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Opinion

La démolition de la démocratie en Israël débute la semaine prochaine

Sans débat, sans même permettre à l’opposition de se prononcer, le chef de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset a l’intention de passer au vote dès lundi

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Des dizaines de milliers de manifestants rassemblés contre le projet de réforme du système judiciaire du gouvernement, à Tel Aviv, le 4 février 2023. (Crédit : Gili Yaari/Flash90)
Des dizaines de milliers de manifestants rassemblés contre le projet de réforme du système judiciaire du gouvernement, à Tel Aviv, le 4 février 2023. (Crédit : Gili Yaari/Flash90)

En dépit de la promesse du ministre de la Justice, Yariv Levin, de permettre un examen approfondi et serein de la refonte judiciaire, – six semaines après sa prise de fonction -, la coalition de Benjamin Netanyahu est sur le point de procéder aux premiers votes sur les parties les plus importantes de ce qui va conférer les pleins pouvoirs à Netanyahu.

Sans grand débat authentique, sans même permettre à toutes les voix de l’opposition de se prononcer, le président de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, Simcha Rothman, a l’intention de passer au vote dès lundi sur les premières parties du projet.

L’objectif est de présenter ces changements législatifs radicaux en première lecture au plénum de la Knesset immédiatement après, et peut-être le même jour.

Ces premières dispositions portent essentiellement sur deux questions : le premier texte remanie la structure du comité chargé de sélectionner les juges de la Cour suprême afin que la coalition y jouisse d’une majorité automatique, en rupture avec la situation actuelle – élégante et équilibrée – en vertu de laquelle les juges ne peuvent être choisis que si les représentants de la coalition et les membres du pouvoir judiciaire du panel s’accordent.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu avec le ministre de l’Intérieur et de la Santé Aryeh Deri, à gauche, et le ministre de la Justice Yariv Levin, à droite, pendant l’investiture du nouveau gouvernement israélien à la Knesset, le 29 décembre 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

En d’autres termes, jusqu’à présent, la composition de la Cour suprême était le fruit d’un consensus.

Si le projet de loi est adopté, la Cour suprême ne sera ni plus ni moins qu’un instrument supplémentaire aux mains de la coalition gouvernementale.

Le second texte dispose que la Cour suprême n’a pas le droit d’annuler des Lois fondamentales quasi constitutionnelles ou des amendements à ces dernières.

À court terme, cette manœuvre a vocation à permettre le retour à son poste de ministre d’Aryeh Deri, chef du Shas et criminel récidiviste dans le domaine fiscal, dont la nomination a été jugée « déraisonnable à
l’extrême », le mois dernier, par les juges de la Cour, en dépit d’un amendement à la Loi fondamentale adopté par la Knesset au profit de Deri, pour permettre à une personne condamnée avec sursis – c’est le cas de Deri – d’occuper un poste ministériel.

Ces deux changements législatifs radicaux ne sont que la première salve de la série de « réformes » de la coalition, qui n’ont pas vocation à renforcer la démocratie israélienne, comme Netanyahu l’a prétendu à maintes reprises, mais plutôt à la détruire.

Dans les semaines qui arrivent, le nouveau gouvernement radical a l’intention de faire adopter une loi qui aura pour effet de priver, totalement ou presque, la Cour suprême de sa capacité à bloquer des lois ou décisions gouvernementales, aussi anti-démocratiques soient-elles –, en exigeant la quasi-unanimité pour ce type de décision et en privant les juges de recourir à la notion juridique de « caractère raisonnable » pour évaluer la légalité de ces lois et décisions.

En outre, en vertu d’une clause dérogatoire, la coalition majoritaire sera en mesure de légiférer de nouveau, et sans difficultés, sur la quasi-totalité des lois que les juges auraient pu invalider.

En l’absence de Constitution et sans possibilité que la Knesset s’oppose aux lois présentées par une coalition de même sensibilité qu’elle, la Cour suprême, au sein du régime israélien, est l’unique et seul garde-fou contre les abus du gouvernement, l’unique garant des droits individuels contre les excès d’une coalition – et ce, peu importe sa couleur politique.

Or, toutes ces « réformes » auront pour effet de faire voler en éclats ces précieux contrepoids et garanties.

Elles ouvriront également la voie, et ce n’est certainement pas un hasard, à un certain nombre de procédures de nature à débarrasser Netanyahu de son procès pour corruption en cours.

Des dizaines de milliers de manifestants se rassemblent contre le projet de réforme judiciaire du gouvernement, à Tel Aviv le 4 février 2023. (Crédit : Gili Yaari /Flash90)

Lorsqu’il a présenté cette « première étape » du projet de réforme, le 4 janvier dernier, Levin avait promis un « débat approfondi et sérieux ».

Dimanche dernier, un mois plus tard donc, il s’est engagé à ce qu’il ne soit pas retardé, « ne serait-ce que d’une minute ». C’était sans doute une réponse à la demande du président Isaac Herzog de faire une pause dans cette course effrénée afin de permettre un véritable débat et réfléchi sur la réforme judiciaire.

Dans l’ensemble, les Israéliens sont largement opposés à cette attaque contre notre démocratie : juristes, banquiers, économistes et universitaires, dont beaucoup sont politiquement du côté de la coalition, ont publié des lettres d’avertissement, employés des nouvelles technologie, étudiants et réservistes ont manifesté leur opposition, un certain nombre de géants de la start-up nation ont d’ores et déjà retiré leurs fonds et le gouverneur de la Banque d’Israël, revenu du Forum de Davos, a entendu l’inquiétude mondiale pour Israël.

De surcroît, le mot d’ordre de grève nationale, pour lundi prochain, ne laisse aucun doute sur la pertinence de l’avertissement lancé par Herzog, la semaine dernière, à savoir que cette « réforme radicale, menée précipitamment et sans débat » conduit le pays aux « marges d’une lutte intestine qui pourrait tous nous détruire ».

Ce n’est pas une « réforme », c’est une démolition

La coalition démolit la démocratie rapidement et malhonnêtement.

Pour commencer, là où Levin avait promis de la patience, nous voyons une précipitation teintée d’intimidation.

Des propos fallacieux circulent à propos de l’interventionnisme ou du pouvoir prétendument considérable de la Cour suprême par rapport à ses homologues d’autres pays.

La semaine passée, par exemple, Netanyahu a procédé à des comparaisons illégitimes entre les limites qu’il s’efforce d’imposer ici et celles qui s’appliquent au Canada, affirmant à tort que la Cour suprême canadienne ne pouvait pas invalider les lois.

INTERVIEW A LIRE – Irwin Cotler : L’adoption de la réforme judiciaire en l’état est imparfaite

Le simple fait de parler de « réforme » est déjà illégitime.

Il ne s’agit pas d’une réforme mais d’une démolition en propre et due forme.

Les changements apportés au comité de sélection des juges, par exemple, sont supposés corriger les défauts de la procédure en vigueur en vertu de laquelle, selon le Premier ministre et ses collègues, les juges choisissent leurs propres collègues, alors qu’il n’en est rien.

Le président de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, le député Simcha Rothman, dirigeant une audience de la commission sur son programme de réformes judiciaires radicales aux côtés du conseiller juridique de la commission, Me Gur Blaï, le 1er février 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Le projet de la coalition est présenté comme de nature à garantir une composition plus diversifiée et représentative du comité de sélection avec deux membres du grand public, mais dans les faits, c’est le ministre de la Justice qui les choisirait, mettant à mal donc la composition du comité de sélection au prétexte de l’améliorer.

Les divers accords de coalition du gouvernement ont dressé une longue liste de projets qu’une Cour suprême puissante ne manquerait pas de questionner et, dans certains cas même, de remettre en cause, comme l’exemption générale de service militaire pour la communauté ultra-orthodoxe, l’augmentation des crédits budgétaires pour des écoles ultra-orthodoxes insuffisamment encadrées qui n’enseignent pas le tronc commun, la légalisation des avant-postes illégaux construits entre autres sur des propriétés privées palestiniennes, l’autorisation pour les prestataires de service ou les médecins en s’appuyant sur ses croyances religieuses, et plus encore.

Une Cour suprême impuissante rendrait Israël beaucoup plus vulnérable face aux instances internationales telles que la Cour pénale internationale. Jusqu’à présent, la crédibilité du système judiciaire israélien nous protégeait.

Cela mettrait également à rude épreuve les relations d’Israël avec ses alliés et défenseurs.

Le Secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a rappelé à plusieurs reprises, lors de sa visite la semaine dernière, que les relations entre les États-Unis et son allié clé étaient fondées non seulement sur des intérêts partagés, mais aussi sur des valeurs démocratiques partagées. Blinken l’a aussi souligné lors d’une conférence de presse tenue aux côtés de Netanyahu.

L’acquiescement silencieux est impardonnable

Il y a ceux qui soutiennent que l’opposition aux réformes menées par la coalition Netanyahu est hystérique. Ils assurent soit que l’impact des changements sera bien moins catastrophique que ne le prétendent les critiques, soit que la loi sera finalement considérablement édulcorée.

Une lecture honnête et lucide des projets de Levin et de la loi qui prend actuellement forme en commission à la Knesset montre qu’ils ont tort sur le premier point.

Et jusqu’à présent, malgré les demandes du président et la pression publique généralisée, ils ont également tort sur le second.

Le président Isaac Herzog avertit lors d’une conférence à Tel-Aviv qu’Israël est
« au bord d’une lutte interne qui pourrait nous dévorer tous », le 24 janvier 2023. (Crédit : Avshalom Sassoni/Flash90)

La complaisance, surtout celle de ceux qui disent se soucier d’Israël, est impardonnable.

Comme Herzog l’a dit, ce pays est profondément divisé et est en train de se déchirer.

Les contribuables israéliens n’assumeront pas sans ciller un fardeau financier encore alourdi pour soutenir une communauté ultra-orthodoxe toujours plus nombreuse, exemptée du service national et incitée à ne pas travailler.

Beaucoup de parents seront réticents à envoyer leurs enfants au front pour défendre un gouvernement composé d’extrémistes à des postes clés qui attisent frictions et conflits pourtant facilement évitables.

Une économie chancelante – considérée avec une méfiance croissante par les investisseurs internationaux préoccupés par un abandon de l’état de droit protégé par la justice – sapera la capacité d’Israël à se défendre contre ses ennemis.

Le plaidoyer d’Herzog pour une pause dans la course folle à la réforme – une pause pour reconsidérer, débattre, bâtir un consensus, prendre du recul par rapport à cette perspective de gouffre autocratique – est ce qu’il y a de plus urgent.

Et un seul homme peut le mettre en œuvre : Benjamin Netanyahu.

Et pourtant, Netanyahu laisse son ministre de la Justice balayer les recommandations du président d’un revers de main et le chef de la commission de la Knesset concernée de poursuivre la procédure.

La démocratie israélienne n’est pas seulement menacée. Au Parlement, la semaine prochaine, auront lieu les premiers votes du processus pour entamer sa démolition.

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