Chute du shekel et taux élevés dûs au retour de la menace de la refonte judiciaire
Les produits importés, dont la nourriture et les voyages, seront plus chers dû à la faiblesse du shekel ; les couts du crédit devraient atteindre 5 %, selon les économistes
Sharon Wrobel est journaliste spécialisée dans les technologies pour le Times of Israel.
Le regain d’incertitude politique liée à la réforme judiciaire proposée par le gouvernement israélien a entraîné un affaiblissement du shekel par rapport aux autres principales devises la semaine dernière, ce qui ne laisse guère d’autre choix à la Banque d’Israël que d’augmenter le coût du crédit dans les mois à venir afin de freiner la croissance des prix.
Bien qu’il soit difficile d’attribuer directement les problèmes économiques locaux aux changements judiciaires proposés, étant donné que le monde entier connaît un ralentissement économique, l’incertitude croissante liée au contrôle judiciaire au cours des dernières semaines est perçue comme une menace pour la monnaie locale.
La semaine dernière, le shekel israélien a chuté d’environ 2,3 % par rapport au dollar américain, ce qui représente la plus forte perte hebdomadaire parmi les principales devises internationales. La monnaie locale est passée à 3,735 contre le billet vert, le niveau le plus faible depuis mars 2020. Cette baisse est principalement due à un regain d’inquiétude sur le marché, qui redoute que le Premier ministre Benjamin Netanyahu ne ravive ses plans visant à apporter des changements controversés au système judiciaire du pays maintenant que le budget bi-annuel de l’État pour 2023-24 a été adopté par la Knesset, mercredi dernier. Pour ajouter à l’incertitude, le chef d’état-major de Tsahal, Herzi Halevi, a lancé mardi une mise en garde sur le risque d’une guerre imminente avec l’Iran.
« Le taux de change du shekel est désormais déconnecté des forces économiques – notamment du marché boursier américain – et est affecté par les événements sur la scène politique et sécuritaire locale », a déclaré Alex Zabezhinsky, économiste en chef de la société d’investissement Meitav, au Times of Israel. « Jusqu’à la fin de l’année 2022, la monnaie israélienne avait une forte corrélation avec l’indice S&P 500, autrement dit, quand l’indice boursier américain était en hausse, le shekel gagnait et quand il était en baisse, la monnaie s’affaiblissait ».
« Aujourd’hui, nous assistons à une tendance inverse », a ajouté Zabezhinsky.
La semaine dernière, le shekel a continué à enregistrer des performances inférieures à celles des valeurs technologiques mondiales, alors que le Nasdaq a gagné 2,5 %, sa cinquième hausse hebdomadaire consécutive, et que le S&P 500 a également grimpé. Depuis le début de l’année, le shekel a perdu plus de 6 %. La monnaie locale s’est renforcée par rapport au billet vert ces dix dernières années, grâce à la résilience de l’économie israélienne, au dynamisme de l’écosystème des hautes technologies, à la solidité de la balance des paiements et à la tendance à la baisse de la dette publique, qui ont compensé les risques géopolitiques et sécuritaires.
Pour refléter la récente dépréciation du shekel, les analystes de Goldman Sachs ont révisé leurs prévisions lundi, car ils « estiment que les événements politiques intérieurs continueront à influencer la valeur du shekel ».
« Les discussions sur la réforme du système judiciaire devraient reprendre bientôt. Parallèlement, l’USD/ILS s’est éloigné de son bêta habituel aux valeurs technologiques mondiales », écrivent les analystes de Goldman Sacks dans un article publié lundi. « Si l’inquiétude des acteurs du marché et des investisseurs technologiques concernant les développements politiques nationaux et leur impact sur la qualité institutionnelle continue de croître, la prime de risque pourrait alors continuer à augmenter dans la devise. »
Goldman Sacks a réduit ses prévisions pour le shekel à 3,70 et 3,60 contre le billet vert pour les trois et 12 prochains mois, respectivement, contre 3,50 et 3,40 précédemment, ajoutant que la banque d’investissement s’attend à ce que « la volatilité autour de ces estimations reste élevée ».
La campagne judiciaire du gouvernement a commencé en janvier et a été temporairement suspendue par Netanyahu à la fin du mois de mars, suite aux pressions de plus en plus fortes du public et au tollé provoqué par sa tentative de limogeage du ministre de la Défense, Yoav Gallant. Les efforts annoncés pour parvenir à un large consensus sur la proposition de réforme judiciaire ont convaincu l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) ce mois-ci de confirmer la note favorable d’Israël à AA- avec une perspective « stable », tout en notant des « risques politiques et sécuritaires nationaux et régionaux persistants » comme menaces potentielles pour l’économie.
Moody’s Investors Service a averti en avril que le principal élément déclencheur de l’abaissement de la perspective de la cote de crédit d’Israël de « positive » à « stable » était la crainte que les changements prévus dans le système juridique du pays ne menacent l’indépendance du pouvoir judiciaire, qui est cruciale en particulier en Israël.
Un shekel plus faible est une arme à double tranchant pour l’économie et devrait avoir un double effet sur la population. La dépréciation de la monnaie locale augmente le prix des biens importés tels que les denrées alimentaires, le gaz et les voyages à l’étranger, et entraîne une hausse de l’inflation à un moment où les consommateurs sont déjà confrontés à l’augmentation du coût de la vie. Cela signifie que l’inflation ne se calmera pas aussi facilement qu’on l’espère, ce qui obligera la Banque d’Israël à augmenter encore les taux d’intérêt pour freiner la consommation et la demande privées.
La Banque d’Israël a relevé, la semaine dernière, son taux d’intérêt de référence pour la dixième fois consécutive, augmentant les taux de crédit de 25 points de base à 4,75 %, tout en s’efforçant de freiner la croissance de l’inflation ces derniers mois. Malgré ces efforts, l’inflation dépasse les 5 % en termes annuels depuis plus de six mois, ce qui est bien supérieur à la fourchette cible de 1 % à 3 % fixée par le gouvernement. Les hausses agressives des taux d’intérêt ont rapidement augmenté les coûts des titulaires de prêts hypothécaires et autres qui ont du mal à faire face à leurs paiements mensuels.
Meitav et la banque Hapoalim s’attendent à ce que la banque centrale prenne des mesures pour lutter contre la hausse de l’inflation en augmentant encore les taux d’intérêt de 25 points de base pour les porter à 5 % dans les mois à venir, l’incertitude politique locale ayant entraîné la faiblesse du shekel. Au cours des 12 prochains mois, les deux banques prévoient une baisse de l’inflation à 2,9 %.
« Sans l’incertitude politique entourant le projet de réforme judiciaire, nous aurions probablement vu le shekel s’échanger autour de 3,4 contre le dollar et l’inflation baisser de 0,8 % », d’après Zabezhinsky.