Après un scandale, Barkan assure que ses employés éthiopiens restent en poste
Le géant des vins interdisait aux employés d'origine africaine de toucher du vin pour obtenir une nouvelle certification de casheroute, suscitant condamnations et appels au boycott
Un très important producteur de vins israélien a fait l’objet mardi de critiques et d’appels au boycott après que son directeur général a admis discriminer ses employés d’origine éthiopienne, à la demande de juifs ultra-orthodoxes qui doutent de leur judéité.
La télévision publique a diffusé un enregistrement du directeur général de Barkan Winery, Gilles Assouline affirmant qu’il devait changer de poste trois employés juifs éthiopiens afin d’éviter qu’ils aient un contact direct avec le vin.
L’un des deux grands-rabbins d’Israël a qualifié cette démarche de « pur racisme », le président a fustigé le producteur, le président de la Knesset a dénoncé un procédé honteux, tandis qu’un député a apporté son soutien au boycott de l’un des plus grands producteurs de vin israélien.
L’an dernier, la direction de Barkan avait décidé d’obtenir une certification de casheroute plus rigoureuse, celle de la Edah Haredit, selon un reportage de la chaîne publique Kan (disponible ici en hébreu). Le producteur disposait déjà d’une certification d’un rabbinat local, mais souhaitait obtenir cette certification pour obtenir des parts de marché dans le milieu ultra-orthodoxe.
Le responsable a expliqué qu’il ne faisait donc que se conformer aux exigences de la communauté Edah Haredit (littéralement « la communauté des craignants Dieu » en hébreu), qui regroupe une bonne partie des juifs ultra-orthodoxes, dont des représentants sont chargés depuis un an de vérifier que les vins de Barkan sont bien conformes aux règles alimentaires du judaïsme.
Selon ces règles, le vin, pour être consommable, ne doit pas être touché ou servi par des non-juifs.
En exigeant que des Israéliens d’origine éthiopienne ne puissent pas s’occuper du vin produit et qu’ils soient employés à d’autres tâches, la communauté Edah Haredit met en doute leur judéité.
Certaines communautés ultra-orthodoxes ne reconnaissent pas la judéité des Ethiopiens, qui ont immigré en Israël au cours des trente dernières années.
Il y a plusieurs décennies, le Grand Rabbin d’Israël Ovadia Yossef avait statué que les juifs éthiopiens devaient être considérés comme juifs.
Dans l’enregistrement diffusé par la télévision, Gilles Assouline déclare que personnellement, il n’a pas de problème envers les employés éthiopiens, mais que « les affaires sont les affaires ».
« Je suis dans une situation délicate en ce qui concerne la casheroute », dit Gilles Assouline à un employé éthiopien dans une conversation téléphonique obtenue par le radiodiffuseur Kan.
« A cause de la casheroute, je dois transférer [Yaïr] (un autre employé éthiopien) à un autre poste… pour qu’il ne touche pas [les cuves] », dit-il.
« Chacun à ses valeurs, et j’ai les miennes, et vous êtes Juif, il est Juif, et je suis Juif. Mais au bout du compte, les affaires sont les affaires ».
« Nous ne pouvons pas laisser ce marché à Teperberg (un producteur concurrent). Ils s’emparent du marché et nous allons avoir des problèmes à cause de ça », a-t-il ajouté.
De nombreux employés ont confié à Kan qu’ils étaient excédés et humiliés par ces nouvelles politiques.
« Une fois, j’ai touché du vin, et le superviseur [de casheroute] s’est approché de moi et a jeté les bouteilles par terre devant moi », a raconté un employé éthiopien de Barkan à Kan.
« Tout autre Juif qui vient travailler ici peut entrer en contact avec le vin, mais nous n’en avons pas le droit. Pourquoi ? Parce que je suis différent ? », a demandé un autre employé. « Je suis humilié, c’est du racisme. »
Interrogé sur les nouvelles politiques imposées au producteur Barkan, la Edah Haredit a invoqué la loi juive qui interdit aux non-juifs d’entrer en contact avec du vin.
« Au regard de notre engagement vis-à-vis des amateurs de vins qui observent la casheroute, la [Edah Haredit] est encore plus scrupuleuse en ce qui concerne la production de vin par ceux dont la judéité est douteuse », a déclaré le groupe dans un communiqué.
Le superviseur principal de la Edah Haredit chez Barkan a confirmé à Kan qu’il n’autorisait pas la plupart des employés éthiopiens à toucher le vin, expliquant que l’organisation privée « ne souhaite pas accepter les Ethiopiens ».
La société Barkan, considérée comme le deuxième producteur de vin israélien dont les vignes s’étendent notamment en Galilée et sur le plateau du Golan, a annoncé mardi soir que ses employés éthiopiens reprendraient leurs postes et ne seraient pas empêchées de toucher le vin, une annonce relayée mercredi matin par le radiodiffuseur Kan.
Le groupe Tempo, qui possède Barkan, a déclaré dans un communiqué que l’égalité est un élément central de sa politique d’embauche et a rejeté toutes les accusations. Le groupe a souligné que l’identité de certains employés, dont la présence à certaines étapes de la production aurait posé problème, était souvent sous la responsabilité des superviseurs de casheroute externes.
« Le groupe Tempo-Barka favorise l’égalité et s’oppose à toute manifestation de racisme ou de discrimination », a déclaré la société dans un communiqué.
« Nous nous sommes retrouvés, malgré nous, dans une situation que nous n’avons pas souhaitée, et nous avons compris que nous avons été impliqués dans une forme de [conflit] politique – et puisque nos employés nous sont tous précieux, le directeur de la société a immédiatement donné l’ordre qu’aucun employé ne soit démis de ses fonctions. »
« Il convient cependant de souligner que dans tous les cas, même si des employés avaient dû changer de poste, cela n’aurait pas impacté leur salaire. »
« Pur racisme »
Le reportage de Kan a déclenché un tollé parmi les Israéliens laïcs et religieux. Un appel au boycott a été lancé et certains ont demandé qu’une enquête soit menée sur les pratiques de l’entreprise.
L’actuel Grand Rabbin séfarade Yitzhak Yossef, fils d’Ovadia Yossef, a dénoncé l’attitude de cette communauté en affirmant qu’il s’agissait d’un « pur racisme ».
« J’ai eu vent de la directive émise par un prétendu ‘Corps de la Casheroute’ interdisant aux juifs éthiopiens pratiquants de faire du vin, et je la condamne avec la plus grande sévérité », a-t-il dit dans un communiqué mardi. « Il n’y a pas d’excuses à une telle injonction, [ce n’est rien] d’autre que du pur racisme. »
Il s’est engagé à « agir avec toute la rigueur de la loi ».
« Les juifs éthiopiens sont juifs en tous points », a proclamé le Grand Rabbin dans un communiqué.
Le président Reuven Rivlin a soutenu mardi la position du Grand Rabbin et l’a félicité pour « sa déclaration claire et résolue sur cette injustice terrible chez Barkan ». Il a exhorté le producteur à réparer cette « grave erreur » et a rappelé que les juifs éthiopiens ont été dans le passé « prêts à donner leur vie pour leur religion ».
« Nous devrions nous en souvenir afin d’éviter de graves erreurs comme celle qui s’est produite à Barkan », a ajouté le président.
Le président de la Knesset Yuli Edelstein a tweeté : « j’ai du mal à imaginer qu’un Juif refusera de boire du vin produit par des Juifs éthiopiens. Ce racisme est honteux. »
Parallèlement, un nombre croissant d’Israéliens ont manifesté, sur les réseaux sociaux, leur colère contre Barkan, et ont appelé à la démission d’Assouline ainsi qu’à un boycott de la société, reprenant régulièrement la phrase « les affaires sont les affaires » du PDG.
Des responsables politiques, des journalistes et amateurs de vin ont exprimé le dégoût que leur inspire cette affaire.
« Je n’achèterai rien à ceux qui humilient des juifs d’origine éthiopienne, et j’appelle la police à agir contre ceux qui violent la loi qui réprime les discriminations raciales », a affirmé le dirigeant du parti travailliste d’opposition Avi Gabbay sur son compte Twitter.
La députée Yael German (Yesh Atid), s’est joint aux appels de boycott, et a taxe les démarches de Barkan de « choquantes et honteuses ». Elle a appelé « quiconque se préoccupe du racisme à boycotter ce vin jusqu’à ce qu’ils présentent des excuses ».
« N’achetez plus de vin de Barkan tant que son directeur général n’aura pas été licencié pour ses remarques racistes », a pour sa part proclamé Lior Chorev, un consultant israélien sur son compte Twitter.
La société Barkan n’a pas fait de commentaire dans l’immédiat.
Intégration en Israël
Dans les années 1980 et 1990, Israël a clandestinement héliporté des milliers de Juifs éthiopiens depuis l’Ethiopie et a consacré des centaines de millions d’euros pour rapatrier la communauté vers l’Etat hébreu et aider ses membres à s’intégrer. Près de 14 000 Juifs éthiopiens vivent aujourd’hui en Israël. Ils représentent une minorité, dans un pays qui compte quelque 9 millions d’habitants. Mais leur intégration n’a pas été facile. Nombre d’entre eux sont arrivés sans aucune instruction moderne et ont sombré dans le chômage et la pauvreté.
Bien que les immigrants juifs d’Ethiopie de la communauté Beta Israël soient reconnus comme Juifs et n’ont pas à passer par un protocole de conversion, les immigrants d’Ethiopie affiliés à la communauté de Falash Mura, qui se sont convertis au judaïsme au 19e siècle, doivent repasser par la conversion après leur immigration.
Bien que nombre d’entre eux soient pratiquants, le rabbinat israélien ne les considère par comme Juifs, ce qui signifie qu’ils ne sont pas systématiquement éligibles à la Loi du retour et ne peuvent se marier dans de certaines villes, où les autorités religieuses locales doutent de leur judéité.
Si certains immigrants ont percé dans certains milieux et sont arrivés jusqu’à la Knesset, ils sont nombreux à déplorer un racisme systématique, une discrimination de la part des autorités religieuses, une pauvreté endémique et des violences policières.
Ces frustrations ont pris la forme de violentes manifestations il y a trois ans, après la diffusion d’une vidéo dans laquelle un soldat israélien d’origine éthiopienne, en uniforme, se faisait battre par un policier. Des milliers de Juifs éthiopiens et des sympathisants ont bloqué des routes et ont affronté la police, afin d’attirer l’attention sur leur souffrance et les violences policières dont ils disent faire l’objet.