Blockchain: Des firmes révèlent des liens avec l’industrie des options binaires
Les actionnaires d'Invest.com prétendent que Moshe Hogeg, directeur de l'entreprise et propriétaire du Beitar Jérusalem, s'est rendu coupable de malversations

Le 23 novembre, un magistrat de Tel Aviv a nommé un liquidateur temporaire pour la compagnie IDC Investdotcom Holdings, mieux connue sous le nom d’Invest.com, après son échec à mettre en place un système de défense devant le tribunal contre une plainte déposée de 15 novembre qui demandait sa fermeture.
Cette plainte exigeant la liquidation de la firme, dirigée par le propriétaire de l’équipe de football du Beitar Jérusalem, a révélé les liens proches entre l’industrie des options binaires qui a été récemment mise hors-la-loi et la sphère des crypto-devises dans le pays, actuellement prospère.
Ce sont 17 anciens actionnaires de l’entreprise AnyOption, aujourd’hui disparue, qui ont déposé plainte. Ils ont demandé à la cour de mettre un terme aux activités de IDC Investdotcom Holdings Limited, société chypriote qui, selon les plaignants, était exploitée depuis Israël. Les anciens actionnaires d’AnyOption ont affirmé qu’ils possédaient également des parts d’IDC Investdotcom Holdings mais ils ont prétendu que l’un des directeurs de la firme, Moshe Hogeg, a systématiquement volé les actifs et les profits de l’entreprise d’une manière telle que cette dernière, qui aurait dû enregistrer des bénéfices élevés, était devenue insolvable et dans l’incapacité de couvrir ses coûts d’opération les plus basiques.
Un porte-parole a déclaré que Hogeg avait lancé une contre-attaque judiciaire contre AnyOption devant un tribunal chypriote.
Les 17 plaignants ont affirmé qu’en dépit du fait que la société, mieux connue sous le nom d’Invest.com, a mené deux ICOs (Initial Coin Offerings) initiales, qui ont rapporté chacune des dizaines de millions de dollars, Hogeg n’a pas partagé les revenus de ces offres publiques avec les actionnaires comme il a l’obligation de le faire, préférant conserver l’argent pour son propre usage de manière complètement illégale.
Hogeg, l’un des plus importants entrepreneurs israéliens dans le secteur des crypto-devises s’est livré, ces dernières mois, à des dépenses effrénées ayant atteint plusieurs millions de dollars. Le 20 juin 2018, il aurait acheté un terrain de 19 millions de dollars à Kfar Shmaryahu, un quartier huppé de Tel Aviv, à l’homme d’affaires Ilan Ben-Dov, en payant une partie en Bitcoins.
Au mois d’août, il s’est porté acquéreur du Beitar Jérusalem, l’une des meilleures équipes de football israéliennes, pour un montant de 7,2 millions de dollars.
En octobre, l’université de Tel Aviv a annoncé avoir accepté un don de 1,9 million de dollars de la part de Hogeg qui servira à financer « l’Institut Hogeg pour les Applications Blockchain » au sein de l’école de management Coller de l’université.

Invest.com doit encore répondre à la plainte mais un porte-parole de Moshe Hogeg a expliqué au Times of Israel que l’entreprise n’était pas insolvable. « Il n’y a néanmoins aucun moyen d’anticiper ce que sera l’ordonnance de la cour dans une procédure judiciaire », a-t-il ajouté.
Hogeg est à la tête d’un réseau d’entreprises inscrites en Israël et à l’étranger. Il est le co-fondateur et le partenaire de gestion de Singulariteam, un fonds privé de capital-risque qui investit dans des firmes technologiques israéliennes. Il est également fondateur de l’entreprise Alignment Blockchain Hub, qui conseille et aide au développement de projets de blockchain à leurs stades initiaux. Le portefeuille de Singulariteam, selon son site internet, comprend des entreprises comme Invest.com, Sirin Labs, GetStocks, Yo et Mobli.
Dans la plainte déposée devant la cour, il est noté que Singulariteam possédait 18,69 % de la IDC Investdotcom Holdings Ltd. et Hogeg en était l’un des directeurs.
Selon les médias en hébreu, Singulariteam a fait savoir, en réponse aux allégations des plaignants, que la société avait porté plainte contre AnyOption et ses actionnaires devant un tribunal chypriote, le 14 mai, pour fraude et violation de contrat. Un porte-parole de Hogeg a confirmé au Times of Israel qu’une telle plainte avait en effet été déposée. Il a ajouté qu’AnyOption avait reçu tous les tokens auxquels l’entreprise pouvait prétendre.
Des options binaires aux crypto-devises
Israël a mis hors-la-loi l’industrie des options binaires au mois d’octobre 2017, en partie en raison des énormes pressions subies par les représentants de l’Autorité israélienne des Titres lors des réunions avec l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV).
Une option binaire est un contrat d’option dont le gain dépend du prix d’un autre actif – comme des actions Apple, ou encore le marché de l’or et du blé. Si le propriétaire de l’action anticipe correctement la direction prise par le prix au moment d’une échéance prévue, il gagne un montant prédéterminé et, si ce n’est pas le cas, il perd alors la somme « investie » dans le marché particulier.
Dans le cas de l’industrie israélienne des options binaires, toutefois, les entreprises offrant ces contrats étaient largement frauduleuses. Elles trompaient des victimes dans le monde entier en leur faisant croire qu’elles avaient gagné de l’argent en investissant, les encourageant à investir encore davantage avant de couper tout contact avec le client et de disparaître avec les fonds. L’industrie aurait dérobé des milliards de dollars à des victimes, dans le monde entier, sur une période de dix ans. Depuis l’interdiction de l’industrie en Israël, de nombreux anciens opérateurs d’entreprises d’options binaires se sont reconvertis dans d’autres produits financiers, comme les ICOs ( initial coin offerings).
Un ICO est une forme de campagne de collecte de fonds dans laquelle une start-up, au lieu d’offrir des parts au public, émet un token spécial – ou pièce numérique – pouvant être utilisée au sein de la plate-forme de l’entreprise pour accéder à des biens et à des services. La start-up acquiert donc à la fois des utilisateurs et un financement, avec l’espoir qu’en cas de réussite de l’entreprise, la valeur du token s’élève sur les marchés secondaires, enrichissant ses actionnaires.
Jusqu’à sa fusion avec Invest.com au mois de juin 2017, AnyOption était l’une des anciennes firmes d’options binaires israéliennes, avec des d’antécédents de mise en gardes de la part des régulateurs étrangers.
Au mois de décembre 2009, les régulateurs d’Argentine avaient ainsi ordonné à l’entreprise propriétaire d’AnyOption.com de cesser de solliciter des clients dans le pays.
En décembre 2011, les régulateurs italiens avaient émis une mise en garde sur la compagnie qui opérait sans autorisation.
Au mois de décembre 2012, AnyOption avait été régulée à Chypre, obtenant une autorisation pour mener ses activités dans toute l’Europe. Malgré cette régulation européenne, en septembre 2015, la commission des titres de l’Ontario avait mis en garde les investisseurs contre AnyOption.com et, le même mois, l’Autorité des affaires financières et de la consommation de Saskatchewan, au Canada, avait adopté une ordonnance d’interdiction d’opération contre la société.
Selon une déclaration sous serment faite par Shy Datika, l’un des tous premiers actionnaires d’AnyOption, Invest.com a fusionné au mois de juin 2017 avec AnyOption, lorsqu’il est clairement apparu qu’Israël approuverait rapidement une loi interdisant le commerce des options binaires et qu’AnyOption ne pourrait dorénavant plus en vendre. Il s’avère que la soeur de Datika, Liora Shimoni, est haute-responsable au bureau du Contrôleur de l’Etat, l’instance gouvernementale dont le rôle est de lutter contre la corruption.
« A la veille de la signature de la fusion avec IDC Investdotcom, AnyOption avait des millions de clients, des permis pour mener ses activités en Europe et ailleurs et des liquidités supérieures à un million de dollars. La société avait des commerciaux professionnels et bien formés, une plate-forme de trading avancée et sa propriété intellectuelle », dit la plainte.
Selon Datika, Invest.com a été intéressé par l’acquisition de tout ces atouts pour développer son propre commerce. Au début, affirme Datika, Invest.com a offert des services de Forex et de trading de CFD aux investisseurs, décidant ultérieurement de tenter de lever des fonds via des offres de type ICOs et les crypto-devises.
Selon Datika, même si IDC Investdotcom est une entreprise enregistrée à Chypre, la majorité de ses employés et de ses dirigeants – notamment Hogeg – travaillaient à partir des bureaux de sa filiale israélienne à Ramat Gan, au 2 rue Jabotinsky.
Au mois de février 2018, raconte Datika, AnyOption et Invest.com ont changé les termes de leur accord de fusion. Les deux conventions stipulaient que les actionnaires d’AnyOption seraient propriétaires de 35 % d’Invest.com, mais le nouvel accord a précisé qu’au lieu de payer 7 millions à l’entreprise, Invest.com verserait la somme de 3,5 millions aux actionnaires d’AnyOption ainsi que des parts ou des tokens de Stox – nouvelle société de crypto-devises qui en était au stade de son lancement.
Au mois d’août 2017, Stox a collecté 34 millions de crypto-devises sous forme de monnaie Ether à travers son ICO, affirme la plainte. Les jours qui ont suivi, la valeur des Ether que la société avait collecté a atteint 60 millions de dollars. Une autre campagne d’ICO a eu lieu au mois de février 2018 pour un projet appelé Zodiac qui aurait rapporté 33 millions de dollars supplémentaires, note la plainte.
Invest.com aurait donc dû engranger des millions de dollars à partir de ses ICOs et autres activités, « mais les revenus de toutes ces activités ne sont pas arrivés dans les coffres d’Invest.com et ils ont été volés par Hogeg », menant Invest.com à l’insolvabilité, explique la plainte.
Un porte-parole de Hogeg a déclaré au Times of Israel que « Zodiac est un projet privé qui n’a jamais émis de tokens », ajoutant qu’AnyOption a reçu « tous les tokens auxquels il pouvait prétendre ».
La plainte contient de nombreux détails qui mettent en lumière les opérations de l’industrie Blockchain en Israël, dont Singulariteam de Hogeg est un investisseur éminent. Par exemple, la plainte déplore que les logiciels et les employés de l’industrie des options binaires ont été reconvertis dans la vente de tokens aux investisseurs, dans le cadre des ICOs.
La plainte clame qu’au mois de mars 2018, Hogeg a fondé une compagnie chypriote appelée C3 Tech Solutions dont les actions sont inscrites au nom de Roee Brocial, employé de Singulariteam et chauffeur personnel de Hogeg.
Selon la plainte, C3 Tech Solutions Limited exploite un site internet appelé coinshop.biz qui est une plate-forme de trading permettant l’achat et la vente de crypto-devises. La société utilise les logiciels et les employés d’ AnyOption sans qu’Invest.com ne touche un revenu quelconque sur ses activités.
Dans sa déclaration sous serment, Datika, l’ancien actionnaire d’AnyOption, clame également qu’au début du mois, alors qu’Invest.com changeait de bureaux, un employé lui a envoyé par inadvertance des documents internes.
Selon Datika, ces documents ont révélé qu’une filiale d’Invest.com, IDC Global Services, située à Belize, avait passé deux contrats en 2016 avec deux entreprises supplémentaires qui avaient offert de recruter des investisseurs pour Invest.com. Il s’agissait d’une société inscrite sur le registre des Iles vierges britanniques répondant au nom de Ladera International S.A. et d’une compagnie israélienne, Protrader A.D.I. Ltd.
Selon Datika, les contrats étaient excessivement généreux envers l’autre partie. Il avait été offert à Protrader 80% de la valeur de chaque client présenté à Invest.com, et 72,5% à Ladera. Ces conventions passées, dit Datika, n’avaient aucune justification au plan financier pour Invest.com.
Des documents vus par le Times of Israel révèlent que Ladera International est associé à une entreprise israélienne appelée Yaniv Levi Investments, dont les bureaux se situent chez un caviste de Tel Aviv, au 126 rue Ben Yehuda. Le magasin appartient à un ancien employé d’une entreprise de Forex, Markets.com, qui s’appelle Yaniv Levi. Roman Abramov, un ami proche de Yair Netanyahu, fils du Premier ministre, est un ancien employé de Yaniv Levi Investments, a confirmé Abramov au Times of Israel, même s’il a refusé de dire quel était son rôle au sein de la compagnie.
Le registre israélien des entreprises révèle que Protrader A.D.I. a été fondé en 2012 par un homme appelé Omer Cohen. Peu après, ses actions ont été transférées à un ancien employé de Markets.com, Omri Peer.
Dans une plainte déposée en 2016 contre Protrader A.D.I. par un fournisseur de logiciels de marketing, ce dernier a affirmé que tandis qu’il installait des équipements dans les bureaux de Tel Aviv de Protrader, il lui avait été demandé d’envoyer une facture à une firme enregistrée à Anguilla, appelée Investing Solutions Ltd., à une adresse en Bulgarie. Investing Solutions Ltd.à à Anguilla, est associée au site d’options binaires Everyoption.com.
De plus, Datika précise qu’il a appris que Hogeg a créé, le 27 septembre 2018, une compagnie chypriote appelée HMC Ventures Ltd. qui, selon lui, exploiterait le nouveau projet d’Invest.com en collaboration avec le marché boursier des crypto-devises américain Bittrex à la suite de l’ICO de Zodiac. La plainte clame que 15 % des Tokens de Zodiac ont été achetés par des investisseurs japonais et que les plaignants soupçonnent que les parts de l’entreprise de ces derniers aient pu disparaître.
Un porte-parole de Hogeg a indiqué que Zodiac n’avait pas lancé d’ICO.
Selon la plainte, Invest.com a licencié un grand nombre de ses employés dernièrement, dans l’incapacité de payer leurs salaires ou les bénéfices. La compagnie ne paie pas non plus les coûts d’opération de ce qui était AnyOption dans le passé, notamment les frais de location des bureaux, les frais de comptabilité, les taxes dans des juridictions variées, et le tout à hauteur de centaines de milliers de dollars. Invest.com doit également des centaines de milliers de dollars au cabinet d’avocats Herzog, Fox & Neeman, qui le représente dans un certain nombre d’affaires, selon la plainte.
Des amis hauts-placés
Hogeg, 37 ans, est le fils d’un officier de carrière au sein de l’armée israélienne qui a ensuite travaillé pour le ministère de la Défense et d’une mère artiste. Il a grandi à Beer Sheva. Passionné de sports, il a raté ses examens de fin de lycée, selon une interview qu’il avait accordé en 2014 au quotidien économique Globes. Après une carrière militaire de sept ans dans une brigade cynophile, Hogeg aurait attrapé le virus de l’entrepreneuriat.
Sa première start-up, fondée en 2008, s’appelait Web2Sport et elle permettait aux supporters de football de regarder des matchs en direct et de prendre des décisions en temps réel sur ce que devaient faire les joueurs – leur faisant endosser le rôle du coach de l’équipe. La start-up a duré environ un an mais, au cours de sa courte durée de vie, elle a su attirer plusieurs investisseurs riches et connus. Parmi eux, Alon Carmel, fondateur de JDate, et l’homme d’affaires israélien Danny Rubinstein, ainsi qu’Easyforex, l’une des toutes premières entreprises de Forex israéliennes. Selon le registre des entreprises chypriotes, deux des tous premiers actionnaires d’nEasyforex étaient les frères Joseph et Ishay Mor. Ishay Mor et leur père Pesach Mor sont les directeurs de Lukoil Israel, filiale de la corporation multinationale russe du secteur de l’énergie Lukoil.
En 2010, Hogeg a lancé un site de partage de photos et de vidéos appelé Mobli dont de nombreux investisseurs avaient espéré qu’il devienne un concurrent crédible de sites comme Vine et Instagram. Même s’il a finalement échoué à atteindre cet objectif, Mobli a su attirer d’importants investisseurs là aussi, notamment, selon des informations, la star du tennis Serena Williams, le milliardaire mexicain Carlos Slim et l’homme d’affaires kazakh Kenges Rakishev.
Rakishev était devenu célèbre en 2007 lorsqu’il avait négocié un accord pour l’oligarque kazakh Timur Kulibayev, gendre du président kazakh President Nursultan Nazarbayew, qui avait déterminé l’achat de l’habitation du Prince Andrew d’Angleterre pour une somme estimée ) 21,8 millions de dollars. Le beau-père de Rakishev, Imangali Tasmagambetov, est actuellement ambassadeur kazakh en Russie. Il a été ministre de la Défense et vice-Premier ministre de son pays.
En 2012, Rakishev et Hogeg avaient lancé le fonds de capital-risque qui devait devenir connu sous le nom de Singulariteam. C’est l’un des fonds d’investissement les plus actifs de l’Etat juif.
Hogeg s’est associé à plusieurs start-ups spécialisées dans le blockchain, qui ont soulevé d’importantes sommes via des ICOs, notamment Sirin Labs, qui aurait engrangé 158 millions de dollars auprès d’investisseurs du monde entier à la fin de l’année 2017 et Bancor, où Hogeg est encore conseiller et investisseur, qui a collecté 153 millions de dollars en juin 2017. La société israélienne qui exploite Bancor, Localcoin Ltd., appartient, entre autres actionnaires, à la nièce du Premier ministre Benjamin Netanyahu, selon le registre israélien des sociétés.