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Alors que Poutine sévit contre la démocratie, les Juifs russes fuient en Israël

"L'Alyah Poutine" ? L'immigration connaît un pic sans précédent depuis l'an 2000 alors qu'Israël fait figure de refuge face aux difficultés économiques et à l'autoritarisme

Photo d'illustration : Des immigrants juifs de Russie et d'Ukraine arrivent à l'aéroport international Ben Gourion, près de Tel Aviv, le 30 janvier 2018 (Crédit : AP/Ariel Schalit)
Photo d'illustration : Des immigrants juifs de Russie et d'Ukraine arrivent à l'aéroport international Ben Gourion, près de Tel Aviv, le 30 janvier 2018 (Crédit : AP/Ariel Schalit)

JTA — Moins d’un an après son immigration en Israël depuis la Russie, Dima Eygenson a déjà voté deux fois dans son pays d’adoption.

Au mois d’avril, les électeurs israéliens se sont rendus aux urnes au cours d’un scrutin ayant résulté en une quasi-égalité entre le Premier ministre en poste, Benjamin Netanyahu, et Benny Gantz, nouvel arrivant dans la sphère politique.

Mardi, les citoyens ont une fois encore emprunté le chemin des bureaux de vote, Netanyahu ayant échoué à rassembler une coalition majoritaire.

« Je suis un électeur aguerri aujourd’hui », s’exclame Dima Eygenson, un spécialiste en marketing âgé de 39 ans. « C’est très excitant et nouveau pour moi de constater que voter peut finalement faire la différence et entraîner un changement réel dans la destinée du pays ».

« On peut voter en Russie, mais ça ne change rien », ajoute-t-il.

Le sentiment que la Russie se dirige de plus en plus vers l’autoritarisme a contribué à une forte augmentation de l’immigration de la communauté juive vers Israël au cours des quatre dernières années. Depuis 2015, presque 40 000 Juifs de Russie se sont installés en Israël. Dans la décennie entière qui avait précédé l’année 2015, ils n’avaient été que 36 784.

Le président russe Vladimir Poutine avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à une cérémonie de dépôt de gerbe commémorant le 73e anniversaire de la victoire de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, le 9 mai 2018, sur la tombe du soldat inconnu, à proximité du Kremlin, à Moscou (AFP / Yuri Kadobnov)

Ce n’est pas la seule raison justifiant la vague actuelle d’immigration : parmi les autres causes, les difficultés économiques et un problème du crime devenu persistant.

Et pourtant, de nombreux observateurs et immigrants ne considèrent ces questions que comme des facteurs ayant contribué à un exode par ailleurs largement motivé par la détérioration significative des libertés individuelles sous Vladimir Poutine, un phénomène que certains ont surnommé « l’Alyah Poutine ».

Pour Eygenson, dont l’entreprise était florissante en Russie, le choix d’Israël a été largement spirituel. Alors qu’il visitait, il y a plusieurs années, la ville mystique de Safed, dans le nord du pays, il a ressenti « une connexion soudaine et profonde » avec son identité juive.

Mais le poutinisme et ses conséquences ont été des facteurs déterminants dans sa décision de venir vivre au sein de l’État juif acompagnée de sa fille, une adolescente de 14 ans, et son épouse non-juive, qui a accouché d’un second enfant en Israël au début de l’année.

Des immigrants russes lors d’une cérémonie qui marque le 25ème anniversaire de la Grande Alyah de Russie, au Jerusalem Convention Center, le 24 décembre 2015. (Crédits : Hadas Parush/Flash90)

« Quatre-vingt dix pour cent des Russes adorent réellement Poutine. Ils l’admirent, ils pensent qu’il fait ce qu’il faut faire en se concentrant sur la haine des minorités et des gays », explique Eygenson. « Les 10 % qui restent – et dont je fais partie – ne se sentent pas libres de dire ce qu’ils pensent de ça ».

Marina Shvedova, une traductrice juive originaire de Moscou, a quitté le pays il y a cinq ans pour faire ses études aux Etats-Unis et elle n’est jamais revenue en Russie.

« J’ai eu le sentiment qu’il m’était dorénavant impossible de vivre entourée de fous portant des tee-shirts Poutine stupides », dit-elle.

Peter Pomerantsev, journaliste juif vivant à Londres, a quitté Moscou en 2010 « pour fuir l’assaut lancé par Poutine contre la raison », comme il l’a écrit la semaine dernière dans le Guardian. « Je voulais vivre dans un monde où les mots ont un sens ».

Grigory Zisser, programmateur âgé de 32 ans qui a immigré depuis la Russie en 2017 pour s’installer à Bat Yam, près de Tel Aviv, indique à JTA avoir pris cette initiative parce qu’il désirait que ses enfants « grandissent dans un monde libre lorsque je construirai une famille ».

Photo d’illustration : Des immigrants de Russie en partance vers Israël à l’aéroport de Helsinki, au mois de novembre 2018 (Autorisation : International Christian Embassy Jerusalem/via JTA)

La répression des médias et de l’opposition politique en Russie s’exerce depuis des années, documentée de manière minutieuse par les groupes de défense des droits de l’Homme internationaux.

Pour Tanya Lokshina, directrice-adjointe de la division Europe et Asie centrale de HRW (Human Rights Watch), un « tournant » a été amorcé avec l’emprisonnement, en 2012, des membres de Pussy Riot, un groupe de rock accusé de vandalisme pour avoir interprété une chanson qui mettait en cause le soutien apporté par l’église orthodoxe à Poutine.

Le retour de ce dernier à la présidence, cette année-là, avait « entraîné une nouvelle période de répression accélérée », avait noté la Freedom House dans son rapport 2012.

En 2014, année où la Russie avait envahi et annexé la Crimée, l’immigration russe annuelle vers l’Etat juif avait franchi le seuil des 4 500 personnes pour la toute première fois en une décennie. En 2018, 10 000 Juifs russes ont fait leur alyah. Cette année, ils devraient être 15 000, selon les prévisions du gouvernement israélien.

En plus du sentiment général d’insécurité qui est partagé par de nombreux libéraux en Russie, la communauté juive a entrevu des signes significatifs lui indiquant qu’elle se trouvait encore une fois singularisée en tant que minorité ethno-religieuse.

Le rabbin Berel Lazar fixe une mezouza sur la porte de la Nouvelle synagogue de Kaliningrad, le 8 novembre 2018 (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

En 2013, le procès pour corruption intenté contre un enseignant juif, dans une zone rurale, avait été teinté d’accusations d’antisémitisme de la part du juge et du procureur qui avaient utilisé des tropes anti-juifs pour discréditer le professeur.

En 2015, les procureurs russes avaient confisqué des livres, dans une école juive affiliée au mouvement hassidique ‘Habad à Yekaterinburg, suite à des plaintes qui avaient été déposées et affirmaient que les élèves y apprenaient à haïr les non-Juifs.

En 2017, un tribunal de Sotchi avait placé sur liste noire un livre écrit par un rabbin du 19e siècle qui était consacré au combat mené par les Juifs pour résister à la conversion forcée au christianisme.

Cette année-là également, les autorités avaient expulsé un rabbin issu du mouvement Habad, le qualifiant de menace à la sécurité sans pour autant apporter de preuve. Environ une douzaine de rabbins du mouvement – tous des ressortissants étrangers travaillant en Russie – ont été sommés de quitter le territoire russe pour diverses raisons au cours de ces dernières années.

Pendant ce temps-là, les incidents antisémites – qui sont encore rares en Russie si on les compare avec le reste de l’Europe orientale – ont gagné en gravité.

L’année dernière, des nationalistes ont pénétré dans une synagogue de Krasnodar, près de la mer Noire, pour y mener une « fouille » illégale visant à retrouver les preuves de ce qu’ils ont qualifié de « complot terroriste ». Le groupe a volé des documents, ont indiqué les fidèles, et la police n’est pas intervenue.

Ces incidents ont entraîné les protestations indignées de la Fédération des communautés juives de Russie – la FCJR – la plus importante organisation juive du pays.

Le rabbin Boruch Gorin est l’éditeur de Knizhniki, une maison d’édition basée à Moscou qui travaille à traduire du yiddish vers le russe (Crédit : autorisation)

Le rabbin Boruch Gorin, porte-parole de la Fédération, estime que « l’attitude positive » du gouvernement envers la communauté juive n’a pas changé et que l’émigration peut être motivée par des questions politiques, mais pas à l’antisémitisme dans le pays.

Les autorités russes continuent à aider les communautés juives – et en particulier celles qui sont dirigées par des rabbins Habad – à faire revivre la vie juive dans le pays et ce, d’une manière sans précédent.

Depuis 2012, au moins une douzaine de synagogues ont rouvert leur portes ou ont été restituées aux communautés de tout le pays, notamment à Moscou, Tomsk, Perm, Syzran, Kaliningrad and Archangelsk. En 2012, un musée juif – qui a coûté 20 millions de dollars – a été inauguré à Moscou avec l’aide du gouvernement. Les restaurants casher et les événements culturels juifs se multiplient dans toute la Russie, donnant le sentiment à de nombreux membres de la communauté d’être davantage chez eux que cela n’avait pu être le cas pendant des décennies.

Selon Gorin, l’expulsion des rabbins entre dans le cadre d’un mouvement de répression plus large des religieux étrangers tandis que l’étiquetage de certains textes, dorénavant considérés comme « extrémistes », résulte d’une politique plus large visant à entraver la radicalité religieuse. Il clame que les Juifs sont, en quelque sorte, les victimes collatérales de ces deux politiques.

Et pourtant, certains parmi ceux qui avaient vécu l’antisémitisme parrainé par l’Etat, à l’époque du communisme, affirment retrouver des signes croissants de haine anti-juive dans la Russie de Poutine.

C’est notamment le cas du rabbin Yosef Mendelevitch qui, en 2012, avait commencé à donner des conférences à un public juif sur son rôle dans une tentative de détournement d’avion vers Israël, en 1970. Mendelevitch avait été capturé et il avait passé onze ans au goulag.

Le rabbin Yosef Mendelevitch à l’aéroport Pulkovo de St. Petersburg, le 30 novembre 2014 (Crédit : Cnaan Liphshiz/via JTA)

Au début de l’année, un journal local l’a qualifié de terroriste et avait critiqué son apparition dans une synagogue ‘Habad à Novosibirsk.

Peu après, raconte-t-il, des manifestants ont commencé à se présenter lors de ses conférences en brandissant des pancartes portant l’inscription « Mendelevitch est un terroriste ». L’information a été finalement reprise dans les médias nationaux et les allocutions populaires de Mendelevitch ont abruptement pris fin.

Mendelevitch ajoute que lorsqu’il s’est rendu, au début de l’année, à Moscou pour savoir pourquoi son cycle de conférences avait été ainsi interrompu, il a appris que les organisations juives « avaient reçu l’ordre de ne plus me recevoir ».

Mendelevitch refuse par ailleurs de donner tout détail supplémentaire, citant « la sécurité de toutes les personnes impliquées ».

Gorin explique que cette annulation des allocutions de Mendelevitch au sein de la communauté juive avait été décidée par souci de ne pas entraîner de manifestations.

« Nous n’avons reçu aucun message des autorités au sujet de Mendelevitch même si toutes les agitations autour de lui sont clairement venues de quelque part », explique Gorin. « Nous nous interrogeons nous aussi sur leurs origines ».

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