Des employés d’Hitler disent qu’ils ne savaient pas pour la Solution finale
Dans un nouveau recueil de mémoires, trois anciens domestiques dévoilent les coulisses, et affirment qu'ils ignoraient les crimes nazis malgré leur proximité avec le Führer

Selon une compilation de témoignages oculaires d’anciens employés de maison d’Adolf Hitler, les domestiques du dictateur n’étaient pas au courant des atrocités commises par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, dont le meurtre de 6 millions de juifs pendant la Shoah.
Dans le livre Living with Hitlerd, publié en mai, trois anciens employés du Führer livrent leurs impressions sur la vie quotidienne à son service. Alors que de nombreux récits d’après-guerre portent sur des détails anodins comme le menu quotidien et la garde-robe d’Hitler, ces témoignages mettent en lumière la vie dans « la cage dorée du Berghof », la retraite alpine du Führer.
De ses tentatives maladroites de se faire photographier avec des enfants allemands, au contrôle oppressant qu’il exerçait sur sa maîtresse, Eva Braun, Hitler et ses excentricités sont rappelés avec bienveillance. Après avoir conçu lui-même la maison de campagne bucolique du Berghof, Hitler a utilisé cette retraite – et sa magnifique vue imprenable sur les montagnes et le passé mythique de l’Allemagne – pour organiser des réunions avec les chefs d’État.
D’après les trois récits du livre, les employés de maison proches d’Hitler étaient « dans l’ignorance » des méfaits liés au régime. Selon l’ancien valet Karl Wilhelm Krause, le dictateur lui-même « n’a pas été informé de bien des choses », écrit-il.
« Hitler vivait dans une sorte de monde fictif », dit Krause, qui « est tombé en disgrâce » auprès de son maître à cause d’une bouteille d’eau minérale.
Le renvoi de Krause a eu lieu avant que la « Solution finale » allemande à la question juive ne soit mise en œuvre, bien que Krause ait continué à rendre visite à Hitler après avoir perdu son emploi.

Dans une interview accordée au Times of Israel au sujet de Living with Hitler, dont il a écrit l’avant-propos, l’historien de la Seconde Guerre mondiale Roger Moorhouse a déclaré que les anciens membres du personnel – y compris les trois personnages du livre – n’étaient pas en mesure de reconstituer la « guerre de destruction » mise en place par Hitler après l’invasion allemande des terres soviétiques.
La femme de chambre d’Hitler au Berghof, Anna Plaim, affirmait que « la plupart des gens ne savaient rien de l’extermination des juifs brutalement exécutés à Auschwitz ».
Elle a admis avoir eu une intense « fascination » pour Hitler et a dit à un journaliste qu’elle faisait partie des Allemands qui ont visité Auschwitz-Birkenau après la guerre, et ont été bouleversés par cette expérience.
Le récit de Plaim met en lumière la relation d’Hitler avec Eva Braun, qui était sa maîtresse au Berghof. Dans le nord, au quartier général de Berlin, Braun était cachée à l’étage la majeure partie de la journée, entrant et sortant par une porte dérobée. À l’inverse, les photos prises d’elle – et par elle – au Berghof montrent une femme libre d’esprit, à l’aise et généralement souriante aux côtés d’Hitler.
Pour sa part, Plaim, la femme de chambre, a admis avoir fouillé dans les poubelles de Braun pour en savoir plus sur la vie privée de sa maîtresse, y compris sur sa relation mystérieuse avec Hitler. Des trois anciens membres du personnel du livre, seule Plaim est encore en vie.
« Nous aurions pu savoir »
Plus tôt cette année, les carnets de guerre du militant allemand Friedrich Kellner ont été publiés pour la première fois en anglais. Dans ses carnets, Kellner collait des articles sur les atrocités du régime au fur et à mesure qu’elles se produisaient, des coupures de presse ou des tracts diffusés dans la ville.
Féroce opposant au nazisme, Kellner a souvent écrit sur les mensonges du régime au peuple allemand, et il a mentionné plusieurs rapports sur l’évolution du génocide des juifs en Pologne occupée par les nazis. Depuis la publication du journal de Kellner en Allemagne, l’ouvrage est considéré comme un regard sur ce que les « Allemands ordinaires » auraient pu savoir sur les activités génocidaires des nazis pendant la guerre.

Selon Moorhouse cependant, la capacité de résistance n’était pas très répandue parmi la population de l’Allemagne nazie : peu de personnes avaient accès au niveau d’informations de Kellner.
« Kellner était exceptionnel », dit Moorhouse. « C’était un socialiste, un fonctionnaire du tribunal, quelqu’un qui avait les yeux et les oreilles ouverts. En plus, c’était quelqu’un qui cherchait consciemment à consigner les crimes des nazis pour la postérité. »
Kellner était quelqu’un qui « voulait savoir », ajoute M. Moorhouse qui compare le défunt journaliste à Anne Plaim de Living with Hitler, « une fille simple de Basse-Autriche qui avait à peine 20 ans quand elle est devenue la femme de chambre d’Hitler », dit-il.
« Tout le monde n’est pas Friedrich Kellner; tout le monde n’est pas capable d’être Friedrich Kellner », dit Moorhouse. « Plaim non plus, assurément. »

Dans le cadre de sa longue enquête sur « ce qu’ils savaient », Moorhouse a évoqué l’une des secrétaires les plus connues d’Hitler, Traudl Junge. Dans ses mémoires parus en 2002, Junge affirme que « nous aurions pu savoir » les atrocités commises par les nazis.
« Ce que [Junge] insinue, mais ne dit pas, c’est que – pour une raison quelconque, peut-être aveuglée par la grande vie – elle et son entourage, comme tant d’autres, n’ont jamais voulu savoir, et donc, ne se sont jamais posés de questions », dit Moorhouse.
La plupart des Allemands en temps de guerre voulaient « ne pas savoir », a rappelé Moorhouse, « l’époque était différente; l’information n’était pas omniprésente comme elle l’est aujourd’hui », a-t-il fait remarquer.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, « les médias [allemands] étaient strictement contrôlés, les discussions étaient surveillées », explique Moorhouse. « Trop souvent, à mon avis, les commentaires modernes sur ce sujet partent d’une conception anachronique, de l’hypothèse qu' »ils devaient savoir ». Je pense que c’est beaucoup plus compliqué que cela », a dit Moorhouse, dont le livre Berlin at War approfondit la question.
Une vision un peu plus objective
En ce qui concerne la compréhension de la vie privée d’Hitler, les récits de Living with Hitler présentent quelques nouvelles anecdotes.
Herbert Dohring, gouvernante au Berghof, a expliqué qu’Hitler se sentait « socialement responsable de son personnel ». Il leur offrait par exemple de généreuses sommes d’argent. Dohring a également parlé du côté obscur de la personnalité d’Hitler, notamment lorsque sa femme a surpris Hitler « assis en pleine étreinte sur le canapé » avec Geli Raubal – la nièce par alliance du dictateur – en 1931.

Selon les rumeurs, Hitler et Raubal avaient une liaison, et le suicide présumé de Raubal pourrait avoir été causé par la possessivité excessive d’Hitler. Lorsqu’ils vivaient ensemble, Hitler a fait en sorte que Raubal soit suivie partout où elle allait, puis il a brusquement mis fin à sa relation avec elle.
Sur les trois récits de Living with Hitler, Moorhouse pense que le récit du valet Karl Krause est « le plus intéressant ».
« La plupart des autres récits des gens de maison d’Hitler sont, dirons-nous, plutôt ‘non critiques’ dans leur ton », dit Moorhouse. « Ils parlent du ‘Patron’ de façon respectueuse, ils sont clairement influencés par les sentiments qu’ils avaient à l’époque. Krause, cependant, a une vision un peu plus objective. Il a été licencié par Hitler en 1939… »

M. Moorhouse affirme qu’une première série de livres écrits par le personnel d’Hitler a été publiée dans les années 1960, y compris des tomes rédigés par son chauffeur et son valet. « Bien que les comptes-rendus les plus récents n’ajoutent pas grand-chose au passé historique, ils offrent un aperçu du centre du pouvoir du Troisième Reich », dit-il.
« Les livres des employés de maison d’Hitler nous montrent comment, d’une certaine manière, les régimes autocratiques et totalitaires fonctionnaient ; ils nous montrent les luttes intestines, les petites rivalités, la construction de l’empire, le népotisme, la flagornerie », dit Moorhouse.
« De telles choses existent sans doute dans les cercles internes de nombreux régimes despotiques, passés et présents, et méritent donc d’être étudiées uniquement pour cet aspect », a conclu Moorhouse.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel