B’Tselem ne portera plus plainte contre Tsahal et la police pour abus contre les Palestiniens
Citant son manque de confiance dans le système israélien, l’ONG ne signalera plus les violations des droits de l'homme au nom des Palestiniens, car, dit-elle, le faire ne mène pas à la justice
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.
Depuis plus de 25 ans, l’organisation des droits de l’homme B’Tselem dépose plainte au nom des victimes palestiniennes d’abus présumés commis par l’armée israélienne, la police et les résidents des implantations israéliens en Cisjordanie et à Gaza – mais c’est fini.
Citant son manque de confiance dans le système, le groupe a annoncé mercredi qu’il ne signalera plus les déclarations d’abus aux Forces de défense israéliennes ni à la police israélienne, a annoncé le groupe, mercredi.
« B’Tselem continuera à documenter les violations des droits de l’homme commises par Israël dans les territoires et de rédiger des rapports, mais ne déposera plus plainte, ni ne coordonnera les réunions entre les enquêteurs de la police militaire, des victimes et des témoins palestiniens, ni n’acquerra les divers documents pour les autorités de l’enquête », a déclaré le groupe, mercredi matin.
Cependant, a déclaré un porte-parole, l’organisation respectera toujours les ordonnances judiciaires et les demandes officielles d’information.
Si la police demande une copie d’une vidéo filmée par un bénévole de B’Tselem, par exemple, cette demande sera honorée.
Mais le groupe ne fonctionnera plus comme un « sous-traitant » pour l’unité de l’enquête de la police militaire, a déclaré la porte-parole de B’Tselem, Sarit Michaeli.
L’organisation, dirigée par Hagai El-Ad, utilise des photographes et vidéographes palestiniens en Cisjordanie pour documenter la conduite des soldats et des résidents des implantations israéliens dans la région.
En mars, l’un des bénévoles du groupe, Imad Abu Shamsiyeh, a filmé le soldat de Tsahal, le sergent Elor Azaria, tirant dans la tête du terroriste palestinien désarmé et blessé, après une attaque au couteau à Hébron. Cette vidéo a suscité un débat à l’échelle nationale sur la force excessive et les valeurs de Tsahal.
B’Tselem a cité deux raisons principales pour justifier sa décision : les insuffisances des organes d’enquête d’Israël pour enquêter sur les crimes contre les Palestiniens et le fait que la lutte contre les incidents individuels n’aborde pas la principale préoccupation de B’Tselem, que l’organisation décrit comme étant l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza.
Bien que par le passé, le groupe ait fréquemment contacté l’armée avec des preuves de crimes, ces enquêtes ont donné lieu à relativement peu de condamnations significatives, a déclaré le groupe.
Selon B’Tselem, l’organisation a déposé 739 plaintes en Cisjordanie depuis 2000 pour les incidents dans lesquels des « Palestiniens ont été tués, blessés ou battus par des soldats, ont vu leurs biens endommagés ou ont été utilisés par des soldats comme boucliers humains ».
Parmi eux, 182 incidents n’ont donné lieu à aucune enquête par l’Unité d’enquête de la police militaire (MPI), tandis que 343 cas ont été étudiés, sans jamais aboutir à quoique ce soit.
Dans 25 des 739 cas, les soldats ont été inculpés. Dans 13 autres, les troupes ont reçu des punitions faibles, au sein de leur unité. 132 autres cas étaient encore à l’étude, et les dossiers de 44 autres cas n’ont pas été retrouvés par l’unité de l’avocat général militaire.
« Les enquêtes de la MPI sont menées avec négligence, ce qui ne permet pas que l’enquêteur arrive à la vérité », a déclaré B’Tselem.
« Au lieu de preuves, les enquêtes reposent presque exclusivement sur les témoignages de soldats et de Palestiniens », a indiqué le groupe, « même quand il apparaît qu’il y a des contradictions dans les témoignages des soldats ».
Dans son annonce, B’Tselem a accablé l’unité de la MPI de critiques : la difficulté qu’ont les Palestiniens à déposer ces plaintes, un manque de transparence dans les affaires et la lenteur des enquêtes, qui ont parfois pour conséquence que des soldats responsables sont libérés de l’armée avant que justice ne soit rendue.
Dans une conversation plus tôt cette année avec le Times of Israel, Michaeli décrit la manière dont le groupe dépose plainte auprès de l’armée sans que rien n’en ressorte jamais avec une citation célèbre d’Albert Einstein : « La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent ».
La coopération de B’Tselem avec l’application de la loi israélienne donne de la « légitimité » à ce qu’ils considèrent comme un système fondamentalement vicié, déclare le groupe.
Et au-delà, le but de B’Tselem n’est pas de punir des soldats individuels, a expliqué Michaeli. L’objectif du groupe est la fin du contrôle d’Israël sur la Cisjordanie et Gaza, ce que ce type de plaintes ne permet pas.
« [L’application de la loi militaire] est censée enquêter sur des incidents spécifiques, dans lesquels il y a un soupçon que les soldats ont agi contre les règlements ou les ordres qui leur ont été donnés. Ce système n’enquête pas sur les ordres eux-mêmes ni sur ceux qui sont responsables de l’établissement des politiques et de la rédaction des règlements », a affirmé B’Tselem dans son annonce.
« La coopération avec l’application de la loi militaire et le système d’enquête n’apporte pas la justice, mais accorde une légitimité au régime d’occupation et aide à sa validation », a indiqué le groupe.