Dans la zone militaire d’exclusion, près de la frontière libanaise, les kibboutznikim s’apprêtent à tout recommencer
Le fragile cessez-le-feu avec le Hezbollah est toujours en vigueur ; à Hanita et Rosh Hanikra, des habitants passent chez eux voir s'il reste des choses à sauver
En ce lundi matin, Ori Shaked est là, debout dans son studio détruit, au-dessus de la maison de ses parents, à l’intérieur du kibboutz Hanita.
Partout, des éclats de verre et des débris jonchent le sol. Il plaisante en ramassant un objet noirci et calciné : « Mon iRobot a presque survécu. »
L’organisation terroriste du Hezbollah a commencé à frapper le nord d’Israël le 8 octobre 2023, au lendemain du pogrom perpétré par des terroristes emmenés par le Hamas dans le sud d’Israël, qui avait coûté la vie à plus de 1 200 personnes. 251 personnes avaient également été enlevées par les hommes armés et pris en otage à Gaza.
La maison de la famille Shaked, aux confins du kibboutz, face au Liban, a fait les frais des tirs du Hezbollah.
Ori et ses parents n’étaient pas chez eux au moment des faits, explique la mère, Michal, en circulant dans ce qui reste de sa maison à l’occasion d’un passage sur place. Elle explique que son mari et elle avaient refusé d’évacuer le kibboutz où elle a vécu toute sa vie. Mais le 8 octobre, ils n’avaient plus eu le choix : l’évacuation obligatoire avait été décrétée pour les près de 60 000 habitants de 32 communautés du nord d’Israël.
C’est à contre-coeur que cette famille avait quitté sa maison, le 9 octobre. Quatre jours plus tard, une roquette s’écrasait là.
Après plus d’un an d’attaques du Hezbollah contre Israël, au cours desquelles 45 civils et 80 soldats et réservistes de Tsahal ont été tués, le conflit a pris fin le 27 novembre 2024 à la faveur d’un cessez-le-feu d’une durée de 60 jours au Liban.
Depuis, une partie des 60 000 personnes évacuées ont regagné leur domicile.
Toutefois, les kibboutz Hanita et Rosh Hanikra, comme d’autres communautés voisines, proches de la frontière nord d’Israël, demeurent des zones militaires d’exclusion. Les habitants sont autorisés à y aller, mais ils ne peuvent pas y passer la nuit. Le matin, les habitants suivent les ouvriers venus effectuer des réparations sur des maisons inhabitées depuis plus de 15 mois.
Rien à sauver
Ce lundi, l’air est vif et frais. La lumière du soleil se glisse entre les poutres de bois de cette charpente qui soutenait le toit en A de la maison de la famille Shaked.
Michal jette un regard circulaire dans cette pièce détruite, tandis que son chat circule au milieu des décombres, marchant avec précaution sur une fenêtre brisée trônant au beau milieu de la pièce. Dans les cendres, Ori reconnait son ordinateur, calciné. A part quelques cuillères en métal, il n’y a rien à sauver.
Au début de la guerre, la famille avait exclu l’idée d’évacuer.
« Nous pensions que les gens paniquaient sans raison », confie-t-elle.
Le jour de l’évacuation, le 9 octobre dernier, Michal et son mari avaient rassemblé des affaires pour « trois jours », se souvient-elle. « Nous pensions partir trois jours. Aujourd’hui encore, nous comptons par tranches de trois jours. »
Ce lundi, Michal est revenue au kibboutz pour prendre des vêtements et préparer les travaux. Son mari et elle vivent en ce moment dans un appartement à Tivon, à une quarantaine de minutes de là.
« Il ne sera pas nécessaire de reconstruire toute la maison, mais il va falloir tout réparer », explique Michal. Cela pourrait prendre des mois.
Le kibboutz perché
Le kibboutz Hanita avait été fondé en 1938, au sommet d’une colline située au niveau de la frontière avec le sud-Liban. Avant la guerre, il y avait près de 750 personnes, avec des enfants, dans le kibboutz.
Une barrière de sécurité s’adosse au mur de ciment qui sépare Israël du Liban et fait tout le tour du village. La communauté est nichée au milieu des arbres, dont certains ont été brûlés par des tirs de roquettes. Dans le zoo pour enfants, qui n’a pas été endommagé, un paon se promène non loin des poulets, dans un enclos.
Les routes du kibboutz sont marquées par les chenilles des chars, et partout la guerre se rappelle à notre souvenir : sacs de sable, débris de roquettes – aujourd’hui collector – et jardins envahis par les mauvaises herbes après plus d’un an sans soins.
« Nous voulons rentrer au plus vite, mais il n’y a ni épicerie pour faire les courses ni école », confie Tal Hasid, lui aussi membre de ce kibboutz. L’école maternelle, touchée par des roquettes, doit être réparée. L’électricité fonctionne, mais pas les égouts.
« Tout est à reconstruire de zéro », affirme Hasid.
Ses proches et lui ont passé neuf mois dans un hôtel à Tibériade, ce qui a été très difficile, explique-t-il, avant de s’installer dans un appartement sur la côte, à Nahariya, où « le Hezbollah a tiré des roquettes sur notre immeuble ».
« Il y a beaucoup de dégâts, mais nous pensons que tout va bien se passer ici », assure M. Hassid.
Il pense que les gens vont commencer à revenir pour le mois de février, date à laquelle les aides publiques au relogement des évacués sont supposées prendre fin. Il dit que certains ont déjà commencé à reconstruire et rénover. D’autres vont attendre la fin de l’année scolaire ; d’autres encore pourraient bien ne jamais revenir.
Ronit, une membre du kibboutz qui ne souhaite pas donner son nom de famille, se hisse sur la pointe des pieds pour observer de près le tronc d’un olivier à l’intérieur duquel poussent des cyclamens.
« Je suis revenue voir les fleurs », confie Ronit. « J’ai le corps chevillé à cette terre. »
Ronit a vu le jour dans le kibboutz, explique-t-elle. Tout en désignant un bâtiment situé à proximité, elle ajoute : « C’est là que je vivais quand j’étais bébé. Là-bas, il y a la bibliothèque et le château d’eau. Tout me manque. »
« Tout va bien, et en même temps rien ne va », résume-t-elle. Après plus d’un an passé loin de chez elle, elle dit que le simple fait de voir les fleurs lui redonne espoir.
Rosh Hanikra
Dans le kibboutz côtier de Rosh Hanikra, situé à 9 kilomètres à l’est du kibboutz Hanita, Zeev Adini m’invite à constater les dégâts subis par sa maison, touchée par des tirs de roquettes du Hezbollah en octobre 2024, peu après le lancement de l’opération terrestre de Tsahal dans le sud- Liban, à la fin du mois de septembre.
Avec un sourire teinté d’ironie, Adini explique que sa maison est la seule du kibboutz à avoir été touchée directement par des roquettes du Hezbollah.
Son salon est plein de meubles anciens et de bric-à-brac. En fouillant dans sa collection de vinyles vintage, il sort l’album « American Pie », de Don McLean, qui a été brisé en deux lors de l’attaque. Il ne peut s’empêcher de remarquer que de tous ses disques, le seul à ne pas avoir été endommagé est un album des Beatles.
Le kibboutz produit des bananes et des avocats et élève des dindes. À la fin des années 1980, l’acteur anglais Sacha Baron Cohen y a vécu un certain temps.
Lors de ma visite, ce jour-là, les rues sont pour l’essentiel désertes et immobiles : seul un garçon passe à un moment sur son vélo – c’est l’événement.
Adini explique que sa femme et lui ne sont pas sûrs de vouloir revenir vivre ici une fois que leur maison sera réparée.
« Cela n’a rien à voir avec la situation sécuritaire », assure-t-il en regardant en direction des collines qui marquent la frontière entre Israël et le Liban. « Nous nous sommes habitués à vivre près de nos enfants dans le centre du pays. »
Lorsque la roquette est tombée sur sa maison, Adini était absent. Il dit avoir envoyé des messages à ses proches et amis pour leur dire de ne pas se faire de souci.
« Il faut garder le sens des proportions », écrivait-il en octobre. « Il y a des otages à Gaza. La maison et tout le reste – ce n’est que du matériel. »
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