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« Barsi », l’économiste qui mène la lutte drastique d’Israël contre le coronavirus

Moshe Bar Siman Tov, 43 ans, premier non-médecin à diriger le ministère de la Santé, répond aux critiques avec une stratégie visant à empêcher le coronavirus d'envahir les hôpitaux

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu (à droite) et le directeur général du ministère de la Santé Moshe Bar Siman Tov lors d'une conférence de presse sur le coronavirus COVID-19, au ministère de la Santé à Jérusalem, le 4 mars 2020. Photo par Olivier Fitoussi/Flash90)
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu (à droite) et le directeur général du ministère de la Santé Moshe Bar Siman Tov lors d'une conférence de presse sur le coronavirus COVID-19, au ministère de la Santé à Jérusalem, le 4 mars 2020. Photo par Olivier Fitoussi/Flash90)

Ses amis et collègues l’appellent « Barsi », un surnom pour un homme modeste, le genre d’homme qui aime porter des vestes de sport grises sur des chemises grises. Mais ne vous laissez pas tromper par ses manières et son air doux. Moshe Bar Siman Tov, l’homme de pointe d’Israël dans la lutte pour ralentir la propagation du coronavirus, est considéré comme l’un des gestionnaires les plus impitoyables et les plus compétents de la bureaucratie de l’État israélien. Son parcours professionnel, tout comme sa gestion de la crise du coronavirus, raconte une histoire qui en dit long sur la résistance et le succès de l’État juif au fil des ans – et, peut-être, sur sa dépendance excessive à l’égard de puissants bureaucrates.

L’homme de 43 ans est le premier non-médecin à occuper le poste de directeur général du ministère israélien de la Santé, le plus grand professionnel de santé publique du pays. Il est plutôt un économiste, et un économiste d’un genre particulier. « Barsi » est un membre et le symbole d’une petite sous-section de l’administration israélienne surnommée « les jeunes du Trésor » par le reste de la bureaucratie de l’État.

Il s’agit d’équipes de jeunes économistes dans la vingtaine et la trentaine qui travaillent sur des graphiques et des chiffres au sein du département des budgets du ministère des Finances. Il est difficile d’exagérer leur influence démesurée, ou leur sens démesuré de l’autonomie. Le département des budgets, chargé de planifier et de suivre le budget de l’État, se qualifie lui-même de « commando de la fonction publique ». Il estime qu’il est le seul à protéger la nation contre les effets catastrophiques des déficits galopants, qu’il est le seul à protéger les intérêts fiscaux du public lorsque tous les autres – politiciens, militants, voire le public lui-même – conspirent pour mettre la nation sur la voie d’une Grèce ou d’un Venezuela.

En 2015, lorsqu’il est devenu le premier non-médecin à diriger le ministère de la Santé, l’Association médicale israélienne a fait appel de cette nomination devant la Cour suprême de justice, affirmant que son manque d’expertise médicale le rendait particulièrement inapte à exercer cette fonction

Moshe Bar Siman Tov a été élevé dans un foyer religieux, mais il est maintenant laïc. Pourtant, il possède une foi presque religieuse dans le rôle vital que les économistes purs et durs peuvent et doivent jouer dans le secteur public, en faisant les choix difficiles mais responsables que les responsables politiques et les groupes d’intérêt souvent ne font pas. C’est une foi qu’il partage avec d’autres « jeunes du Trésor » (il a un jour protesté contre le fait qu’il n’est « plus si jeune » lorsqu’un journaliste lui a lancé cette phrase en pleine figure) et avec les responsables de la planification professionnelle d’autres organismes gouvernementaux.

En 2015, lorsqu’il est devenu le premier non-médecin à diriger le ministère de la Santé, l’Association médicale israélienne a fait appel de cette nomination devant la Cour suprême de justice, affirmant que son manque d’expertise médicale le rendait particulièrement inapte à ce poste. Le gouvernement a répondu en affirmant qu’un économiste n’était pas moins apte à gérer le système de santé qu’un médecin.

Le tribunal a pris le parti du gouvernement et confirmé la nomination. Mais même s’il a refusé d’intervenir, le juge Elyakim Rubinstein a écrit qu’il « espère que l’expérience réussira… et que le système de santé et le public bénéficieront tous des compétences que le nouveau directeur-général possède dans les domaines de l’économie et de la réglementation de la santé ».

Le directeur général du ministère de la Santé, Moshe Bar Siman-Tov, assiste à une conférence de presse sur le coronavirus, au bureau du Premier ministre à Jérusalem, le 8 mars 2020. (Yonatan Sindel/Flash90)

Une chose est sûre : les patrons directs de Bar Siman Tov, le ministre de la Santé Yaakov Litzman et le Premier ministre Benjamin Netanyahu, estiment que l’expérience a été un succès retentissant et ont montré qu’ils étaient prêts à prendre des mesures drastiques et impopulaires à l’instigation de Moshe Bar Siman Tov. Il est, à son tour, célèbre dans les couloirs du gouvernement pour avoir soutenu vigoureusement des collaborateurs qui s’attirent des critiques pour des décisions impopulaires mais, selon lui, justifiées.

Il représente donc une sorte d’apothéose de l’influent bureaucrate israélien, une strate du gouvernement qui, de l’avis de beaucoup, mérite beaucoup de crédit pour les réalisations et les forces stupéfiantes d’Israël, mais qui suscite des inquiétudes quant à son influence écrasante sur la prise de décision.

Coronavirus : protection et difficultés

La réponse rapide et vigoureuse d’Israël à l’épidémie de coronavirus a été jugée extrême par de nombreux observateurs. Elle a suscité des réactions violentes à Pékin, Séoul et Rome, car leurs ressortissants ont été soudainement, et parfois sans avertissement, refoulés à l’aéroport. Israël a fait plus pour limiter les voyages en provenance d’un plus grand nombre de pays, et ce plus rapidement que toute autre nation au monde.

Début mars, alors que l’ampleur de la menace augmentait et que les gouvernements italien et américain étaient critiqués pour avoir fait trop peu, la colère contre les quarantaines et les restrictions de voyage aérien décidées par Moshe Bar Siman Tov s’est atténuée.

« Barsi » a pris des mesures énergiques pour ralentir la pénétration du virus en Israël – non pas parce qu’il pensait pouvoir l’arrêter, mais parce que ralentir sa propagation éviterait de surcharger les hôpitaux et les infrastructures sanitaires du pays. Selon les experts de la santé, la réflexion était judicieuse. Le nombre de respirateurs artificiels et de spécialistes des poumons en Israël est limité, ce qui fait que le nombre de décès dus au virus ne dépend pas du nombre de personnes qui tombent malades, mais du rythme auquel elles le sont.

Si le nombre de malades à un moment donné pouvait être maintenu à des niveaux que l’infrastructure sanitaire israélienne pourrait accueillir, un nombre bien plus important survivrait à l’infection. Le ralentissement de la propagation pourrait faire la différence entre quelques centaines de morts à la fin de la crise et plusieurs milliers, voire plus, qui succombent parce que les hôpitaux ne peuvent pas les traiter correctement et que les appareils respiratoires sont en nombre insuffisant.

Il s’agissait d’une réponse exceptionnellement efficace à une crise de santé publique, et certains ont déjà suggéré que le fait qu’un économiste du gouvernement en soit responsable – un économiste formé non seulement à discerner les tendances, mais aussi à agir rapidement et de manière décisive sur celles-ci – a fait toute la différence.

Un touriste portant un masque pour se protéger du coronavirus au mur Occidental, dans la Vieille Ville de Jérusalem, le 5 mars 2020. (Crédit : Olivier Fitoussi / Flash90)

Pourtant, ce tableau rose de détermination et de compétence n’est qu’une petite partie de l’histoire. Les décisions prises par le gouvernement au cours du mois dernier ont suscité beaucoup de peur et de réelles difficultés.

Comme l’a déclaré Arnon Bar-David, chef de la Histadrout, le principal syndicat de travailleurs israéliens, lors d’une conférence de presse mardi, « Nous sommes à l’aube d’un ‘Yom Kippour’ [Jour du Grand Pardon] pour toute l’économie israélienne. Je crains pour le sort de notre économie et de notre société ».

Plusieurs secteurs qui dépendent des voyages internationaux et des grands rassemblements de personnes – hôtels, voyagistes, compagnies d’autobus privées, salles d’événements, compagnies aériennes, organisateurs de conférences, traiteurs – sont anéantis par la disparition soudaine de la plupart de leurs activités à court terme

La rhétorique dramatique du fonctionnaire reflète une inquiétude palpable parmi les Israéliens alors que des centaines de milliers d’entre eux commencent à ressentir les retombées économiques des mesures draconiennes du ministère de la Santé.

Plusieurs secteurs qui dépendent des voyages internationaux et des grands rassemblements de personnes – hôtels, voyagistes, compagnies d’autobus privées, salles d’événements, compagnies aériennes, organisateurs de conférences, traiteurs – sont anéantis par la disparition soudaine de la plupart de leurs activités à court terme.

L’aéroport Ramon, dans le sud du pays, a annoncé la semaine dernière un sombre programme, licenciant d’abord les travailleurs sans enfants et essayant de garder ceux qui ont des familles à nourrir, car les vols ont cessé et les recettes se sont taries. Cette annonce était un triste signal du fait que la direction n’avait aucune idée du moment où elle pourrait être en mesure de réembaucher les employés licenciés.

Les agences de voyage du pays mettent leurs guides touristiques en congé sans solde pour les mois à venir. Les compagnies aériennes ont modifié le régime de rémunération de leurs pilotes, passant d’un salaire mensuel à un salaire horaire, y compris pour les pilotes chevronnés. Les pilotes ont alors vu les plans de vol se réduire et les heures de travail disparaître.

Les salles de départ vides de l’aéroport Ben Gurion. Les gens annulent leurs voyages par crainte du coronavirus, le 8 mars 2020. (Crédit : Flash90)

Lundi, la crise économique potentielle s’est aggravée de manière spectaculaire, Israël ayant annoncé une quarantaine de 14 jours pour tous les voyageurs internationaux, de sorte que la récession s’étende à tous les secteurs de l’économie. Si Moshe Bar Siman Tov a peut-être initié cette mesure, en exigeant une quarantaine pour les visiteurs des États-Unis, ou du moins de certaines régions des États-Unis connaissant des épidémies virales, on ne sait pas encore ce qui a poussé le gouvernement à appliquer la quarantaine à toutes les régions du monde. Les médias israéliens ont laissé entendre mardi qu’il avait suivi la pression américaine, le vice-président américain Mike Pence ayant demandé à Netanyahu de ne pas déclarer une quarantaine visant l’Amérique.

Quoi qu’il en soit, le virus, et la réponse d’Israël à celui-ci, a déjà perturbé l’accès du pays aux voies d’approvisionnement mondiales, car une proportion importante des importations arrivent en Israël sur des vols commerciaux désormais annulés. Brusquement, les chantiers de bois d’œuvre ne sont plus approvisionnés. De nombreuses entreprises technologiques licencient même actuellement des ingénieurs parce qu’elles ne peuvent plus acquérir les composants pour leurs produits depuis l’étranger. De même, le domaine religieux n’est pas à l’abri de cette perturbation, étant donné que les églises et les institutions religieuses perdent une source vitale de revenus généralement stables, à mesure que les pèlerinages et les voyages de bar-mitzvah cessent.

Les Israéliens ne paniquent peut-être pas, mais les familles de tout le pays se résignent à la perspective des temps douloureux et incertains qui s’annoncent. Du personnel chargé du nettoyage au salaire minimum aux pilotes les mieux payés, chaque décile de l’économie israélienne va ressentir un resserrement de la ceinture – certains déciles étant beaucoup moins capables de faire face ou de rebondir que d’autres.

S’épanouir dans les dilemmes

L’ascension de Moshe Bar Siman Tov dans la fonction publique a été fulgurante. Il avait à peine 25 ans et n’avait même pas terminé sa licence à l’Université hébraïque de Jérusalem lorsqu’il a obtenu son premier emploi dans l’équipe chargée du travail et de l’aide sociale du département des budgets. Cinq ans plus tard, en 2006, à seulement 30 ans, il était nommé coordinateur principal de l’équipe de planification de l’aide sociale au Bituah Leumi, l’agence nationale de sécurité sociale d’Israël – le principal organisme national de distribution des aides sociales. Deux ans plus tard, il dirigeait l’équipe du budget de la Santé du Bituah Leumi, et deux ans après, il retournait au ministère des Finances en tant que chef adjoint du département des budgets en charge des affaires sociales, y compris la santé, la protection sociale et l’éducation.

Il est l’un des exemples les plus réussis de la « jeunesse du Trésor », mais ce n’est pas inhabituel. Cette coterie de fonctionnaires est préparée au leadership et souvent affectée à des équipes de planification en dehors du ministère dans le but d’apporter la culture de planification économique à long terme du ministère – et, selon certains, d’étendre l’influence du ministère lui-même – à d’autres agences gouvernementales.

En 2011, après que Moshe Bar Siman Tov a dirigé l’équipe du Trésor qui négociait avec l’Association médicale israélienne une nouvelle structure nationale de rémunération pour les médecins des hôpitaux publics, il a accordé une rare interview personnelle au journal économique Globes.

Des parents d’enfants du département d’hématologie de Hadassah Ein Kerem interpellent le directeur général du ministère de la Santé, Moshe Bar Siman-Tov, à la Cour suprême de Jérusalem, le 27 juin 2017, après une audience sur les difficultés du département. (Yonatan Sindel/Flash90)

Les négociations ont été âpres. Le chef de l’Association médicale israélienne, Leonid Edelman, avait entamé une grève de la faim, et les accusations de diverses parties aux négociations accusaient « Barsi » de causer des dommages irréparables au système de santé israélien.

C’est à ce moment que ce dernier a déclaré à Globes, en septembre 2011, qu’il « aime » son travail.

« Je ne m’excuserai pas pour le fait que j’aime mon travail. C’est amusant, non pas parce que je pourrais avoir à écraser les gens, mais parce que je suis dans l’arène », avait-il expliqué. « Mon travail [en tant que responsable des budgets sociaux à l’époque] est considéré comme le moins attrayant des postes d’adjoints du département, parce que je ne pave pas les routes et que je n’amène pas de nouveaux opérateurs sur le marché de la téléphonie mobile. Je fais des choses qui sont les composantes de base de toute société. Mais toute décision de ce genre a un coût. Vous êtes toujours dans un dilemme, dans un conflit, parce qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise [décision] dans l’équipe sociale [des budgets]. La complexité de ces questions est fondamentale pour eux, et je m’épanouis dans ces dilemmes ».

Il est à la fois un produit et un évangéliste de la culture de planification économique rigoureuse du département des budgets, et fait partie d’un échelon professionnel extraordinairement influent sur de nombreux organismes gouvernementaux – l’armée, le bureau du Premier ministre, le ministère de l’Intérieur, le Conseil de sécurité nationale, pour n’en citer que quelques-uns – qui est généralement considéré comme un instrument clé de la résilience et de l’intelligence politique d’Israël.

Cette culture, plus que tout autre facteur, peut permettre d’expliquer comment Israël a été capable de prendre des mesures aussi radicales face à la menace du coronavirus, et de les mettre en œuvre malgré l’opposition véhémente des grandes entreprises, des syndicats influents et de certains hommes politiques de haut rang.

Les moments de crise peuvent être révélateurs. Certains critiques ont affirmé que la réaction excessive d’Israël à l’épidémie était due aux besoins des responsables politiques israéliens en matière de campagne électorale. Mais un regard sur la situation aux États-Unis ou en Italie suggère que la classe politique, laissée à elle-même, aurait probablement préféré une approche plus laxiste et moins perturbatrice sur le plan économique.

Toute tentative de comprendre la réponse d’Israël à des crises telles que celle que nous connaissons actuellement doit tenir compte du pouvoir, de l’influence et de la culture de la fonction publique de l’État, qui est sûre d’elle et puissante. Les bureaucrates israéliens, qui jouissent de la confiance et de l’aversion de la classe politique du pays, ont prouvé qu’ils étaient capables de prendre des mesures décisives en cas de crise.

Le temps nous dira si les mesures énergiques et de grande envergure décidées par Moshe Bar Siman Tov seront justifiées par les événements et si elles seront enviées par d’autres pays dans le monde – ou si elles auront causé des dégâts radicalement inutiles, soulevant de nouvelles questions sur le pouvoir considérable de la bureaucratie d’État du pays.

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