Covid-19 : état des lieux pour les communautés juives d’Amérique latine
Les leaders juifs décrivent un équilibre délicat entre mesures gouvernementales anti-Covid-19 et pratique religieuse ; des citoyens redoutent des pénuries et des fermetures
- Des employés projettent du désinfectant dans les rues, une mesure préventive contre la propagation du noouveau coronavirus à Caracas, au Venezuela, le 21 mars 2020. (Crédit : AP Photo/Matias Delacroix)
- Un cercueil en carton accueillant une dépouille sur le toit d'une voiture avant qu'elle ne soit emmenée pour l'inhumation, aux abords de l'hôpital Teodoro Maldonado de Guayaquil, en Equateur, le 6 avril 2020 (Crédit : AP Photo/Luis Perez)
- Des employés en habit de protection inhument un défunt des suites du coronavirus dans le cimetière Vila Formosa de Sao Paulo, au Brésil, le 1er avril 2020 (Crédit : AP Photo/Andre Penner)
- Des employés dressent un hôpital de terrain temporaire pour prendre en charge les malades du COVID-19 au stade Pacaembu de Sao Paulo, au Brésil, le 30 mars 2020 (Crédit : AP Photo/Andre Penner)
Trois membres de la communauté juive orthodoxe de Buenos Aires ont été arrêtés le 22 mars dernier après s’être supposément rendus au mikvé – ou bain rituel. Le principe de la purification rituelle contrevenait à une quarantaine nationale instaurée pour lutter contre la propagation du coronavirus. Ce n’est là que l’un des quelques exemples de tensions survenues entre les traditions religieuses juives et les réponses laïques des gouvernements au Covid-19 à travers toute l’Amérique latine.
Les trois individus – parmi lesquels un rabbin – appartenaient à la congrégation orthodoxe Ajdut Israel. Le gouvernement argentin a ultérieurement révisé son positionnement et levé l’interdiction posée sur l’immersion rituelle.
Alejandro Avruj, rabbin conservateur de Buenos Aires et président de l’Assemblée rabbinique d’Amérique latine – affiliée au mouvement massorti – a déclaré que ces arrestations avaient été « embarrassantes » pour la communauté juive plus largement. Même si Alejandro Avruj a qualifié le mouvement orthodoxe de « frères », il a ajouté qu’ils « se moquent de la situation, ils se moquent de la loi ».
« Ils veulent encore aller au mikvé, participer au minyan [NdT : le quorum de dix hommes nécessaire à la récitation de certains passages de la prière et à la lecture de la Torah], a continué Alejandro Avruj, qui est le chef spirituel de la congrégation Amijai. « Je pense que nous devons maintenant trouver Dieu de manière absolument différente ».

« Nous devons maintenant nous repenser et repenser notre communauté », a-t-il ajouté.
« Nous devons trouver Dieu dans les mains des bénévoles qui donnent leur temps, leur santé, pour venir en aide aux autres et dans les mains des scientifiques et des personnels médicaux qui œuvrent à mettre un terme à la pandémie », a-t-il clamé.
Le grand-rabbin ashkénaze du pays, Gabriel Davidovich, n’a pas répondu à un courriel du Times of Israel au sujet de cet incident.

Le Covid-19 a bouleversé la vie juive à travers tout le continent latino-américain majoritairement hispanophone et lusophone. Des congrégations ont fermé leurs portes et les communautés proposent dorénavant des cours en ligne et, en fonction des dénominations, des offices virtuels.
« Dans de nombreux cas, il y a des approches similaires », commente Sergio Widder, directeur régional pour l’Amérique latine du JDC (Joint Distribution Committee). Il ajoute que même dans les pays qui ne font pas actuellement l’objet d’un confinement, les communautés juives « ont annulé leurs événements et mis un terme à leurs activités, ne maintenant que les services sociaux en direction des plus vulnérables par le biais de services et de livraisons divers ».
« C’est un moment où il faut penser, planifier et agir au même moment, ce qui rend les choses difficiles », continue Sergio Widder, dont l’organisation figure parmi celles qui viennent en aide aux communautés dans toute la région.
« Ce que nous constatons jusqu’à présent, c’est que les communautés gèrent la situation. Notre inquiétude est de savoir comment elles vont évoluer si l’urgence dure encore pendant une période significative. Nous ignorons si la situation va se maintenir encore un mois, trois mois, six mois… Et nous devons donc faire les choses les unes après les autres », estime-t-il.
L’Argentine
C’est l’Argentine qui accueille la plus importante population juive de tout le continent. Approximativement la moitié des 470 000 Juifs de la région vivent dans ce pays, principalement à Buenos Aires et dans sa banlieue métropolitaine. La communauté juive d’Argentine est la huitième la plus importante dans le monde entier.
Quand le coronavirus est arrivé en Israël, il a touché les Juifs d’Argentine, notamment les étudiants d’un séminaire de Jérusalem qui se trouvaient dans le pays grâce à un programme mis en place par le NCSY, la branche jeunesse de l’Union orthodoxe.

Martin Leibovich, rabbin à la tête de la branche de NCSY en Argentine, explique que tous les étudiants participant au programme ont dû revenir dans le pays et que quelques-uns étaient infectés par le coronavirus. Il ajoute que le virus a aussi été rapporté par « de nombreux autres étudiants dans des yeshivot et autres, et notamment des membres de la communauté frum – pratiquante.
Il explique que les communautés juives d’Argentine se trouvaient « dans une très mauvaise situation en Argentine avant le Covid-19 » en raison d’une crise nationale en 2018-2019.
« Cela va même être pire qu’initialement prévu en raison de l’effet Covid-19 », continue-t-il.
En tout, il y avait, en date du 21 avril, 2 960 cas d’infections confirmés dans le pays, et la maladie y avait fait 136 morts, selon l’Organisation mondiale de la Santé. Le premier Juif d’Argentine à mourir du coronavirus fut Ruben Bercovich, un membre éminent de la communauté de la province de Chaco. Il a été incinéré, une décision conforme aux directives gouvernementales – mais contraire aux traditions d’inhumation juives.
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Le Brésil
La plus grande nation d’Amérique latine, le Brésil, est aussi le pays qui présente le nombre le plus élevé de malades et de décès du Covid-19 – 38 654 et 2 462 respectivement.
Le Brésil accueille la seconde population juive la plus importante du continent, et la dixième communauté juive la plus importante au niveau mondial. Fernando Lottenberg, président de l’organisation-cadre des communautés juives du pays, la CONIB, n’a pas souhaité commenter la réponse apportée à la maladie par le président brésilien Jair Bolsonaro.

Le 17 avril, Bolsonaro a remplacé le ministre de la Santé Luiz Henrique Mandetta par Nelson Teich, qui a annoncé son intention de multiplier les dépistages par deux tout en allégeant les directives de distanciation sociale. Bolsonaro a minimisé sans discontinuer la menace du coronavirus, clamant que les politiques de quarantaine mises en place par Luiz Henrique Mandetta étaient mauvaises pour l’économie.
Le président de la communauté juive, Fernando Lottenberg, a expliqué qu’en discutant avec son cousin de 81 ans, ce dernier avait établi un parallèle entre l’épidémie actuelle au Brésil et la Seconde Guerre mondiale, lorsque les résidents devaient se cacher par crainte d’un bombardement allemand.

Fernando Lottenberg vit dans la ville de Sao Paulo, capitale d’un État éponyme actuellement confiné. Dans cette ville d’ordinaire très animée, dit-il, « il n’y a pas de voitures, les avenues principales sont désertées. C’est la même chose avec les bars et les restaurants, tout est fermé… C’est très triste ».
Il salue un pilier de la communauté juive resté ouvert : l’hôpital israélite Albert Einstein à Sao Paulo.
« C’est l’un des plus avancés en termes de technologies et de soins », dit-il. « Je pense que l’hôpital est une sorte de paradigme aujourd’hui pour tout le Brésil. Il aide le gouvernement par des tests de dépistage, il supervise les hôpitaux qui sont construits en urgence dans les stades. C’est une force à la tête des efforts qui sont menés », s’exclame-t-il.
Et, continue-t-il, il permet de « donner une bonne image de la communauté juive ».
Le Mexique
Le Mexique a récemment institué un confinement national, rejoignant d’autres pays d’Amérique latine qui l’avaient déjà décidé. Le pays recense actuellement 8 261 cas confirmés de coronavirus, et la maladie y a fait 686 morts.
A la mi-avril, il y avait 87 cas d’infection au Covid-19 dans la communauté juive mexicaine, selon Renee Dayan Shabot, membre du conseil d’administration de l’institution à la tête de la communauté, le Comité central. Entre 45 000 et 50 000 Juifs vivent au Mexique. La communauté a mis en place une ligne d’information d’urgence ainsi qu’un site internet pour les personnes présentant des symptômes, celles ayant été en contact avec un cas avéré ou qui ont été testées positives à la maladie.

Par ailleurs, la pandémie exacerbe également la situation à la frontière séparant le pays des États-Unis.
« Les demandeurs d’asile ont été très affectés par la crise du coronavirus », explique Dina Siegel Vann, directrice de l’Institut des Affaires latino et d’Amérique latine Arthur et Rochelle Belfer au sein de l’AJC (American Jewish Committee).
« Ils restent au Mexique, dans le nord et dans le sud, à cause de la loi aux États-Unis. Ce n’est pas possible de se contenter de les oublier et de les ignorer », dit-elle avec force.
Siegel Vann indique que l’AJC « appelle les États-Unis à continuer à s’occuper de ces réfugiés… Nous pensons que fermer les frontières serait très malheureux et entraînerait des conséquences très dures ».
L’Équateur
L’Équateur traverse, lui aussi, une autre crise humanitaire. Le pays compte 10 128 cas confirmés de coronavirus et 507 décès des suites de la maladie. Un article récemment paru dans le New York Times a fait état de cadavres gisant sur les trottoirs et d’entreprises spécialisées dans les crevettes ou les bananes désormais chargées de fabriquer des cercueils en carton.
Siegel Vann écrit dans un courriel qu’elle est en contact avec la communauté juive équatorienne, partenaire de l’AJC. « Le problème se concentre principalement à Guayaquil, qui compte une communauté juive très peu importante », indique-t-elle. « La plus grande partie des 700 Juifs d’Équateur vivent à Quito, la capitale. La communauté a mis son plan en action et apporte un soutien à ses membres. Elle reste également en contact avec le gouvernement du pays, comme nous le sommes aussi, pour soutenir ses efforts face à cette crise ».

Colombie
Il y a eu 3 792 cas confirmés de coronavirus et 179 morts des suites du Covid-19 en Colombie.

Marcos Peckel, à la tête de la communauté juive dans le pays, indique que « bien avant la crise », la communauté avait rassemblé une équipe de réponse d’urgence – même si le type d’urgences envisagé à l’époque était davantage de l’ordre du séisme ou de l’acte terroriste.
Marcos Peckel indique que dans toute l’histoire de la communauté juive du pays, « il n’y a jamais rien eu de similaire » à la situation actuelle. Il cite les Seders de Pessah au mois d’avril 1970, qui avaient été interrompus lorsque le président colombien de l’époque avait imposé un couvre-feu durant une guerre civile.
« C’est une partie très importante de notre mémoire collective », affirme-t-il, une période vécue alors qu’il était encore un petit garçon.
Le Chili
Au Chili, 10 507 cas de coronavirus et 139 morts ont été enregistrés. Le rabbin orthodoxe Michael Bengio, qui dirige la branche chilienne de la NCSY, explique que son pays a dû relever deux défis dans l’histoire récente – avec un tremblement de terre en 2010 et les manifestations ayant commencé l’année dernière.
Il qualifie le séisme de « moment particulièrement effrayant dans la majorité des régions du Chili », mais il souligne que « tout de suite après, le pays s’est remis au travail ». La crise actuelle, ajoute-t-il, est « très différente ». Il doit porter un masque et des gants lorsqu’il utilise l’ascenseur de son immeuble. Pendant le mouvement de protestation né à la mi-octobre, il y a eu des moments où il était impossible de sortir à cause du couvre-feu – ce qui ressemble très exactement à ce qu’il se passe aujourd’hui, explique-t-il.
Le Costa Rica
Au Costa Rica, 660 cas confirmés et cinq morts ont été enregistrés. Le rabbin du mouvement réformé David Laor, de la congrégation Bnai Israel à San Jose, explique que la capitale reste animée – cela a notamment été le cas des spectateurs venus assister au tout premier vol El Al de l’histoire vers le Costa Rica, venu pour ramener des expatriés israéliens de toute l’Amérique latine au sein de l’État juif.

Après la fermeture des synagogues dans le pays, David Laor a commencé à enseigner et à organiser des services sur internet. L’un des cours proposés a attiré des centaines de non-Juifs – un cours consacré à l’histoire juive en direction des descendants des séfarades convertis de force au christianisme pendant l’Inquisition, au 16e siècle, et qui avaient dissimulé leur foi ancestrale dans le nouveau monde.
Certains parmi eux s’intéressent à une conversion au judaïsme.
Le rabbin décrit sa congrégation en utilisant des mots qui pourraient s’appliquer aux communautés juives d’Amérique latine en général.
« Nous sommes confinés, nous sommes chez nous, mais nous continuons à fonctionner tous ensemble », s’exclame-t-il.
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