Alors que l’armée israélienne renforce son emprise sur Gaza, que va-t-il se passer exactement ?
Les critiques contre la guerre s'intensifient dans le pays et ailleurs ; le président américain s'impatiente, l'extrême droite est déterminée à rétablir une occupation permanente ; Netanyahu s'inquiète de sa survie
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Que cherche exactement à obtenir le gouvernement israélien – et que cherche donc à obtenir, par ricochet, l’armée israélienne – à Gaza ?
Une question qui semble absurde, vingt mois après le début d’une guerre qui avait commencé par la prise d’assaut, par les hommes armés du Hamas, du sol israélien et par le carnage qui avait suivi, le 7 octobre 2023.
Après tout, nous connaissons tous les objectifs qui ont été clairement établis par le Premier ministre Benjamin Netanyahu : la guerre jusqu’à la victoire totale – c’est-à-dire la destruction du Hamas – le retour de tous les otages, l’élimination de toute menace future pour Israël depuis le territoire de Gaza et (c’est un ajout récent) la mise en œuvre du plan du président américain Donald Trump qui prévoit le déplacement de la population de Gaza.
Ce qui ne correspond néanmoins pas véritablement à la politique déclarée qui est actuellement mise en vigueur par les ministères et ce qui ne correspond pas non plus à l’état d’esprit actuel de Trump, voire même à la campagne militaire quotidienne telle qu’elle est menée, sur le terrain, par Tsahal.
Alors que Netanyahu parle en termes très généraux des progrès incessants qui seraient réalisés dans le cadre de cette offensive qui vise à anéantir le Hamas, qu’il insiste sur le fait que la victoire absolue est proche et qu’il tourne en ridicule ses détracteurs, les ministres d’extrême droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir – indispensables dans le maintien au pouvoir du Premier ministre – préconisent de manière spécifique le départ de toute la population de Gaza vers des destinations inconnues, l’occupation permanente de la bande de Gaza par Israël et le retour de la présence juive dans cette région. Des objectifs indéfendables au niveau moral et totalement irréalisables.
Au mois de février dernier, Trump avait ravi l’extrême droite en appelant à l’expulsion forcée des Gazaouis, même si ce plan initial prévoyait une prise de contrôle de la bande de Gaza par les États-Unis et non une nouvelle occupation permanente du territoire par Israël, une occupation accompagnée de la construction d’implantations. Le président américain a toutefois progressivement changé de cap, appelant d’abord au départ volontaire des Gazaouis vers d’autres contrées, avant d’abandonner toute mention de leur expulsion pour se concentrer sur leur bien-être et sur la nécessité de leur garantir un approvisionnement en aides humanitaires. Cette semaine, il aurait dit à Netanyahu de se contenter de finaliser un accord pour tenter de rapatrier tous les otages et de mettre un terme à la guerre, deux initiatives susceptibles de relancer les efforts de normalisation dans la région et d’isoler l’Iran.

Si le fossé semble se creuser entre le président américain et le Premier ministre israélien – sur Gaza, mais aussi sur la manière de gérer la problématique iranienne alors que Téhéran est sur le point de se doter de l’arme nucléaire – les écarts entre le gouvernement israélien et l’armée israélienne sont aussi une source d’inquiétude permanente.
Conformément aux ordres qui ont été donnés par la hiérarchie politique, l’armée a renforcé son contrôle physique sur Gaza. Elle contrôlait 40 % de la bande lorsque le dernier accord de trêve avait été rompu au mois de mars. Elle en contrôle désormais environ 50 %, selon des sources militaires, et son objectif déclaré est de prendre le contrôle de 75 % du territoire, les plus de deux millions de Gazaouis étant largement concentrés dans trois mini-enclaves principalement côtières.
Et ensuite ?
D’après les réponses répétées qui ont pu être apportées par des sources proches de l’armée à cette question, Tsahal l’ignore.
L’élargissement de ces zones de contrôle implique que l’armée ordonne l’évacuation des civils avant de nettoyer les secteurs évacués – en faisant exploser les tunnels et les bâtiments piégés, en affrontant les terroristes du Hamas qui ne se sont pas enfuis avec les non-combattants vers les zones jugées sûres, puis en restant sur place dans l’attente de nouveaux ordres.

Smotrich et Ben Gvir anticipent une présence perpétuelle de l’armée israélienne dans ces périmètres afin de garantir l’éventuel retour des partisans du mouvement pro-implantation.
Pour sa part, Netanyahu parlait autrefois d’un « jour d’après » à Gaza où le Hamas serait éliminé en tant que force combattante. Où l’enclave serait démilitarisée. Où la population serait déradicalisée et rééduquée – au point que la menace de nouvelles atrocités, similaires à celles du 7 octobre, en serait atténuée, avec un autre mécanisme de gouvernance qui serait mis en place. Mais il a depuis adopté le plan de « relocalisation des Gazaouis » de Trump, alors même que le président américain en est revenu.
Certaines sources militaires laissent entendre que l’armée israélienne pourrait finalement être chargée de superviser le retour contrôlé des habitants de Gaza dans les zones où ils vivaient avant la guerre – des zones qui ont été en grande partie détruites – dans le cadre d’un processus qui nécessiterait de contrôler chaque membre de la population, avec pour objectif de garantir qu’il s’agit bien de civils et que les forces du Hamas ne feront pas leur retour à cette occasion. Si l’idée est séduisante en théorie, elle est néanmoins irréalisable.
Les militaires ne sont pas en capacité de contrôler – et encore moins de filtrer – de grandes masses de civils. Cette incapacité a été démontrée par la terrible réalité quotidienne qui est apparue sur le terrain ces dernières semaines, avec des dizaines et des dizaines de Gazaouis qui ont été tués dans les zones qui entourent les centres de distribution d’aide humanitaire de la Fondation humanitaire de Gaza.
Les sources militaires ont insisté sur le fait que, dans le cadre de la majorité de ces incidents, les soldats n’avaient pas ouvert le feu à l’intérieur, à l’extérieur ou à proximité immédiate des points de distribution mais qu’ils avaient reconnu avoir tiré des « coups de semonce » face à des foules importantes de Gazaouis qui se dirigeaient vers les centres d’aide sans emprunter les itinéraires prévus et hors des horaires d’ouverture.
En ce qui concerne l’assistance, l’armée israélienne a pris la responsabilité de protéger les opérations de la GHF dans un cadre qui prime sur celui de l’ONU, ce qui fait ainsi d’Israël le principal responsable du bon acheminement des denrées alimentaires auprès des Gazaouis qui en ont besoin pour survivre. Mais les militaires ne sont ni formés, ni équipés pour assumer pleinement cette mission. Il en résulte qu’un programme élaboré à la hâte, un programme qui était destiné à empêcher le Hamas de continuer à piller l’aide, s’avère être sanglant et parfois inapplicable dans la pratique, le Hamas faisant tout ce qui est en son pouvoir pour détruire cette initiative, comme on pouvait s’y attendre, avec des troupes qui se trouvent aux prises avec des foules immenses de civils palestiniens désespérés.
Il ne faut pas laisser le Hamas se reconstituer. Même aujourd’hui, le groupe maintient un régime de terreur dans certaines parties de Gaza. Il est en capacité de lancer occasionnellement des roquettes et de faire tomber des drones explosifs sur les soldats. Son ambition de « détruire Israël » reste intacte. Mettre un terme à cette guerre ne signifierait pas – et ne devrait pas signifier – la fin du combat contre le Hamas. Cela donnera indubitablement à Israël d’innombrables raisons essentielles de le prendre pour cible, sans relâche, à l’avenir et Israël sait dorénavant mieux que quiconque qu’il ne faut pas encourager le Qatar à le financer.

Dans le même temps, les critiques contre la guerre s’intensifient tant au niveau national qu’international, en particulier depuis que le gouvernement a décidé, au mois de mars, de ne pas donner suite aux deuxième et troisième phases de l’accord conclu au mois de janvier, un accord qu’il avait approuvé à l’unanimité et qui visait à garantir la libération de tous les otages et à mettre fin à la guerre, et que les dirigeants israéliens ont préféré reprendre les opérations militaires.
L’impatience du président américain grandit également, reflétant en partie la consternation croissante au sein des rangs des républicains, et Trump dispose d’un vaste arsenal diplomatique et militaire pour faire pression sur Netanyahu s’il le souhaite.
Le massacre monstrueux perpétré par le Hamas est à peine entré dans les mémoires, même parmi les dirigeants politiques et au sein de l’opinion publique mondiale – qui s’en sont jamais souciés. Cinquante-quatre otages sont détenus depuis 614 jours, et parmi les soldats qui avaient été kidnappés vivants le 7 octobre 2023, seul Edan Alexander est revenu. Le Premier ministre dépend de l’extrême droite, qui estime que « la guerre ne doit pas prendre fin » et il dépend – ce qui l’a particulièrement préoccupé dans la journée de mercredi – des chefs des partis haredim qui affirment « préférer mourir plutôt que de servir dans l’armée israélienne ».
Que cherche exactement à obtenir le gouvernement israélien, et par extension l’armée israélienne, à Gaza ? Ce n’est pas une question si absurde, après tout.
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