Des militants de « Nous Vivrons » violemment expulsés d’un meeting de Marine Le Pen
Le 1er mai, lors d’un meeting du RN à Narbonne, des militants anti-extrêmes ont interrompu le discours pour dénoncer l’instrumentalisation de la communauté juive par l’extrême droite
Des images impressionnantes. Alors que Marine Le Pen prend la parole lors d’un meeting organisé le 1er mai à Narbonne, la cheffe de file du Rassemblement national est contrainte de s’interrompre quelques instants. Son discours est interrompu par le collectif de lutte contre l’antisémitisme « Nous Vivrons ». Pancartes à la main, les militants du collectif scandent : « Vous n’êtes pas le bouclier des Juifs ! Les Juifs ne seront pas le marchepied de l’extrême droite raciste et antisémite. »
La séquence, partagée sur les réseaux sociaux par TF1, devient rapidement virale. Les militants, en majorité des femmes, sont violemment évacués par le service d’ordre du parti à la flamme. Sur la vidéo, on peut voir l’une d’elles traînée au sol par un agent de sécurité.
« Cela fait un an et demi que nous menons des actions avec ce mode opératoire d’activistes, et nous comptons plus de 100 actions à notre actif. Jamais nous n’avions été confrontés à autant de violence », témoigne Sarah Aizenman, présidente du collectif, au micro de Radio J.
Fondé au lendemain des attentats du 7 octobre et de la vague d’antisémitisme qui a suivi en France, Nous Vivrons s’est donné pour mission de lutter contre la haine des Juifs dans l’Hexagone. « Nous ne nous tairons plus et nous ne nous terrerons plus », telle est la promesse de cette association militante, déterminée à porter une voix juive dans le débat républicain et à ne plus laisser les extrêmes, de tous bords, occuper seuls le terrain. Sur son site internet, le collectif se revendique « ni facho, ni facho », comprendre, ni La France insoumise, ni Rassemblement national.
Habitué des actions coups de poing, Nous Vivrons s’est surtout fait connaître pour ses perturbations lors de rassemblements de LFI. « Lorsque nous menons des actions ciblant La France insoumise, et elles sont nombreuses, les militants peuvent se montrer très vindicatifs, mais le service d’ordre reste toujours professionnel », souligne Sarah Aizenman. « En revanche, lors de cette action visant le Rassemblement national, nous avons eu le sentiment clair que leur service d’ordre voulait “casser du juif”, pour reprendre l’expression. »
« Vous n’êtes pas le bouclier des juifs ! »
Des militantes du collectif @nous_vivrons interrompent Marine Le Pen en meeting à Narbonne. Elles sont évacuées sans ménagement par le service d’ordre du RN. (Plan-séquence. #bonjourtf1 #tf1info) pic.twitter.com/EkOBmHWVlH— Paul Larrouturou (@PaulLarrouturou) May 1, 2025
Elle témoigne de l’extrême violence avec laquelle les militantes ont été traitées : « Nous n’étions que des femmes, vous avez vu les images, armées uniquement de nos voix et de nos pancartes. Rien de menaçant, a priori. »
Elle rapporte que l’une de ses camarades, celle que l’on voit traînée au sol dans les vidéos, « s’est vue prescrire quatre jours d’ITT. »
« C’était une agression extrêmement violente, menée directement par le service d’ordre. J’insiste, ce ne sont pas les militants du RN qui ont cherché l’affrontement ce jour-là, mais bien leur service d’ordre. Cela démontre clairement que le RN n’a pas changé, malgré sa tentative de dédiabolisation et, en ce qui concerne la communauté juive, de ‘cachérisation’. C’est toujours la même idéologie, la même dynamique, et la même violence », dénonce-t-elle.
Cette action décriée par certains militants juifs de droite reflète la division au sein de la communauté de France et des Juifs de France ayant opté pour l’alyah quant à l’attitude à adopter concernant l’extrême droite.

Fin mars, une conférence de lutte contre l’antisémitisme était organisée par le gouvernement israélien à Jérusalem, avec parmi les invités plusieurs responsables d’extrême droite : le président du Rassemblement national Jordan Bardella, la Hongroise du Fidesz Kinga Gal, le dirigeant serbe Milorad Dodik.
« La haine des juifs et de l’État d’Israël est un fléau mondial que nous devons combattre sans relâche », y avait affirmé M. Bardella, avant de répéter le nouveau mantra de son parti : « le Rassemblement national aux côtés de Marine Le Pen est aujourd’hui le meilleur bouclier pour nos compatriotes de confession juive ».
Un contraste avec l’époque où Jean-Marie Le Pen, alors président du Front national, était condamné pour avoir renvoyé la Shoah à un « détail » de l’Histoire : sa fille Marine Le Pen a de longue date « pris des distances par rapport à son père pour tout ce qui est de l’antisémitisme », rappelle la politologue Nonna Mayer.
Dans cette « stratégie de dédiabolisation », le 7-Octobre « offre une occasion inespérée d’instrumentaliser l’antisémitisme pour se poser comme défenseuse des juifs de France et d’Israël, et stigmatiser Jean-Luc Mélenchon », ajoute-t-elle.
Le RN a ainsi participé à la manifestation du 12 novembre 2023 à Paris contre l’antisémitisme.

Avant les législatives de 2024 en France, l’ancien « chasseur » de nazi Serge Klarsfeld a assuré qu’il voterait « sans hésitation » pour le RN face à LFI.
Mais certains ne cachent pas leur malaise.
Yonathan Arfi, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), a accusé Jordan Bardella d’ « instrumentaliser politiquement » la lutte contre l’antisémitisme pour « mettre en scène un Rassemblement national nouveau dans une stratégie de conquête du pouvoir ».
Les discours sont similaires ailleurs en Europe au sein des droites identitaires.
En Hongrie, le président Viktor Orban brandit sa politique de « tolérance zéro » envers l’antisémitisme et se vante d’offrir les terres les « plus sûres d’Europe » pour les juifs.
En Allemagne la députée de l’AfD Beatrix von Storch, petite-fille d’un ministre d’Hitler, a promis un « Safe space » (« espace sûr ») pour les juifs en cas de victoire de son parti. Le Conseil central des juifs d’Allemagne estime lui sur son site que « les Juifs ne servent qu’à une chose dans le programme de l’AfD : exprimer le ressentiment anti-musulman du parti ». L’AfD n’est pas unanime quant à Israël.
En Italie, la Première ministre Giorgia Meloni a dénoncé en janvier « la complicité du régime fasciste » de Mussolini dans la Shoah, et assuré que « combattre l’antisémitisme sous toutes ses formes, anciennes et modernes, est une priorité de ce gouvernement ».
Un responsable est régulièrement pointé du doigt : « Le péril numéro un, la peur qui les rassemble, est l’islamisme, et peut-être plus simplement pour certains, l’islam et les musulmans », affirme Nonna Mayer.
A Jérusalem, Bardella avait évoqué un « lien » entre « la montée de l’islamisme, la recrudescence de l’antisémitisme et le phénomène migratoire qui fracture toutes les sociétés occidentales ».
Le RN accuse aussi régulièrement la gauche radicale française, emmenée par le parti la France insoumise (LFI), d’alimenter l’antisémitisme.
Nonna Mayer le rappelle pourtant : « au niveau des gens qu’attire le RN, la mue n’est absolument pas achevée ».
En Italie, plusieurs membres de Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni, sont accusés de propos antisémites.

Un débat similaire existe aux États-Unis, où Donald Trump fait figure de modèle pour de nombreuses personnalités d’extrême droite européenne.
Au nom de la lutte contre l’antisémitisme, l’administration Trump a fait procéder à des arrestations d’étudiants propalestiniens, et coupé 2,2 milliards de dollars de subventions à la prestigieuse université Harvard.
Pour Amy Spitalnick, la directrice du Jewish Council for Public Affairs (JCPA) citée dans le New York Times du 2 avril, « il s’agit d’exploiter les craintes sur l’antisémitisme pour saper la démocratie ».
Le quotidien cite aussi un rabbin progressiste de Manhattan, Jeremy Kalmanofsky : « Ma communauté est extrêmement sceptique sur la sincérité du discours gouvernemental sur l’antisémitisme ».