos traditions ».
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