Alors que la réforme de la casheroute s’installe en Israël, le client reste roi
A présent libres de sélectionner l'organisme de supervision de leur choix, les propriétaires de restaurants recherchent avant tout la solution qui sera pour eux la plus rentable
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »

Lorsque la première phase de la réforme gouvernementale de la certification « casher » est entrée en vigueur au début du mois, le restaurateur Dan Male n’y a pas prêté beaucoup attention, car les changements prévus n’affectent pas Angelica, le restaurant gastronomique casher qu’il dirige à Jérusalem.
« Nous sommes sous la supervision du rabbinat de Jérusalem depuis plus de 10 ans », a déclaré Male. « Nous nous en tiendrons à cette casheroute car c’est la supervision de ce rabbinat que nos clients réclament, et pas autre chose. »
Certains clients d’Angelica sont en contact régulier avec le superviseur de casheroute, qui veille au respect des règles dans la cuisine du restaurant, mais également auprès des fermes où nous achetons les légumes, et auprès de nos fournisseurs de viande.
« Ils sont regardants », dit-il, « très regardants ».

Jusqu’à présent, le Grand Rabbinat et les conseils religieux locaux étaient les seuls organismes habilités à délivrer des certificats de casheroute, qui coûtent aux entreprises entre 2,18 à 2,49 millions de dollars par an.
Avec l’entrée en vigueur de la première étape de la réforme de la casheroute dirigée par le ministre des Affaires religieuses Matan Kahana, n’importe quel restaurant, magasin d’alimentation ou usine, peut désormais choisir parmi tous les conseils religieux du pays pour lui fournir une supervision de la casheroute, plutôt que de pouvoir uniquement utiliser son conseil local.
A partir de 2023, cette réforme permettra à des organismes privés, placés sous l’autorité du Rabbinat, de fournir des services de supervision de la casheroute.
Il s’agit là d’une réforme de privatisation attendue de longue date, et qui va dans le sens voulu par l’organisation religieuse Tzohar, qui avait elle-même créé son propre label de casheroute dès 2018 : mettre un terme au monopole du Rabbinat en matière de certification.

Selon Dan Male le patron du restaurant Angelica, la plupart des clients ne sont pas intéressés par la certification casher alternative proposée par l’organisme Tzohar, qui fournit actuellement ses certificats à quelque 300 restaurants en Israël.
« Je me suis marié via Tzohar, et non avec le rabbinat », a déclaré Male. « Personnellement, je pense que la multiplication des organismes de supervision est une bonne chose mais je dois faire ce que veulent nos clients. »
En d’autres termes, le client a toujours raison.
Finalement, choisir son organisme de supervision est une décision avant tout commerciale, estime Tsvi Maller, propriétaire du restaurant gourmet de hamburgers Crave, situé dans le marché de Mahane Yehuda à Jérusalem, et qui pour sa part est sous supervision du Rabbinat de Jerusalem.
« J’ai l’impression que nous devons attendre et voir ce qui se passe dans les faits » (avec cette réforme), déclare Maller, qui possède également des restaurants casher aux États-Unis. « Je crois beaucoup en la concurrence, je pense que cela fait ressortir le meilleur des gens. En ce moment, j’ai beaucoup de ma clientèle qui tient à cette tutelle ; c’est ce que leurs rabbins leur ont dit et je ne peux pas leur en vouloir pour cela ».
« Qui me donne le certificat de casheroute ? Cela n’a presque pas d’importance ».
Pour d’autres restaurateurs en revanche, quitter le Rabbinat pour Tzohar a été une excellente décision.
« Nous n’avons pas perdu de clients » dit Yettie Lawson co-propriétaire de Tacos Luis au centre de Jérusalem, qui est désormais sous la supervision de Tzohar depuis huit mois. « Il devrait y avoir plus d’une seule option, personne ne devrait avoir le monopole de la casheroute ».

Idem pour le voisin de Lawson, l’emblématique Café Kadosh, qui s’est tourné vers Tzohar après une menace de plus de la part de son superviseur de la casheroute au sein du rabbinat de Jérusalem sur la manière de façonner et d’étiqueter ses croissants.
« Je n’ai jamais été plus casher qu’en ce moment, après 56 ans chez Kadosh, » dit Itzik Kadosh, dont le père a créé la boulangerie.
Selon Kadosh, sa clientèle a augmenté de 20 % depuis qu’il est sous la supervision de Tzohar.
Pour David Stav, son président, Tzohar, offre une alternative orthodoxe au grand rabbinat d’Israël dans divers domaines de la vie juive, est entré dans l’arène de la supervision casher en raison des critiques des Israéliens qui souhaitaient rester casher sans se conformer toutefois à la volonté d’un rabbinat parfois autoritaire.

« Cela a été pour nous l’alerte qui nous a fait comprendre que quelque chose n’allait pas », a déclaré Stav. « Nous avons vu que le principal problème était le monopole du rabbinat, et nous devions apporter un changement à cette situation. »
A présent dirigé par le rabbin Oren Duvdevani, Tzohar compte ses succès, mais un certificat casher de Tzohar ne peut toujours pas inclure le mot « casher », suite à une décision de la Haute cour sur la question.
Tzohar peut utiliser le terme « annonce » ou « halakhique » (qui signifie « selon la loi juive ») dans ses certificats, mais pas le mot « casher ». Pour le moment, ce mot appartient au seul grand rabbinat.
Le terme essentiel qu’un client souhaite voir est « casher », a déclaré Stav. « Pour de nombreux Israéliens, si vous ne prononcez pas le mot ‘casher’, ce n’est pas casher. » C’est un point de friction pour certains restaurateurs et propriétaires d’établissements alimentaires.
Dans un an, au terme de la réforme, l’organisme Tzohar pourra utiliser le mot « casher » dans ses certificats.

Leon Avigad, dont le groupe Leopard Hospitality possède et gère la chaîne Brown Hotel, avec plus d’une douzaine d’hôtels en Israël, en Grèce et en Europe, travaille avec Tzohar sur certains des restaurants casher du groupe hôtelier, mais pas tous. En effet, une partie de sa clientèle se sent plus à l’aise avec la certification offerte par le grand rabbinat, et Avigad n’est pas sûr que ce sentiment changera un jour.
« Sur chaque grand groupe que j’accueille, qu’il s’agisse d’une bar mitzvah, de blogueurs ou d’employés de la Banque Leumi, il y aura un juif orthodoxe qui voudra voir ce certificat du Rabbinat », déclare Avigad. « J’adore travailler avec Tzohar, mais ça ne marche pas avec tout le monde. La religion est la religion et une règle est une règle, et une restriction est une restriction. Il n’y a pas de place pour les commentaires. »
Pour sa part, le rabbin Stav de Tzohar considère qu’il tire sa force et son courage de ceux qui lui disent de continuer.
« Ce n’est pas une question de religion, ce n’est pas une question de Torah, ce n’est pas une question d’orthodoxie, c’est une question de pouvoir et de politique », a-t-il déclaré. « Nous sommes très heureux de servir notre peuple et notre pays et de servir Dieu, c’est l’essence de notre démarche. »