Israël en guerre - Jour 624

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Dans l’ouest du Neguev, des apprenties entrepreneuses reconstruisent elles-mêmes leurs communautés

Plus de 300 femmes ont rejoint Kumi, œuvre d'une Israélienne née en Australie, pour prendre confiance, se former ou obtenir des fonds de démarrage pour des projets que personne ne portait

Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.

Des femmes issues d'un large éventail de la société israélienne rassemblées pour la première conférence de Kumi au Sapir College, près de Sderot, dans le sud d'Israël, le 26 février 2025. (Crédit : Noa Sharvit)
Des femmes issues d'un large éventail de la société israélienne rassemblées pour la première conférence de Kumi au Sapir College, près de Sderot, dans le sud d'Israël, le 26 février 2025. (Crédit : Noa Sharvit)

Après des mois d’atermoiements, paralysée par la peur de parler en public, Avital a fini par raconter son histoire devant une salle remplie de femmes.

Sans qualification, Avital avait trouvé un travail d’assistante du directeur d’un cabinet d’architecture, mais les cris et humiliations que ce dernier lui faisait vivre l’avaient conduite à deux reprises à l’hôpital pour des crises de panique. Au bout de 17 ans, elle a fini par réagir et donner sa démission, a-t-elle expliqué.

Les quinze femmes venues l’écouter étaient stupéfaites. « Pourquoi ne pas être partie plus tôt ? » lui a demandé l’une d’elles. « Comment votre mari a-t-il pu vous laisser là ? » lui a demandé un autre.

Son mari lui avait dit de « trouver le moyen de faire face », a répondu Avital.

À la fin de sa prise de parole, Avital, qui a depuis trouvé l’emploi de ses rêves au sein d’une petite équipe de football, a fondu en larmes de soulagement, tandis que les autres femmes l’applaudissaient et se rassemblaient autour d’elle pour lui donner une accolade de groupe.

Avital et son public font partie des quelque 300 femmes du Neguev occidental membres d’un tout nouveau programme d’émancipation des femmes appelé Kumi (Lève-toi), créé par Kylie Eisman Lifschitz, une avocate de Jérusalem originaire d’Australie, par ailleurs militante des questions de genre.

Dana Sameach, porte-parole du Conseil régional de Bnei Shimon, dans le sud d’Israël, et facilitatrice chez Kumi. (Crédit : Noa Sharvit)

D’une durée de six mois, ce programme comprend deux conférences et 13 sessions bimensuelles pour des groupes de 30 femmes maximum dans 11 localités de la région. Sur 400 candidates, 330 femmes déjà actives au sein de leur communauté ou désireuses de s’impliquer ont été retenues pour le programme (pour l’heure) gratuit.

Les intervenants de ce cours donnent des conseils en matière d’image de marque et de présentation personnelle, pour une communication efficace, un bon esprit de cohésion, former à la direction d’équipes ainsi qu’à la gestion de crise, au réseautage et à la recherche de partenariats, à la négociation, à la levée de fonds, à la créativité et, surtout, au renforcement de la confiance en soi.

Loin de se contenter de donner aux participantes des outils pratiques en matière d’entrepreneuriat, l’initiative les encourage à travailler dans une perspective stratégique et de réseauter de façon à trouver des partenaires féminines dotées de l’expertise dont elles ont besoin. Elle apporte également des fonds de démarrage pour les projets.

L’auteure de cet article a assisté à l’avant-dernière session d’un groupe dans le Conseil régional de Merhavim, à l’est de Gaza. Au cours de cette réunion, deux participantes ont évoqué leurs expériences et toutes ont été invitées à renseigner des formulaires détaillés sur leurs projets : certaines ont d’ailleurs été invitées à présenter le leur. La plupart des participantes semblaient dans la trentaine ou la quarantaine. Seules certaines d’entre elles ont accepté de donner leur nom de famille lorsqu’elles ont été approchées par le Times of Israel.

Littal, qui souhaite aider les personnes ayant perdu des proches dans des accidents de la route, lors d’une réunion de Kumi au Conseil régional de Merhavim, dans le sud d’Israël, le 5 mai 2025. (Crédit : Sue Surkes/Times of Israel)

C’est Dana Sameach, porte-parole charismatique du conseil régional voisin de Bnei Shimon, qui a animé cette session, n’hésitant pas à confier de quelle manière elle avait supporté la pression d’être l’aînée d’une fratrie d’olim iraniens.

Ces femmes du peuple, qui s’étaient manifestement liées lors des précédentes réunions, rayonnaient d’une force intérieure palpable. Certaines ont donné des détails surprenants – et souvent choquants – de leur vie, allant de la perte d’un être cher à l’abandon en passant par les violences domestiques ou le viol, sans faire l’impasse sur la rédemption, la reconstruction et, au final, le succès.

Toutes avaient des rêves, et certaines d’entre elles commençaient à savoir comment les réaliser.

Originaire de Peduim, moshav des environs d’Ofakim, Littal a évoqué les accidents de la route mortels qui l’ont privée de l’un de ses frères, quand elle avait 17 ans, et de ses deux parents, à l’âge de 24 ans. Après des études dans le domaine de la santé mentale, elle travaille avec des personnes âgées mais rêve d’aider celles et ceux qui ont perdu des êtres chers et, dans le même temps, faire évoluer les mentalités en matière de conduite automobile en Israël, particulièrement chez les jeunes.

« Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre que j’étais capable de parler de ma douleur », a-t-elle déclaré.

Nof Yofi Amiel, arabophone, titulaire d’un doctorat en éducation physique et sportive et ayant travaillé avec des jeunes Bédouins en difficulté, souhaite construire des ponts entre les communautés israéliennes à travers le sport. (Crédit : Noa Sharvit)

« Kumi est arrivé au moment où je me posais des questions sur le sens de mon activité. J’ai besoin d’aller sur le terrain pour aider et protéger les gens : Kumi m’a donné les outils pour le faire et ouvert la porte à des partenariats potentiels. »

Sigal, dont le fils soldat a récemment été blessé à Jénine, en Cisjordanie, lors d’un incident qui a coûté la vie à certains de ses compagnons d’armes, portait un short en jean déchiré, des collants colorés et une multitude de colliers, de bagues et de piercings. Elle qui intervient dans les écoles maternelles pour raconter des histoires aux tout-petits envisage de donner des conférences lors de randonnées communautaires dans le but d’améliorer la santé mentale et physique des participants.

Nitzan, qui s’est présentée comme une innovatrice environnementale, est impatiente de créer des étagères spéciales pour les épiceries des moshav, de façon à mieux mettre en avant les produits locaux et l’artisanat. Selon elle, ce serait propice à l’économie circulaire et apporterait un supplément de revenu aux résidents du moshav tout en leur donnant à voir les côtés positifs de leurs voisins.

« Ils pourraient ainsi découvrir, par exemple, que telle fille agaçante fait d’excellents cupcakes ou que l’agent pénitentiaire est un céramiste de talent », explique-t-elle.

De gauche à droite : Yasmin, Dana et Sigal travaillant sur les détails d’un café communautaire pour leur moshav, lors d’une réunion de Kumi au Conseil régional de Merhavim, dans le sud d’Israël, le 5 mai 2025. (Crédit : Sue Surkes/Times of Israel)

Seule dans son coin, occupée à faire le tri dans ses pensées – comme elle le dit elle-même -, on retrouve Nof Yofi Amiel, mère de trois enfants originaire du moshav Patish. Son frère Oz Davidian est devenu le 7 octobre 2023 un héros national en sauvant pas moins de 120 festivaliers terrifiés par l’attaque du Hamas lors du festival Nova, non loin du kibboutz Reïm. La maison de Nof, en périphérie du moshav, a été le premier refuge des festivaliers secourus.

Dans les heures qui ont suivi l’attaque terroriste, le mari de Nof a été rappelé au titre de la réserve et elle a dû évacuer le moshav avec ses enfants et le chien en direction d’un kibboutz situé près d’Eilat, où elle ne connaissait personne. « Ce sont les femmes qui nous ont aidés, pour absolument tout », se souvient-elle.

Avec son doctorat en éducation physique et sportive et la maîtrise de l’arabe, elle souhaite mettre son expérience avec les jeunes bédouins à risque au service de son projet d’unir les jeunes Bédouins et les Juifs grâce au sport.

Yasmin, Sigal et Dana, qui travaillent ensemble à un projet de café communautaire géré par des jeunes du moshav en partenariat avec des membres plus âgés de la communauté, viennent elles aussi du moshav Patish. Les jeunes, expliquent-elles, ont des problèmes depuis l’attaque du Hamas et ont besoin d’aide pour retrouver des sources de résilience. Les femmes expliquent que le moshav a refusé l’idée du café, mais que Kumi leur a donné suffisamment confiance pour poursuivre leur projet malgré cela.

Oria (à droite), qui aide les familles d’enfants autistes, et Oshrit, qui souhaite développer un projet qu’elle a lancé pour nourrir les soldats, lors d’une réunion de Kumi au Conseil régional de Merhavim, dans le sud d’Israël, le 5 mai 2025. (Crédit : Sue Surkes/Times of Israel)

L’une des femmes les plus calmes est Oria, jeune femme orthodoxe venue du moshav Gilat et qui a passé deux ans et demi au centre hospitalier pour enfants Schneider de Petah Tikva avec sa fille en bas âge, pour un cancer (dont elle a guéri depuis).

« Elle était très malade et je me sentais très seule à l’hôpital », se souvient Oria.

« J’ai travaillé avec des familles d’enfants autistes et eux aussi se sentent très seuls. »

Son projet – pour lequel elle cherche des partenaires – consiste à proposer des après-midi holistiques pour ces familles. « Grâce à Kumi, je pense que je suis capable de le faire », confie-t-elle.

« J’ai créé une entreprise et grâce aux relations que Kumi m’a aidé à nouer, je vais travailler avec des enfants autistes au Centre familial d’Ofakim. »

Elle ajoute : « Moi qui pensais que je ne savais rien faire, j’ai l’impression d’exploser et d’avoir trouvé quelque chose qui me parle et que je me sens appelée à faire. »

Parmi les plus extravertis du groupe, citons l’artiste et personnalité de la radio Yaarit Cana, qui avait noué un lien avec Helen Hajaj par l’intermédiaire de Kumi.

Toutes deux sont des mères célibataires qui ont connu l’extrême pauvreté et sont parvenues à sortir du marasme et réussir. Elles ont déjà rédigé le business plan d’un nouveau podcast destiné aux femmes qui s’appellera « Yalla, Kumi ! » (« Allez, lève-toi ! ») et présentera des histoires de réussite féminine et créera une base de données de femmes entrepreneures pour encourager les partenariats commerciaux.

Yaarit Cana (à gauche) et Helen Hajaj, lors d’une réunion de Kumi au Conseil régional de Merhavim, dans le sud d’Israël, le 5 mai 2025. (Crédit : Sue Surkes/Times of Israel)

Hajaj explique que, faute de pension alimentaire, elle avait fait du marketing en ligne une source de revenus. Depuis qu’elle est chez Kumi, elle a mis en place un cours numérique pour former d’autres femmes à la question et ainsi devenir plus indépendantes sur le plan économique.

La fondatrice de Kumi, Eisman Lifschitz, mère de cinq enfants, s’est installée en Israël il y a de cela 27 ans. Elle a travaillé pendant une dizaine d’année à l’American Jewish Joint Distribution Committee avant de devenir activiste dans le domaine des droits des femmes. Elle est aussi l’ex-présidente de Mavoi Satum, qui vient en aide aux femmes dont les maris refusent de leur accorder le divorce.

Eisman Lifschitz donne les chiffres de la sous-représentation des femmes à tous les niveaux du gouvernement, de la vie publique et des affaires en Israël. Par exemple, les femmes ne représentent qu’un quart des membres de la Knesset, 14 % des ministres et 6 % des maires.

Selon le Jewish Funders Network, l’écart salarial médian entre hommes et femmes travaillant à temps plein est de 25,4 %, contre une moyenne de 12 % au sein des pays de l’OCDE, ce qui relègue Israël à l’avant-dernière place du classement des 44 pays en matière d’inégalité salariale entre les sexes. Le ministère des Finances estime cet écart à 16 % à 18 %.

Suite au pogrom commis par le Hamas le 7 octobre 2023, au cours duquel plus de 1 200 personnes ont été assassinées dans le sud d’Israël et 251 ont été enlevées dans la bande de Gaza, Eisman Lifschitz a remarqué que si les femmes jouaient un rôle démesuré dans la reconstruction de leurs communautés, peu de programmes spécifiques ou de sources philanthropiques étaient disponibles pour elles.

Elle s’est donc associée à Supersonas, plateforme de mise en relation des femmes qui réussissent pour amener davantage de femmes à des postes de direction, et au Western Negev Cluster, association qui regroupe 11 conseils régionaux et municipaux.

Elle a créé une organisation appelée She Rise pour collecter des dons destinés à bénéficier à des projets pour les femmes et les filles, en plus du programme Kumi avec les conseils. Elle a collecté près d’1,5 million de shekels auprès des Jewish Federations of Northern America (JFNA), des Schusterman Family Philanthropies-Israël, de la Fédération UJA du Grand Toronto et d’Applied Materials, entreprise technologique dont le siège se trouve aux États-Unis.

« Quand les femmes sont arrivées ici, il y avait beaucoup de douleur », se rappelle Eisman Lifschitz.

Kylie Eisman Lifschitz. (Crédit : Yael Ilan)

« Cela m’a décidée à les aider à se doter d’une communauté. Mais elles ont aussi besoin de se reconstruire car elles vivent avec des traumatismes qui existaient avant le 7 octobre. Cela fait longtemps que je gravite dans le milieu des femmes et du pouvoir : je sais que les femmes sont nombreuses à se demander comment se réinventer et trouver sa place dans ce monde difficile. »

Elle estime que les femmes sont les plus à même de dire dans quelle mesure les familles évacuées peuvent revenir chez elles, près de Gaza et des frontières nord, mais qu’elles ne sont pas suffisamment consultées par les autorités.

Les femmes n’ont pas seulement besoin de sécurité, d’accès aux transports ou d’un emploi : elles ont également besoin d’une communauté et de retrouver un sentiment d’appartenance, estime-t-elle.

« Les besoins des femmes sont uniques », conclut Eisman Lifschitz, qui espère développer Kumi dans le nord d’Israël.

« Elles ne sont pas des hommes au rabais. Les femmes contribuent à rendre la vie plus vivable pour nous tous. Ça suffit, le bénévolat : faisons en sorte de prendre le pouvoir et d’être des sources d’influence. »

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