Climat : une sociologue juive parle de l’efficacité des manifestations
La professeure Dana Fisher examine comment - et si - les citoyens moyens peuvent avoir un impact sur le problème mondial par le biais de l'activisme
- Dana Fisher est professeur de sociologie et directrice du Program for Society and the Environment à l'université du Maryland. (Crédit : Autorisation de Fisher/JTA)
- Des milliers de personnes défilent à Tel Aviv pour demander au gouvernement d'agir contre le changement climatique, le 29 octobre 2021. (Crédit : Ariel Schalit /AP)
- Des étudiants et leurs partisans protestent pour exiger une action transformatrice contre le changement climatique avec un combat contre le consumérisme, lors des soldes du Black Friday à Santa Monica, en Californie, le 29 novembre 2019, Illustration (Crédit : Mark RALSTON/AFP)
- Des militants en costumes rouges protestent sur Whitehall, près de Downing Street, lors de la deuxième journée de manifestations sur le changement climatique du groupe Extinction Rebellion, dans le centre de Londres, le 8 octobre 2019. (Crédit : Ben Stansall/AFP)
- Des militants et des manifestants israéliens tiennent des pancartes pendant une manifestation mondiale contre l'inaction en matière de changement climatique dans la ville côtière israélienne de Tel Aviv, le 27 septembre 2019. (Crédit : AHMAD GHARABLI/AFP)
- Un grand globe gonflable est ballotté dans la foule entre des milliers de manifestants, dont de nombreux écoliers, rassemblés pour demander des mesures de protection contre le changement climatique rassemblent à Sydney, le 20 septembre 2019. (Crédit : Rick Rycroft /AP)
JTA – Nos chances d’éviter une catastrophe climatique sont en train de s’amenuiser jusqu’au point de non-retour, ont récemment déclaré d’éminents scientifiques dans une série de rapports historiques publiés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies.
Selon ces scientifiques, qui représentent des dizaines de pays et de disciplines, les émissions de gaz à effet de serre doivent commencer à diminuer et le passage à une économie à faible émission de carbone doit se faire d’ici 2025, faute de quoi la survie de la civilisation est menacée.
Parmi les nombreux experts qui ont lancé cet avertissement figure Dana Fisher, professeur de sociologie et directrice du Program for Society and the Environment de l’université du Maryland. Inspirée par son héritage juif, Mme Fisher siège également au conseil consultatif du groupe juif de sensibilisation au climat Dayenu.
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Dans sa contribution à la sixième évaluation du GIEC, Fisher a examiné comment – et si – les simples citoyens peuvent avoir un impact sur le problème par le biais de l’activisme. Ses idées risquent de déplaire à certains activistes du mouvement climatique.
À l’approche de la Journée de la Terre, le 22 avril, la Jewish Telegraphic Agency a demandé à Mme Fisher d’expliquer ses recherches et la place des Juifs dans l’histoire de l’activisme climatique.
JTA : Tout d’abord, qu’est-ce que le GIEC ?
Dana Fisher : Le GIEC est un processus qui consiste à faire appel à la recherche sur le climat pour éclairer l’élaboration de politiques internationales.
L’espoir derrière cela – et cela va probablement sembler naïf maintenant – était que s’il y avait suffisamment de données scientifiques, cela conduirait à un meilleur processus décisionnel.
Et pourtant, le GIEC continue son travail, présentant les dernières données de la littérature scientifique. À l’origine, le GIEC était axé sur la science du climat, mais vous êtes ici, en tant que sociologue, pour participer au sixième rapport du GIEC depuis 1990. Comment l’expliquez-vous ?
Le changement climatique est un processus qui modifie le monde physique, mais il a un impact énorme sur la société, sur les migrations, les réfugiés, etc. Et puis la partie à laquelle j’ai contribué s’appelle le groupe de travail III, qui se concentre sur l’atténuation du problème du changement climatique.
On fait souvent appel à moi lorsque les auteurs d’un chapitre reconnaissent que quelque chose manque et doit être ajouté. J’ai écrit sur le rôle que jouent le militantisme et l’engagement civique dans la lutte contre le changement climatique en termes de réduction de l’empreinte carbone ainsi que de pression sur les gouvernements et les entreprises pour qu’ils agissent sur le climat.

Sur cette photo d’archives du 22 juillet 2017, un ours polaire sort de l’eau pour marcher sur la glace dans le détroit de Franklin, dans l’archipel arctique canadien. Les climatologues désignent l’Arctique comme l’endroit où le changement climatique est le plus perceptible avec une perte spectaculaire de la glace de mer, une fonte de la calotte glaciaire du Groenland, le recul des glaciers et le dégel du permafrost. L’Arctique s’est réchauffé deux fois plus vite que le reste du monde depuis 1988. (Crédit : David Goldman/AP)
Et que savons-nous de l’effet du militantisme sur les efforts de réduction des émissions de carbone ?
Nous savons relativement peu de choses sur la façon de mesurer à la fois l’activisme et l’impact de l’activisme. Il existe un petit nombre d’études qui ont tenté de le faire. La plupart d’entre elles concluent à l’existence d’un effet, mais il nous manque encore beaucoup de données.
J’ai presque peur de demander si le « pouvoir du peuple » peut faire une différence. Cela ne vous effraie-t-il pas ?
Oui, c’est effrayant, bien qu’il y ait des preuves très, très encourageantes. Je travaille notamment avec les gens qui essaient de mettre en place le Civilian Climate Corps (Corps civil de protection de l’environnement). Lorsque les gens participent à des actions visant à aider l’environnement, comment pouvons-nous mesurer leur impact ? Je suis assez optimiste quant à l’importance de ce type d’initiative.
D’un autre côté, si pour une manifestation, un groupe de personnes prennent des bus diesel pour se réunir quelque part, puis repartent avec leurs bus diesel, que le Congrès écoute ou non, et que vous passez sur CNN – les effets sur le climat sont plutôt mauvais.

Ce genre de message pourrait ne pas être très bien accueilli par certains membres du mouvement pour le climat.
Je suis un peu une geek des données, et je crois que les données peuvent nous libérer, donc ça ne me dérange pas. Certains groupes d’activistes pourraient être moins enthousiastes à l’idée du type de travail que je veux faire, car il permettra de dresser un meilleur tableau, mais il pourrait aussi réorienter les tactiques d’une manière qui n’attirerait pas trop l’attention des médias.
En tant que personne qui détermine – même si ce n’est que de manière limitée – ce qui attire l’attention des médias, j’ai besoin d’exemples. Quelle est la mauvaise tactique qui attirera l’attention des médias et la bonne tactique qui ne le fera pas ?
Une grande mobilisation de l’Extinction Rebellion a lieu récemment. Ils espéraient faire arrêter 1 000 personnes d’ici la fin de la semaine. Or, en soi, se faire arrêter est relativement coûteux en ressources, et cela n’a pas d’effet positif sur l’atténuation du changement climatique.
Il n’y a aucune preuve qu’une arrestation parce que vous vous être assis ou vous vous êtes enchaîné à la porte d’un bâtiment parce que les personnes qui travaillent dans ce bâtiment extraient des combustibles fossiles, permette de réduire les émissions de carbone dans l’atmosphère.
En revanche, pour en revenir à Dayenu, leur effort autour de Pessah, qui consiste à pointer du doigt les institutions financières pour qu’elles respectent leurs engagements climatiques, est très utile. Un mouvement social comme celui de Dayenu peut tirer parti des préoccupations de ses électeurs, par exemple les Juifs américains, et les utiliser pour faire pression sur ces groupes d’intérêts économiques afin de s’assurer qu’ils respectent leurs engagements.

Très bien, parlons des Juifs. Nous savons que la crise climatique est un problème majeur pour les Juifs et qu’ils sont très actifs dans le mouvement pour le climat. Pourquoi, à votre avis ?
La plupart des Juifs américains sont de gauche et c’est la question la plus importante pour les gens de gauche en ce moment. Par ailleurs, nous avons une histoire de gestion de la terre et la notion de savoir comment rendre à la terre et aux autres est intégrée dans la tradition juive. Il est donc logique que, lorsque la science affirme que nous détruisons la planète, les Juifs se lèvent et essaient de faire quelque chose.
Qu’en est-il de la fameuse angoisse existentielle des Juifs ? Je pense à la Shoah, aux pogroms, à l’histoire d’Israël. Ne serait-ce pas un facteur qui motiverait les Juifs à se soucier de la mort de notre planète ?
Ce serait une bonne accroche pour intéresser davantage de Juifs, mais je ne pense pas que les gens aient intériorisé le message – si vous alliez dans votre synagogue habituelle et demandiez aux gens ce que dit le rapport du GIEC, je ne pense pas qu’ils se rendraient compte que cela signifie que nous sommes comme une espèce en voie de disparition.
Pourtant, les Juifs ne représentent qu’une infime partie de la population. En quoi leur participation au mouvement pour le climat est-elle importante ?
Prendre position en tant que Juifs est important en termes de représentation et également important lorsque nous pensons à la constitution d’un mouvement. Je ne veux pas dire que les Juifs sont des fruits faciles à cueillir, mais je dirais simplement que les Juifs américains, parce qu’ils ont tendance à être plus progressistes et libéraux, constituent également des participants tout désignés pour un mouvement.
Entre-temps, Dayenu a également travaillé au sein de cette coalition multi-confessionnelle de groupes religieux progressistes et il est donc très logique que les Juifs y soient représentés.

Qu’en est-il de votre parcours personnel en tant que Juive ? Pouvez-vous nous parler de la manière dont votre identité influence votre politique ?
J’ai grandi dans une famille plutôt conservatrice ou réformiste, nous ressemblions donc beaucoup à une famille juive américaine progressiste du nord-est. J’ai grandi en mettant l’accent sur la tzedakah de façon privilégiée, je suppose qu’aujourd’hui on peut parler de Privilège blanc.
Cet héritage m’a préparé à réfléchir à la manière dont les préoccupations environnementales sont ancrées dans mon héritage. Par exemple, chaque année, pendant Pessah, nous racontons l’histoire de notre Exode d’Égypte, et j’ai un cousin qui établissait de nombreux liens entre cette histoire et l’environnement, comme la mer
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