Crime d’honneur : les Palestiniennes disent que les lois et les juges sont d’un autre temps
12 000 personnes ont signé une pétition à l'attention d'Abbas, initiée par un groupe de défense des droits des femmes palestinien, réclamant l'abrogation de l'Article 99 du code pénal jordanien qui, selon les femmes, encouragerait le meurtre

Quelque part en Jordanie, deux frères sont arrivés à la porte d’un chef de tribu pour venir y chercher leur soeur. Cette dernière avait trouvé refuge dans l’habitation du chef local après être tombée amoureuse d’un homme et avoir quitté son domicile.
Le chef l’a laissée partir, les deux frères lui ayant promis de ne pas lui faire de mal. De retour à la maison, les deux hommes l’ont empoisonnée en la regardant mourir. Puis ils ont affirmé qu’il s’agissait d’un suicide.
Selon le Jordan Times, les frères ont écopé de 7,5 et 10 ans de prison pour cet horrible homicide.
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Les deux meurtriers s’en sont sortis relativement bien. Grâce à l’Article 99 du code pénal numéro 16 de 1960, qui octroie aux magistrats la capacité de réduire de façon spectaculaire les condamnations si l’affaire présente des « circonstances atténuantes ».
Les Palestiniens en Cisjordanie ont eux aussi hérité de l’Article 99, ainsi que la plus grande partie de leur code pénal – cela date des anciens dirigeants qui étaient à la tête du royaume hachémite de Jordanie.
Malgré une série de réformes apportées au code pénal palestinien depuis 2011 qui avait pour objectif d’empêcher les « crimes d’honneur », la loi a continué à permettre aux hommes qui tuent, agressent ou violent les femmes dans les Territoires palestiniens à bénéficier de peines significativement clémentes.
Au cours des six derniers mois, une pétition lancée par des groupes des droits des femmes palestiniens a reçu plus de 12 000 signatures. Elle demande au président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas d’abroger cette loi, qui autorise les juges à faire preuve de pitié à l’égard des accusés dans les dossiers qui présentent des « circonstances atténuantes ».
Et pourtant, alors que l’impact de cette loi sur les femmes est connu et qu’il a été documenté, ni son abrogation, ni son gel ni son amendement ne semblent être d’actualité maintenant.
Selon une conseillère juridique du ministère des Affaires des femmes au sein de l’Autorité palestinienne, cette loi reste nécessaire pour garantir la justice dans certains cas.
Plutôt qu’un amendement ou une abrogation, il faut s’attaquer aux juges qui utilisent cette législation pour réussir à faire s’échapper, de manière pratique, des meurtriers qui écopent de peines estimées trop légères au regard de leur crime.
Une loi qui incite aux ‘crimes d’honneur’
Dans le cas de ces deux frères, comme dans la majorité des cas similaires en Jordanie et au sein des Territoires palestiniens, les « circonstances atténuantes » citées par les juges pour alléger les peines sont que les familles abandonnent les poursuites contre les accusés – qui font partie intégrante du noyau familial – arguant qu’il s’agissait d’un « crime d’honneur ».
Une fois les accusations abandonnées – dans le langage juridique palestinien, on appelle cela « l’abandon du droit personnel [de la victime] » — le magistrat peut alors utiliser l’Article 99 pour alléger la sanction.
Les groupes de défense des droits des Femmes palestiniens affirment que la loi a deux effets : Elle incite au meurtre en minimisant les sanctions et elle incite également les meurtriers des femmes à clamer qu’ils les ont tuées pour sauver l’honneur de la famille.
« Nous avons vu des cas où des femmes ont été tuées pour des questions financières ou d’héritage mais où l’affaire a été appréhendée sous l’angle du crime d’honneur », a expliqué Victoria Shukri, directrice du Projet des tribunaux des femmes à TAM, une organisation de défense des droits des femmes, au Times of Israel lors d’une récente interview téléphonique.
Un rapport établi par le Bureau du Haut commissariat des droits de l’Homme des Nations Unies révélait en 2014 que l’abandon du droit personnel est le plus souvent la « circonstance atténuante » citée par le juge pour accorder une peine réduite aux agresseurs ou aux meurtriers de femmes.
Le rapport, écrit par le juge palestinien Ahmad al-Ashqar, notait que « la législation en place contribue, en grande partie, à la construction d’une conscience sociale qui affirme que le meurtre sous le prétexte de sauvegarder l’honneur est acceptable. Les justifications légales et les procédures connues comme offrant des excuses et atténuant les excès et les motivations des crimes y contribuent dans la mesure où la majorité des auteurs de ces crimes bénéficient de ces mêmes excuses sur la base de l’Article 99.”
Selon Shukri, 95 % des familles des femmes assassinées dans les Territoires palestiniens renoncent à défendre le droit personnel de la défunte devant la justice.
95 % des familles des femmes assassinées dans les territoires palestiniens abandonnent les droits personnels de la défunte devant la justice
Shukri a rapporté cette statistique en premier lieu à l’agence de presse Maan au mois de mars.
En 2013, 26 femmes palestiniennes ont été tuées par leurs proches, ce qui représente le double de l’année précédente. Cette augmentation de 100 % a soulevé l’indignation, et a amené Abbas à effectuer des changements dans le code pénal, abolissant trois lois séparées qui prônaient clairement la clémence dans les cas de « crimes d’honneur ».
Mais le rapport de l’ONU en 2014 tout comme les militantes notent que c’est bien l’Article 99 qui est utilisé dans l’histoire pour alléger les peines attribuées aux meurtriers de femmes, bien plus que les lois qui ont été amendées par Abbas.
A Gaza – où Abbas n’a pas le contrôle – le même phénomène se reproduit grâce à l’ordonnance pénale britannique No. 74 de 1936, qui permet aux juges d’accepter « l’excuse » des atteintes à l’honneur.
Les réformes d’Abbas se révèlent purement cosmétiques, ne déracinant absolument pas le problème, déplorent les activistes.

TAM affirme qu’un total de 18 femmes ont été assassinées en 2016. Selon le bureau du procureur public palestinien, ce sont neuf femmes qui ont été tuées cette année-là, fait savoir Maan.
Depuis novembre 2016, une pétition lancée par TAM et appelant Abbas à « restreindre » la portée de l’Article 99 jusqu’à ce qu’un code pénal équitable ait été rédigé a réuni plus de 12 000 signatures.
Seul Abbas est en mesure d’amender le code pénal palestinien par décret présidentiel, le parlement palestinien ne fonctionnant plus depuis 2007.
La pétition appelle aussi à mettre un terme à la pratique de renoncement à la défense du droit personnel de la victime dans les dossiers où des femmes ont été assassinées. De plus, elle réclame des réformes des systèmes judiciaires et de la police.
La conseillère juridique de l’AP : le problème, c’est que les juges sympathisent avec les hommes
Soona Nassar, conseillère juridique auprès du ministre des Affaires des femmes de l’AP, Haifa al-Agha, affirme dans un entretien accordé au Times of Israel que le problème n’est pas l’Article 99 en tant que tel mais plutôt la manière dont il est utilisé par les juges qui « éprouvent de l’empathie » à l’égard des hommes.
Elle souligne le fait que la loi s’applique de manière égale aux hommes et aux femmes mais que les « femmes la subissent davantage parce qu’elles doivent affronter plus de violence ».
L’article 99 laisse le pouvoir aux juges de décider s’il existe des « circonstances atténuantes » qui pourraient être susceptibles de pouvoir alléger les peines.
La loi s’applique de manière égale aux hommes et aux femmes mais les « femmes la subissent davantage parce qu’elles doivent affronter plus de violences. »
Et lorsque la majorité des juges sont des hommes qui sympathisent avec d’autres hommes, cela mène à un biais préjudiciable à l’encontre des femmes, constate-t-elle.
« Il y a de nombreux juges qui sympathisent avec les hommes en raison de leurs pensées, de leur culture ou de leur éducation, et ils rejettent souvent la responsabilité du meurtre sur la femme, même lorsqu’elle est attaquée », ajoute Nassar.
« Le problème, c’est qu’il n’y a pas de restriction sur les raisons d’allègement d’une sanction dans la loi. Et en même temps, il y a le pouvoir discrétionnaire du juge à déterminer cette dernière », poursuit-elle.
Elle déclare que néanmoins, la loi ne peut être gelée ou abrogée parce qu’elle offre aux femmes le droit de décider par elles-mêmes si elles veulent voir les membres de leurs propres familles emprisonnés.
« Si une femme est battue par son époux, c’est son droit de décider d’aller devant la justice ou de préférer abandonner la défense de son droit personnel », dit-elle.
Une femme victime, explique-t-elle, peut préférer préserver « la structure familiale » plutôt que de voir un membre de sa famille derrière les barreaux.
Interrogée sur la raison pour laquelle les familles doivent pourvoir renoncer à la défense du droit personnel d’une victime de meurtre, elle explique que de tels crimes dans une famille dressent les proches les uns contre les autres et que la loi existe pour donner aux parents le droit de ne pas poursuivre en justice un membre de la famille.
« Si une femme [qui a été assassinée par son époux] est mariée à son cousin, alors qui brandira la plainte au tribunal ? Les enfants contre leur père, ou son père contre son neveu, ou son frère contre son cousin ? », interroge-t-elle.
Elle note également que la Cour utilise l’Article 99 pour prendre en considération les éventuelles pressions ayant pesé sur une personne coupable de meurtre, pour évaluer si c’était son premier crime ou si l’individu était très jeune.
Nassar explique que la meilleure chose à faire est de réformer le code pénal de telle façon à limiter le pouvoir discrétionnaire des juges.
Par exemple, dans des cas de crimes ou de délits passibles de 3 à 15 ans d’emprisonnement, « ce que nous pouvons faire, c’est limiter l’autorité discrétionnaire des juges en changeant l’échelle des peines, de manière à ce qu’une sanction ne puisse pas être inférieure à 5 à 7 ans d’emprisonnement pour tel ou tel crime ».
Nassar et Shukri, la directrice de TAM, affirment de concert que des changements effectifs auront lieu en éduquant les juges à éviter la partialité en termes de genres.
Shukri explique que son organisation et d’autres offrent des ateliers d’éducation aux magistrats palestiniens qui siègent dans des tribunaux chargés de gérer des dossiers relatifs aux questions des femmes.
Un changement à l’horizon en Jordanie
Dans le cas des frères jordaniens qui ont empoisonné leur soeur et n’ont écopé que d’une légère peine, la condamnation originale a été renversée au mois de mars par la plus haute cour du pays.
Le magistrat de la Cour de cassation Mohammad Tarawneh a doublé leurs peines de prison, qui sont passées à 15 et 20 ans.
« Nous voulons envoyer un message fort aux gens, celui que tuer des femmes au nom de l’honneur de la famille ne sera plus toléré par les tribunaux et nous choisissons le jour de la fête des mères pour transmettre ce message, » a-t-il déclaré selon le Jordanian Times.
Et dans une autre déclaration que les militantes palestiniennes comme Shukri espèrent encore entendre de la part des tribunaux palestiniens, Tarawneh s’est directement attaqué à la faille juridique fournie par l’Article 99.
« Cela sera la véritable dissuasion à de tels meurtres parce que le facteur d’exonération ne sera plus pris en compte par la Cour de cassation », a ajouté Tarawneh.
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