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Halle : La vie des Juifs allemands ne peut « se résumer à l’antisémitisme »

Rebecca Blady, citoyenne américaine et rabbin, et son époux, Jeremy Borovitz, sont arrivés à Berlin en mai pour mener des missions de travail social juif

Yaakov Schwartz est le rédacteur adjoint de la section Le monde juif du Times of Israël

Le rabbin Rebecca Blady, au centre, lors d'une cérémonie de havdallah en 2017. (Autorisation : Base BERLIN)
Le rabbin Rebecca Blady, au centre, lors d'une cérémonie de havdallah en 2017. (Autorisation : Base BERLIN)

BERLIN — Quarante-huit heures après avoir survécu à une fusillade survenue dans une synagogue, dans l’est de l’Allemagne, la volonté de Rebecca Blady, une ressortissante américaine, reste inaltérée lorsqu’il s’agit de continuer à mener sa mission de travail de proximité avec la communauté juive d’Allemagne.

Cette fusillade, un « massacre » de Yom Kippour qui n’a pu être évité que grâce à la solidité de la porte en bois de la synagogue, qui a résisté aux assauts d’un tireur néo-nazi âgé de 27 ans, a fait deux morts, deux personnes qui se trouvaient aux environs du lieu de culte et qui sont tombées sous les balles de l’attaquant.

Une vidéo de l’attaque a été diffusée en direct par le suspect, Stephan Balliet, un citoyen allemand. Les images le montrent en train d’essayer de manière répétée de casser la porte alors que des dizaines de fidèles se sont barricadés à l’intérieur.

Parmi les survivants, Blady et son époux, le rabbin Jeremy Borovitz, ainsi que la vingtaine de personnes qui les avaient accompagnés depuis Berlin, à environ 170 kilomètres de là, pour se joindre à l’office de la petite communauté de Halle.

La synagogue verrouillée, les fidèles captifs à l’intérieur ont pris la décision de ne pas interrompre l’office de prière. Avec les Juifs de Halle, ce groupe de visiteurs – en majorité constitué de jeunes – a vécu un office qu’il n’oubliera jamais.

La décision prise par la congrégation de s’unir dans la prière, face au danger, semble s’adapter à merveille à la mission de Blady et Borovitz, qui se sont installés au printemps dernier à Berlin. Ils sont arrivés avec leur enfant, un nouveau-né, et l’envie d’aider la communauté à croître – un engagement auquel Blady clame rester fidèle.

Blady est directrice de Hillel Allemagne et, aux côtés de son époux, elle dirige Base BERLIN, un centre d’organisation d’événements divers. Au programme : repas communautaires, musique, yoga et cours de Torah.

« Il est tellement important, en particulier maintenant, que l’Allemagne, pour la communauté juive, ne puisse se résumer à l’antisémitisme », a déclaré Blady au Times of Israel lors d’une interview accordée vendredi entre une halte à la garderie pour y déposer le bébé et la cuisson du challah pour le Shabbat.

Avec peu de temps pour réfléchir posément aux événements, Blady et Borovitz ont été pris dans un tourbillon dans les quarante-huit heures qui ont suivi l’attaque – avec le retour à Berlin, le travail de prise en charge de ceux qui se trouvaient dans la synagogue au moment de la fusillade, les communiqués et autres entretiens avec la presse.

« Hier, j’avançais grâce à l’adrénaline mais aujourd’hui, je suis tout simplement épuisée », dit Blady, ajoutant qu’elle commence tout juste à réaliser la gravité de ce qui est arrivé.

L’entretien suivant a été légèrement révisé et corrigé.

Vous êtes arrivée en mai, et maintenant, il se passe ça…

Dans notre quotidien à Berlin, nous ne nous sentons pas en danger habituellement. Quand nous nous promenons dans la rue, mon mari et moi pouvons – dans une certaine mesure – être identifiés comme Juifs. Nous n’avons jamais eu vraiment de raison d’avoir peur à Berlin. Nous ne sommes pas naïfs – nous savons qu’il y a des incidents, nous savons que certains de nos amis ont pu être bousculés ou qu’on leur a craché dessus parce qu’ils portaient des étoiles de David autour du cou ou parce que certains signes, même légers, attestaient de leur judaïsme. Et nous compatissons, bien sûr, avec eux.

Mais en même temps, nous savons que ce type d’incidents reste peu fréquent et nous avons aussi conscience du fait que Berlin n’est pas si différent – malheureusement – du reste du monde en ce moment, où être Juif fait à nouveau soudainement de vous une cible.

Peu avant que nous nous installions ici, il y a eu la fusillade à la synagogue Tree of Life à Pittsburgh, il y a eu la fusillade à Poway. Des synagogues, des espaces juifs pris d’assaut par des loups solitaires armés – je veux dire que nous étions déjà habitués à cela avant de nous installer en Allemagne parce que c’est la réalité du monde d’aujourd’hui.

Est-ce que nous aurions pensé le vivre un jour ? Je ne crois pas que qui que ce soit pense qu’il sera amené à le vivre. Intellectuellement parlant, est-ce que nous pensions que c’était impossible ? Je veux dire, c’est possible. En définitive, c’est le cas : C’est possible.

Le tireur Stephan Balliet dans une rue de Halle, en Allemagne, pendant sa fusillade aux abords d’une synagogue, qui a fait deux morts, le 9 octobre 2019. (Capture d’écran/Andreas Splett/ATV-Studio Halle/AFP)

Vous avez dit que vous préfériez que les Juifs et les organisations communautaires se concentrent sur la vie juive ici plutôt que sur les incidents liés à l’antisémitisme. Ce point de vue a-t-il changé depuis mercredi ?

De manière générale, je pense qu’il faudrait qu’il y ait davantage de gens du monde entier, en particulier issus de la communauté juive, qui viennent ici et qui voient par eux-mêmes la vie juive qu’il peut y avoir, qui est florissante, et qu’ils puissent constater aussi qu’il y a des membres actifs issus de la communauté qui travaillent vraiment très dur, souvent sur la base du bénévolat, pour mettre en place notamment des espaces et des programmes communautaires vraiment merveilleux et très stimulants. Et ça, je continue à penser que c’est vrai. Absolument.

Je pense qu’il est très important que les gens ne considèrent pas Berlin comme un endroit où ils doivent aller pour afficher leur solidarité et ressentir toutes les gammes d’émotions possibles parce que ça a été une ville de la Shoah.

Bien sûr, c’est compliqué avec l’histoire de la Shoah – ça rajoute une dimension supplémentaire à l’histoire dans son ensemble. Mais c’est également à cause de ça – le fait qu’il y ait ici une communauté juive florissante – que je pense que c’est l’une des communautés les plus importantes dont les gens, à travers le globe, peuvent tirer des leçons – le fait qu’il y ait eu une communauté construite ici intentionnellement, qui se redonne vie à elle-même avec un fonctionnement très spécial et unique…

Le rabbin Jeremy Borovitz, à droite, devant une synagogue à Halle, en Allemagne, le 10 octobre 2019. (Crédit : AP Photo/Jens Meyer)

Les gens ne peuvent pas seulement penser à ici et aux Juifs de Berlin en les considérant comme des combattants et des héros – ce qu’un grand nombre d’entre eux sont malgré tout, bien sûr – mais si la communauté juive, dans le monde entier, ne se réveille pas pour se rendre compte qu’il y a des Juifs, ici, qui mènent une existence remplie, avec des écoles juives, des synagogues, avec une culture entière et que la seule fois que nous entendons parler de la communauté juive mondiale est dans un moment comme celui-là, alors il y a quelque chose qui ne va vraiment pas, à mon avis.

Le narratif autour des Juifs allemands ne peut pas se résumer à l’antisémitisme parce qu’honnêtement, si c’est le cas, je pense que nous nous tirons une balle dans le pied. Nous devons voir le monde juif comme étant unifié.

Le chef communautaire de Halle, Max Privorotzky, aurait dit qu’il n’était plus sûr que les Juifs aient encore un avenir en Allemagne.

Oui, et c’est peut-être ce qui est, en fin de compte, le plus douloureux pour moi. Parce qu’il est aussi absolument dans le juste quand il exprime ce point de vue.

Le leader de la communauté juive Max Privorozki fait une déclaration devant la synagogue de Halle, dans l’est de l’Allemagne, vingt-quatre heures après une attaque meurtrière antisémite, le 10 octobre 2019. (Crédit : Ronny Hartmann/AFP)

Nous et notre groupe ne sommes pas originaires de Halle. La majorité d’entre nous est revenue à Berlin où il y a une vie juive active, où il y a des policiers devant chaque synagogue, où il y a des gens à qui parler des différents sentiments qui nous animent face à tout ça et où il y a des espaces dans lesquels nous pouvons nous rendre.

Et cette synagogue, c’est le seul espace communautaire de Halle – ils ne peuvent pas seulement songer à la quitter, ils n’ont pas d’autre choix. Leur seul espace juif a été pris d’assaut. Et en ce qui nous concerne, il y a quelque chose auquel nous tentons vraiment de réfléchir, c’est comment tenter de maintenir une relation avec cette communauté.

Des bougies allumées devant la synagogue de Halle, dans l’est de l’Allemagne, 24 heures après une fusillade antisémite, le 10 octobre 2019. (Crédit : Ronny Hartmann / AFP)

Nous avons traversé ensemble ce qui est arrivé et nous sommes partis, ce qui est un luxe dans ce genre de situation.

Quand je pense à combien j’ai été pétrifiée et traumatisée par l’attaque, je ne peux qu’imaginer que ça a été la même chose pour eux – mais il y a une double peine pour eux, celle que cette synagogue est leur seul espace juif. Et je ne vis pas moi-même cela, et ça m’inquiète beaucoup…

Il y a beaucoup de douleur là-bas. Il y a beaucoup de douleur dans ce que Max a dit.

Vous aviez un groupe d’une vingtaine de personnes à vos côtés à Halle, pour Yom Kippour, et vous et votre époux êtes parvenus à conserver votre calme et votre sens de l’autorité, dans le groupe, pendant tout l’incident. Qu’est-ce qui vous a permis de tenir ?

Il y a une période de temps assez importante durant laquelle nous ignorions véritablement ce qui était en train de se passer. Pendant la première heure, un grand nombre d’entre nous ne parvenions pas à réellement savoir s’il y avait un tireur ou s’il y avait un type avec fusil à air comprimé et des feux d’artifice. On ne savait vraiment pas.

Ce moment d’incertitude, qui a été assurément effrayant, m’a permis en fait d’explorer toute la gamme des possibilités et de nourrir l’espoir que nous allions tous en sortir – et c’était quelque chose d’assez curieux. J’ai laissé cet espoir prendre le dessus dans mon esprit.

Un homme juif entre des agents de police près du cimetière juif de Halle, à côté de la synagogue, le 9 octobre 2019. (Crédit : Jens Meyer/AP)

Grâce à ça, nous avons été capables de prendre des décisions avec la communauté. Nous avons décidé que nous allions continuer à prier, par exemple.

Les tirs sont survenus au beau milieu de la lecture de la Torah et, à ce moment où nous ignorions ce qui était en train de se passer, nous avons d’abord choisi de nous cacher à l’étage puis nous sommes redescendus. Après, nous avons décidé que nous allions continuer la deuxième moitié des prières et que le chantre nous dirigerait, et que nous aurions notre Yom Kippour.

Et c’est finalement la seule chose qu’il fallait que nous fassions, semble-t-il, à de nombreux égards. La synagogue était verrouillée, personne n’était autorisé à en sortir ou à y entrer et, vous savez, c’est après tout ce jour où nous sommes sensés nous confronter à notre propre mortalité. Dans cet espace rempli d’inconnus, la prière a été extrêmement puissante.

Personne n’a-t-il demandé pourquoi il n’y avait pas de présence policière, avant l’attaque, devant une synagogue de l’est de l’Allemagne à Yom Kippour ?

Oui, je pense que les gens se sont interrogés parce que, bien sûr, à Berlin, la police est visible devant toutes les synagogues, en particulier lors des grandes fêtes comme Yom Kippour.

Oui, je pense que les gens se sont interrogés. Et c’est tout ce que je dirai à ce sujet.

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