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Le carnet du journaliste

Des Allemands jugent l’AfD illégitime malgré sa victoire aux élections européennes

En pleine vague nationaliste, le parti gagne 5 points, mais reste trop controversé pour obtenir un large soutien public, même auprès de certains sympathisants de petites villes

Les codirigeants du parti d'extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) Alice Weidel (G) et Tino Chrupalla après les premiers sondages de sortie des urnes suite aux élections du Parlement européen, à Berlin, le 9 juin 2024. (Crédit : Ralf Hirschberger / AFP)
Les codirigeants du parti d'extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) Alice Weidel (G) et Tino Chrupalla après les premiers sondages de sortie des urnes suite aux élections du Parlement européen, à Berlin, le 9 juin 2024. (Crédit : Ralf Hirschberger / AFP)

MUNICH, Allemagne – Peu, voire aucun, des partis d’extrême droite européens ne portent autant le poids du passé que le parti Alternative für Deutschland (AfD), un mouvement anti-immigration, qui suscite de fréquentes controverses en raison de scandales liés au passé nazi du pays.

Malgré les controverses, le parti d’extrême droite AfD a démontré sa popularité croissante en Europe en remportant 16 % des voix aux élections européennes de dimanche en Allemagne, soit une hausse de cinq points par rapport aux élections de 2019. L’AfD devient ainsi pour la première fois la deuxième force politique allemande au sein de l’Union européenne (UE).

D’autres partis d’extrême droite européens ont également obtenu de bons résultats lors de ces élections, où chaque État membre de l’UE a élu ses représentants au Parlement européen, qui compte 720 sièges. Ce parlement joue un rôle clé dans l’allocation des budgets de l’UE et la supervision de la Commission européenne, l’exécutif de l’Union.

En France, le Rassemblement National (RN) est passé de 23 % en 2019 à 31 %, poussant le président centriste Emmanuel Macron à convoquer des élections législatives nationales anticipées. Aux Pays-Bas, le Parti pour la Liberté (PVV) a augmenté son score de 2,5 % à 17 %, et en Autriche, le Parti de la Liberté (FPÖ) est passé de 19 % à 27 %, enregistrant ainsi le meilleur résultat parmi les partis autrichiens. (Malgré ces gains, le bloc d’extrême droite n’est pas le plus important au Parlement, étant surpassé par le centre-gauche et le centre-droit.)

Les bons résultats de l’AfD ont été obtenus malgré une crise interne survenue le mois dernier lors de la campagne pour le Parlement européen. Maximilian Krah, le principal candidat du parti, a déclaré dans une interview que « tous les soldats SS n’étaient pas des criminels », provoquant des critiques tant de la part des détracteurs du parti que de ses propres dirigeants et alliés. Krah a ensuite été contraint de démissionner.

Ce scandale compliquera probablement la tentative de l’AfD de se positionner dans le courant politique dominant, un effort amorcé il y a plusieurs années. Fondé en 2014, le parti a essayé de se débarrasser de l’étiquette néo-nazie que lui attribuent de nombreux détracteurs, y compris des dirigeants de la communauté juive, qui voient en l’AfD un rappel du fascisme ayant décimé la vie juive en Europe il y a 80 ans.

Des piétons marchent à Kaufbeuren, en Allemagne, le 7 juin 2024. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

Pourtant le scandale du mois dernier, tout comme ceux qui l’ont précédé, ne semble guère avoir nui à l’AfD a progressé en menant campagne sur les problèmes liés à l’immigration – et notamment à l’antisémitisme – ainsi que sur l’inflation, les politiques énergétiques et les questions de sécurité.

Des dizaines d’interviews réalisées dans la rue par le Times of Israel à la veille des élections dans l’État allemand de Bavière ont confirmé à la fois la popularité du programme du parti et ses limites. De nombreuses personnes interrogées qui ont exprimé des positions proches de celles de l’AfD ou qui ont carrément défendu le parti ont refusé de dire à ce journaliste, même sous couvert d’anonymat, si elles voteraient pour lui.

Une femme âgée nommée Margarite Sandheim a affirmé qu’elle voterait « pour n’importe qui mais pas pour les néonazis de l’AfD » lors d’une interview à Kaufbeuren, une ville pittoresque située au pied des Alpes à environ 100 kilomètres à l’est de la capitale bavaroise, Munich.

Une femme assise à côté d’affiches électorales à Kaufbeuren, en Allemagne, le 7 juin 2024. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

D’autres personnes à Kaufbeuren ont défendu l’AfD contre les accusations de « nazisme », affirmant que le parti n’était pas différent de ses homologues en Europe, lesquels, selon les interviewés, répondent à des défis que les partis politiques traditionnels ont soit créés, soit échoué à résoudre.

« Les gens sont gênés de dire qu’ils voteront AfD », a dit Marcus, un homme d’une trentaine d’années, à l’extérieur d’un centre commercial à Kaufbeuren. Il a refusé de dire quel serait son vote à lui.

« Quand on les entend dire ‘l’Allemagne d’abord’ ou ‘l’Allemagne pour les Allemands’, cela renvoie les gens au passé et ils désignent l’AfD comme des nazis. Mais l’AfD a raison sur nombre de points : nous devrions pouvoir être fiers de notre pays et de notre nationalité, au même titre qu’un Français ou qu’un Américain. ‘America first’, c’est pareil, mais nous n’en avons pas le droit parce que nous sommes Allemands. C’est insupportable », a affirmé Marcus.

En Bavière, l’un des États les plus riches d’Allemagne, l’AfD a obtenu 11 % des voix, soit cinq points de pourcentage de moins que la moyenne nationale et bien moins que dans des régions comme la Saxe, un État relativement pauvre où l’AfD a recueilli 40 % des voix dimanche. Cependant, même à Kaufbeuren, où la criminalité est faible et le salaire moyen est à peu près équivalent à la moyenne nationale, les idées de l’AfD trouvent un écho chez de nombreux habitants.

Une scène tirée d’un roman du XIXe siècle

Propres et bien aménagées, les rues pavées de la vieille ville de Kaufbeuren semblent sorties d’un roman du XIXe siècle. Sous le soleil du début de l’été, ses habitants sirotent des glaces au doux murmure des ruisseaux alpins dont les eaux turquoise s’écoulent dans des canaux à travers la ville. Kaufbeuren, qui compte environ 40 000 habitants, abrite des centaines d’Ukrainiens qui ont fui la guerre et plusieurs milliers d’immigrants du Moyen-Orient et d’Asie.

La Chancelière allemande Angela Merkel s’exprime lors d’une cérémonie à la Synagogue Rykestrasse de Berlin le 9 novembre 2018 pour commémorer le 80e anniversaire du pogrom nazi de la Nuit de Cristal. (Tobias Schwarz/AFP)

Certains membres de ce dernier groupe sont arrivés après 2014, lorsque la chancelière de l’époque, Angela Merkel, qui avait été élue sur la plateforme de centre-droit de son parti CDU, a accepté d’accueillir des centaines de milliers d’immigrants du Moyen-Orient déchiré par la guerre, malgré une opposition intérieure croissante à cette mesure, pour laquelle elle a invoqué des raisons humanitaires.

« Je veux que le gouvernement allemand fasse plus pour son propre peuple », a indiqué Julia Fischer, une habitante de Kaufbeuren. Elle a refusé de dire pour qui elle avait l’intention de voter.

« Je ne suis pas raciste, mais je trouve très triste que des retraités doivent ramasser des bouteilles dans la rue pour gagner leur vie, alors qu’on consacre les budgets à l’Ukraine, aux immigrés », a-t-elle ajouté.

Les politiciens de l’AfD ont soulevé des arguments similaires (leur utilisation de la phrase « nous ne sommes pas des nazis » a été reprise par de nombreux satiristes et créateurs de mèmes). Pourtant, de hautes personnalités de l’AfD ont systématiquement et à plusieurs reprises défendu l’Allemagne nazie, et se sont appuyées sur son héritage.

Un exemple récent, en plus de celui fourni par Krah, a été donné par la dirigeante du parti, Alice Weidel, qui, en septembre, a boycotté un événement commémorant la libération du nazisme parce que cela revenait à célébrer « la défaite de mon propre pays », comme elle l’a dit. En 2017, le fondateur et président honoraire du parti, Alexander Gauland, a été filmé en train de dire que les Allemands « devraient être fiers » de leurs soldats qui ont combattu pendant les deux guerres mondiales.

Charlotte Knobloch, une survivante de la Shoah qui dirige la communauté juive de Munich, n’a eu de cesse de mettre en garde contre les dangers perçus des gains électoraux de l’AfD.

Dans un discours (en allemand) prononcé la semaine dernière, elle a qualifié l’AfD « d’antidémocratique », ajoutant que « ce parti représente notre plus grande menace aujourd’hui, et pas seulement dans le contexte parlementaire. Leur arrogance et leur orgueil doivent être brisés à la fois aux urnes et par les institutions de défense de la démocratie ». À l’occasion de la 76e commémoration de la libération d’Auschwitz en 2021, elle s’est adressée aux dirigeants de l’AfD en déclarant : « Vous avez perdu votre combat il y a 76 ans », une référence à la fois à la défaite nazie et au livre bien connu d’Adolf Hitler, « Mein Kampf », ou « Mon combat ».

Depuis quelques années, l’Allemagne est le théâtre d’un antisémitisme violent et important de la part de l’extrême droite, comme en témoigne la tentative de massacre de la synagogue de Halle en 2019, mais aussi des populations originaires de pays à majorité musulmane.

Le déclenchement de la guerre à Gaza à la suite des atrocités commises par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre dans le sud d’Israël n’a fait qu’exacerber la situation, bouleversant ainsi la vie de nombreux juifs allemands.

Les « nazis » passent-ils à la lutte contre l’antisémitisme ?

Gady Gronich dans son bureau à Munich, en Allemagne, le 7 juin 2024. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

À Munich, Gady Gronich, le PDG de la Conférence des rabbins européens, a récemment fait quelque chose qu’il n’avait jamais fait au cours de ses 32 années de vie en Allemagne : il a évité de parler hébreu en public.

« Beaucoup de Juifs allemands ont peur. Ils craignent d’être agressés, bien sûr. Mais ils craignent également d’être confrontés à des questions telles que « Pourquoi Israël assassine-t-il des enfants ? », a indiqué Gronich, à qui cette question a été posée à de nombreuses reprises dans les rues de Berlin ces derniers mois. Dans de nombreux cas, l’hostilité à l’égard des Juifs émane d’immigrés originaires de pays musulmans.

En 2023, les autorités ont enregistré un total de 3 614 crimes de haine antisémites en Allemagne, où vivent environ 120 000 juifs, selon la Conférence des rabbins européens. Il s’agit d’une augmentation de 31 % par rapport à 2022, la plupart des incidents s’étant produits après le 7 octobre.

Alors que le gouvernement allemand s’est résolument engagé aux côtés d’Israël pendant la guerre et a renforcé la sécurité autour des institutions juives, l’hostilité ou l’antipathie de nombreux non-Juifs fait que les Juifs d’Allemagne se sentent isolés, a expliqué Gronich. « La sécurité est plus stricte autour de notre centre communautaire juif, mais il y a moins de personnes à surveiller : La fréquentation a chuté depuis le 7 octobre », a-t-il déclaré.

L’AfD a tenté d’exploiter cette évolution à des fins politiques. En novembre, le parti a présenté un projet de résolution, que le Parlement allemand a ensuite rejeté, intitulé « Identifier clairement et combattre efficacement l’antisémitisme causé par l’immigration – expulser les partisans du terrorisme antisémite ».

L’antisémitisme qui a explosé le 7 octobre, selon Gronich, « est un danger plus clair et plus présent que le succès de l’AfD aux élections ». Il a ajouté que la montée progressive de l’AfD était toutefois « également inquiétante. Inutile de se jeter dans les bras de l’extrême droite en raison des craintes d’antisémitisme de la part de musulmans extrémistes. Cela ne va pas améliorer la situation », a-t-il déclaré. De nombreux Allemands, et en particulier les électeurs de l’AfD, considèrent les juifs comme des étrangers, a-t-il fait remarquer.

« Lorsque les électeurs de l’AfD en auront fini avec les autres étrangers, ils se tourneront vers les juifs », a ajouté Gronich. La Conférence des rabbins européens n’envisage pas de modifier sa politique d’engagement zéro avec l’AfD, a-t-il ajouté, « mais nous délibérons en interne sur la façon de procéder avec d’autres partis d’extrême droite européens compte tenu des résultats des élections au Parlement européen. »

Tino Chrupalla, à droite, et Alice Weidel, à gauche, codirigeants du parti « Alternative für Deutschland » applaudissent à la fin de la réunion électorale européenne à Magdebourg, en Allemagne, le 6 août 2023. (Crédit : Klaus-Dietmar Gabbert/dpa via AP)

Le soutien de l’AfD à Israël a été exprimé ouvertement après le 7 octobre, date à laquelle 3 000 terroristes du Hamas ont assassiné près de 1 200 personnes en Israël et en ont enlevé 251, provoquant une opération israélienne en cours dans la bande de Gaza qui a fait des milliers de morts parmi les Palestiniens, dont de nombreux terroristes mais aussi des civils.

En tant que président honoraire de l’AfD, Gauland a dit en octobre « qu’Israël représente l’Occident dans un environnement qui rejette et combat l’Occident. En soutenant Israël, nous défendons aussi notre mode de vie. »

L’AfD est l’un des nombreux partis d’extrême droite européens qui ont exprimé leur soutien à Israël après le 7 octobre, alors même que l’opinion publique – et parfois l’establishment diplomatique – de leur pays se sont détournés de l’État juif.

Selon Gronich, cette démarche de l’AfD vise à gagner les faveurs d’Israël et de ses partisans afin de se démarquer de son image antisémite.

« L’AfD s’inspire du manuel de Marine Le Pen », a expliqué Gronich, en référence à la dirigeante du Rassemblement national (RN) français, qui a succédé à son père Jean-Marie, ouvertement antisémite, à la tête du groupe. Elle s’est efforcée de normaliser le parti, anciennement connu sous le nom de Front national.

Des partisans du parti d’extrême droite français, le Rassemblement National, réagissent au siège du parti lors de la soirée électorale à Paris, le 9 juin 2024. (Crédit : Lewis Joly/AP)

Ses efforts, qui comprenaient l’expulsion des antisémites du parti, dont son propre père, ont été couronnés de succès : avant de remporter 31 % des voix en France pour le Parlement européen – une augmentation de 8 points par rapport à 2019 qui fera du RN le plus grand parti français de loin au Parlement – il avait remporté 41 % des voix aux élections présidentielles de 2022 (également une augmentation de 8 points par rapport aux élections précédentes de 2017).

Avant les élections européennes, Serge Klarsfeld, Français juif, connu pour avoir traqué les nazis, critique de longue date du RN, avait déclaré que ce dernier entrait « progressivement dans le cercle des partis républicains », c’est-à-dire des mouvements politiques classiques et légitimes. Le ministre israélien de la Diaspora, Amichai Chikli, s’est adressé à Marine Le Pen lors d’une conférence à Madrid, dans un rare signe de reconnaissance de la part d’un officiel israélien.

Les messages de l’AfD trouvent un écho chez certains Juifs d’Allemagne, tout comme ceux du RN en France.

« Les déclarations des dirigeants de la communauté juive sont, à mon avis, largement déterminées par l’hypocrisie politique », a déclaré un Juif allemand, qui a parlé au Times of Israel sous le couvert de l’anonymat, citant des préoccupations pour ses moyens de subsistance.

L’homme a déclaré qu’il avait voté pour l’AfD dans le passé, mais qu’il avait décidé de ne pas voter lors des dernières élections.

« Je ne pense pas que l’AfD ait des intentions cachées. L’AfD n’a pas d’idéologie nazie, elle est simplement devenue un parti nationaliste… comme il en existe dans tous les pays. C’est un élément naturel de toute société. Nous ne devrions pas sympathiser avec eux, mais nous ne devrions pas non plus les diaboliser », a-t-il déclaré.

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