Aharon Barak soutiendrait une limitation du réexamen judiciaire – sous conditions
L'ex-président de la Cour suprême appuierait la limitation de l'utilisation de la notion juridique de "raisonnabilité" si le reste du projet de réforme était abandonné
L’ancien chef de la Cour suprême Aharon Barak a déclaré dimanche qu’il était prêt à soutenir une limitation de la capacité de la Haute-cour à procéder au réexamen judiciaire des décisions politiques et ministérielles du gouvernement sur la base de la notion juridique de « raisonnabilité » – si le ministre de la Justice Yariv Levin, l’artisan du plan de refonte du système israélien de la justice, ne faisait pas avancer par ailleurs le reste de ses propositions hautement controversées dans le cadre de son programme de réforme radicale.
Prenant la parole lors d’un événement organisé à l’université Reichman de Herzliya, Barak a souligné qu’il était favorable, dans son principe, à une réforme du système judiciaire mais qu’il s’opposait avec fermeté aux propositions soutenues par Levin et par d’autres personnalités déterminantes de la coalition.
« Je soutiens une réforme qui permettra de renforcer les rangs des juges et des experts, ainsi qu’une réforme du procureur de l’État. Il n’est pas possible qu’un dossier tel que celui d’Aryeh Deri prenne de si longues années. Les propositions de réforme actuelles portent atteinte à la démocratie », a-t-il déclaré, en référence au procès pour corruption interminable du leader du parti ultra-orthodoxe du Shas, qui s’est terminé l’année dernière.
Barak, aujourd’hui âgé de 86 ans, est considéré par de nombreuses personnes comme la personnalité qui aura été à l’origine des changements survenus dans le système judiciaire depuis les années 1990 – le gouvernement actuel cherche à renverser aujourd’hui une grande partie de ces changements – et il est devenu un personnage clivant dans le débat en cours. Il est une icône du libéralisme et de nombreux manifestants pro-réforme de droite se sont rassemblés devant son habitation, même si le magistrat est à la retraite et qu’il ne tient pas de rôle officiel depuis 18 ans maintenant.
Concernant la notion juridique de « raisonnabilité » – qui permet aux juges de rejeter des décisions prises par le gouvernement parce qu’elles seraient « déraisonnables » – Barak a indiqué que, si elle restait « très importante », il reconnaissait qu’une limitation de son usage pouvait être définie dans le cadre d’un accord qui serait conclu au cours des négociations de compromis entre les représentants de la coalition et l’opposition, des pourparlers qui se tiennent sous les auspices du président Isaac Herzog.
Barak a précisé qu’il serait favorable à ces restrictions sur l’utilisation de la « raisonnabilité » dans les jugements rendus sur les politiques gouvernementales et sur les décisions ministérielles, mais il a souligné que la notion juridique devait être conservée s’agissant de la nécessité, pour les magistrats, de se prononcer dans le cadre des nominations politiques ou à la tête des ministères.
« Si ça satisfait Levin, alors je le soutiendrais », a-t-il expliqué, indiquant qu’il appuierait la limitation de l’usage de la notion juridique controversée tant que le ministre de la Justice n’avancerait pas les autres lois prévues dans le cadre des réformes du système de la justice.
Un tel événement paraît improbable, Levin ayant fait part de sa détermination à faire adopter son plan de refonte dans son intégralité.
L’utilisation de cet outil judiciaire – qui permet à la Cour de statuer que toutes les considérations nécessaires n’ont pas été prises en compte, ou mal dans la rédaction d’une loi ou dans une prise de décision gouvernementale – a fréquemment suscité la colère des partis de la coalition de droite, d’extrême-droite et religieux qui cherchent à faire approuver une enveloppe de réformes radicales qui viendrait bouleverser le système judiciaire israélien. Ils estiment que les juges ont trop de pouvoir sur des dossiers subjectifs.
Barak a souligné qu’il soutenait les pourparlers en cours à la résidence du président et il a reconnu l’impératif de trouver un accord.
« Je me suis entretenu à trois reprises avec le président et je lui ai dit que nous traversions une période constitutionnelle. Il faut ouvrir une porte pour résoudre les problèmes qui se posent. C’est un processus. Commençons ce processus aujourd’hui, un processus dans lequel nous nous attaquerons à nos problèmes constitutionnels », a-t-il déclaré.
La semaine dernière, les chefs des partis d’opposition Yair Lapid et Benny Gantz avaient annoncé qu’ils se retiraient temporairement des discussions portant sur un compromis après que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a torpillé un vote, à la Knesset, qui devait désigner les deux représentants du parlement au sein de la Commission de sélection judiciaire, la commission chargée de nommer les juges dans le pays. Une initiative qui a encore reporté d’un mois la rencontre de ce panel, qui se trouve au centre des négociations des compromis. Si Netanyahu avait demandé aux membres de sa coalition de voter contre tous les candidats en lice, certains députés s’étaient révoltés et ils avaient voté en faveur de la candidate de l’opposition, Karine Elharrar, qui avait été finalement élue. Mais le vote pour le second siège n’aura lieu que dans trente jours, empêchant la Commission de se réunir et les chefs de l’opposition ont accusé Netanyahu d’être revenu sur sa parole.
De son côté, Levin a indiqué à de multiples reprises que le panel se ne réunirait pas avant l’adoption d’un projet de loi très controversé qui bouleversera sa composition et ce, malgré les 80 postes de magistrats vacants qui doivent être pourvus dans le cadre d’un système judiciaire en surchauffe.
Concernant les nominations judiciaires, Barak a dit, dimanche, qu’il n’était pas favorable à des changements.
Sur la question des nominations, ce serait une bonne chose de conserver la situation telle qu’elle est. Les nominations sont très importantes. Quand vous voyez le genre de nominations qui ont été faites par le gouvernement actuel, vous y décelez une certaine idée de l’obscurantisme », a-t-il expliqué.
La constitution du panel de sélection judiciaire est au cœur des efforts livrés par la coalition, qui désire renforcer de manière importante le contrôle politique sur le système dans son ensemble. Un projet de loi déterminant figurant dans le plan de refonte changerait la composition de la Commission en accordant au gouvernement la majorité automatique en son sein, lui donnant le pouvoir de déterminer la majorité des nominations judiciaires.
Ce texte de loi controversé est prêt à être adopté et il est prêt à être présenté, presque sans avis préalable, à la Knesset pour ses deux dernières lectures consécutives. Une telle initiative de la part du gouvernement reste toutefois improbable dans la mesure où elle entraînerait une reprise du mouvement de protestation massif qui avait précédé le gel de la législation au mois de mars, une mise en pause décidée pour permettre aux négociations de compromis d’avoir lieu.
Plusieurs mois de débat n’ont toutefois pas porté leurs fruits et les pourparlers semblent maintenant être suspendus pour les prochaines semaines – alors que la pressions se renforcent, au sein de la coalition, en faveur d’une reprise des réformes.
« Je préfère zéro changement dans le système de la justice plutôt que ce dicte l’ancien président Aharon Barak », a écrit sur Twitter la députée du Likud Tally Gotliv, connue pour ses provocations, en réponse aux propos tenus par Barak. « Le fait même que quelqu’un puisse négocier avec lui au nom de la coalition est un véritable scandale ».
Netanyahu a annoncé, dimanche matin, que son gouvernement commencerait à faire avancer cette semaine certains éléments du plan de réforme du système judiciaire gouvernemental de manière unilatérale, accusant Lapid et Gantz d’avoir « joué » avec les négociations.
Pour les critiques, ce plan ôtera toute capacité à la Haute-cour de tenir le rôle de contre-pouvoir face au Parlement, portant dangereusement atteinte à la démocratie en Israël et laissant sans protection les droits des minorités. Pour ses soutiens, le projet est nécessaire pour freiner ce qu’ils considèrent comme un système judiciaire qui outrepasse largement son autorité.