Des Israéliens ont trouvé la preuve que les premiers hommes cuisaient les aliments
Selon une équipe de chercheurs, il y a 780 000 ans, les hommes préhistoriques utilisaient des méthodes sophistiquées pour cuire les gros poissons du lac Hula
Il y a environ 780 000 ans, les hommes préhistoriques se réunissaient régulièrement près du Jourdain, dans ce qui est maintenant le nord d’Israël, pour y faire cuire, selon une méthode très sophistiquée, les gros poissons pêchés dans les eaux du lac Hula tout proche.
C’est ce qu’a découvert une équipe internationale formée d’universités et d’institutions israéliennes et étrangères de tout premier plan, qui pensent avoir trouvé les premières preuves tangibles de cuisine humaine.
Leurs recherches, publiées dans la revue à comité de lecture Nature, se sont centrées sur le site acheuléen de Gesher Benot Yaaqov près du Jourdain, dans la vallée de Hula, au nord de la mer de Galilée.
Les premières traces d’un usage contrôlé du feu par les premiers hommes ont été trouvées sur ce site il y a près de 20 ans, mais jusqu’à présent, le motif d’utilisation du feu n’avait pas été établi.
L’équipe a analysé les restes de dents de poisson ressemblant à des carpes trouvées sur les lieux, concluant qu’elles avaient environ 780 000 ans et que les poissons avaient été chauffés à une certaine température, en utilisant une méthode de cuisson lente, capable de faire fondre les arêtes.
L’équipe est composée de chercheurs de l’Université hébraïque de Jérusalem, de l’Université de Tel Aviv et de l’Université Bar-Ilan, qui ont collaboré avec le Collège académique Oranim, l’Institut israélien de recherche océanographique et limnologique, le Musée d’histoire naturelle de Londres et l’Université Johannes Gutenberg de Mayence, en Allemagne.
Une déclaration commune publiée par l’Université de Tel Aviv précise que, jusqu’à présent, la première preuve de cuisson par les premiers hommes datait de 170 000 ans : cette nouvelle découverte la précède de quelque 600 000 ans.
Il existait déjà des preuves d’un usage contrôlé du feu – y compris des cendres datant d’un million d’années, trouvées dans une grotte, en Afrique du Sud – mais le lien entre le feu et la cuisson n’avait pas été établi, ce qui confère à cette étude un caractère unique, explique le Dr Irit Zohar du Musée d’histoire naturelle Steinhardt de l’Université de Tel Aviv.
C’est aussi la première fois qu’une étude montre à quel point les poissons étaient importants pour les premiers hominidés, dans leur migration d’Afrique vers le Levant et au-delà, point qui constitue un autre axe important de ces recherches, précise le Dr Zohar au Times of Israel.
Non seulement ces lieux étaient une source d’eau potable et attiraient des animaux, mais avec leurs eaux peu profondes, ils permettaient d’attraper facilement des poissons, qui constituaient une alimentation de choix, à forte valeur nutritionnelle, expliquent les chercheurs.
L’étude « démontre la place centrale des poissons dans le régime alimentaire des hommes préhistoriques et leur stabilité », soulignent Zohar et son collègue chercheur, le Dr Marion Prevost de l’Institut d’archéologie de l’Université hébraïque, cités dans un communiqué.
« En étudiant les restes de poissons trouvés à Gesher Benot Yaaqov, nous avons pu reconstituer, pour la première fois, la population de poissons de l’ancien lac Hula et montrer que le lac renfermait des espèces de poissons qui ont depuis disparu », ajoutent-ils.
« Il y avait des ardillons géants (poissons semblables aux carpes) qui atteignaient jusqu’à deux mètres de long. La grande quantité de restes de poissons trouvés sur les lieux atteste d’une consommation fréquente par les premiers hommes, qui avaient développé des techniques de cuisson spéciales », précisent-ils.
La question de savoir quand les premiers hommes ont commencé à utiliser le feu pour cuire les aliments est très discuté par la communauté scientifique depuis plus d’un siècle. Certains scientifiques estiment que ce développement était essentiel à l’évolution cognitive des hommes et au développement de son cerveau.
En effet, manger des aliments cuits a permis de réduire la quantité d’énergie corporelle nécessaire à la digestion et laisser d’autres systèmes physiques se développer, comme les changements dans la structure de la mâchoire ou du crâne humains. Cela a libéré les humains du travail quotidien – intensif – de recherche et digestion des aliments crus, leur laissant du temps libre pour développer de nouveaux systèmes sociaux et comportementaux.
Dans cette étude, les chercheurs se sont concentrés sur les dents pharyngées – utilisées pour broyer des aliments durs tels que des coquilles – appartenant à des poissons de la famille des carpes. Ces dents ont été trouvées en grande quantité dans différentes strates archéologiques du site, ce qui atteste d’une présence fort ancienne.
« Il n’y a qu’à cet endroit que l’on a trouvé des dents de poisson sans le reste du squelette », explique Zohar au Times of Israel, ce qui les a conduits à partir du postulat que le poisson était cuit à une température suffisamment basse pour dissoudre le reste du squelette mais pas pour brûler les dents.
En étudiant la structure des cristaux qui forment l’émail des dents – dont la taille augmente avec l’exposition à la chaleur – les chercheurs ont pu prouver cette théorie, montrant que les poissons avaient été exposés à des températures adaptées à la cuisson et non simplement brûlés dans un feu.
« Dans cette étude, nous avons utilisé des méthodes géochimiques pour identifier les changements de la taille des cristaux d’émail des dents, à la suite de l’exposition à différentes températures de cuisson », précise le Dr Jens Najorka du Musée d’histoire naturelle de Londres, notant qu’il était difficile d’identifier les changements pour des températures de cuisson entre 200 et 500 degrés Celsius.
« Les expériences menées avec le Dr Zohar nous ont permis d’identifier les changements causés par la cuisson à basse température », explique Najorka.
« Nous ne savons pas exactement comment le poisson a été cuit, mais étant donné le manque de preuves d’exposition à des températures élevées, il est clair qu’ils n’ont pas été cuits directement dans le feu et n’ont pas été jetés dans un feu comme des déchets ou des matériaux à brûler. »
« Le fait que la cuisson du poisson soit évidente en ces lieux, sur une période de peuplement aussi longue et constante, prouve l’existence d’une tradition de cuisson des aliments », assure la professeure Naama Goren-Inbar de l’Université hébraïque, directrice des fouilles.
« Cela constitue une nouvelle preuve des capacités cognitives élevées des chasseurs-cueilleurs acheuléens, actifs dans l’ancienne région de la vallée de Hula », ajoute-t-elle.
« Ces groupes connaissaient très bien leur environnement et les ressources qu’il leur offrait. L’acquisition des compétences requises pour cuisiner les aliments marque une avancée significative dans l’évolution, car elle a fourni un moyen supplémentaire d’utiliser de manière optimale les ressources alimentaires disponibles. Il est même possible que la cuisine ne se soit pas limitée pas au poisson, mais ait inclus des animaux et des plantes. »