Du berceau à la tombe, la vie séparée des Israéliens éthiopiens
Les programmes spéciaux réservés aux Ethiopiens ont mené à la ségrégation plutôt qu’à l’intégration
Ziva Birsaw a immigré en Israël d’Ethiopie en 1984, alors qu’elle était un enfant. Aujourd’hui, elle travaille avec les jeunes Ethiopiens à risque dans les bidonvilles de la banlieue de Haïfa, où elle témoigne de cas où la police abuse de son autorité dans ses interactions avec les jeunes Ethiopiens.
« La police a accusé de vol un jeune avec lequel je travaille, malgré des preuves qu’il n’était pas sur les lieux », dit Birsaw au Times of Israel.
« Ensuite, la police se présentait à l’improviste à son domicile pour l’arrêter. Ils semblaient vouloir simplement lui rappeler qu’ils étaient dans les parages et le surveillaient. »
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L’incident n’est pas isolé. Ces derniers jours, des années de frustration devant un manque d’opportunités et une discrimination institutionnalisée, ont perturbé le quotidien israélien, culminant dimanche soir avec une manifestation houleuse au centre de Tel-Aviv, qui a dégénéré en affrontements violents avec la police.
Le manifestation faisait suite à la diffusion d’une vidéo d’un soldat israélien noir battu par la police.
Pourtant, les manifestants affirment être descendus dans les rues pour dénoncer un racisme et une discrimination généralisés, résultant d’une ségrégation de l’ensemble de la société israélienne.
Expliquant les griefs de sa communauté, Birsaw cite la mort non résolue de Yossef Salamsa.
Selon elle, un officier de police a « attaqué » Salamsa, un jeune Ethiopien israélien, à Zichron Yaakov, en mars 2014. Le policier n’a jamais fait l’objet d’enquête ni inculpé d’aucun crime.
Après l’incident, Salamsa est tombé en profonde dépression, raconte Birsaw, et sa famille a déposé une plainte auprès du Département des enquêtes internes de la police. Ceci, dit-elle, a mené à un harcèlement policier, qui n’a pris fin qu’avec la découverte du cadavre de Salamsa en juillet 2014. Le jeune homme n’était pas revenu chez lui après le travail. À ce jour, sa famille n’a pas de réponse définitive sur les circonstances de sa mort.
« Personne n’enquête sur des cas de ce genre. Ils sont balayés sous le tapis », déplore Birsaw. Après des années de traitement négatif arbitraire de ce type, la jeunesse éthiopienne craint la police et ne l’aime pas beaucoup, explique-t-elle.
Une vidéo d’une récente agression, apparemment gratuite, d’un soldat de Tsahal d’origine éthiopienne, Damas Pakada, par un officier et un bénévole de la police a encore exacerbé leur antipathie et déclenché de violentes manifestations à travers le pays.
S’adressant à la Knesset après une rencontre avec Pakada et des dirigeants de la communauté éthiopienne, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a reconnu que les manifestations mettaient au jour une profonde division au sein de la société israélienne.
« Il est de notre devoir de lutter contre le racisme et la discrimination de toutes les manières possibles », a déclaré Netanyahu, qui a également promis d’éradiquer la violence policière.
« Le comité ministériel que je dirigerai dressera des plans pour résoudre les problèmes en matière d’éducation, de logement, de culture, de religion, d’emploi et dans d’autres domaines », a-t-il déclaré.
Selon Birsaw, la ségrégation est bien ancrée : les Israéliens éthiopiens vivent dans des quartiers séparés et envoient leurs enfants dans des écoles presque exclusivement éthiopiennes.
« Et puis, quand les enfants grandissent, ils sont envoyés dans des cours pré-armée, qui sont aussi réservés aux Éthiopiens », dit Birsaw.
Selon le Times of Israel, la députée Pnina Tamanu-Shata (Yesh Atid) a qualifié ces cours distincts de « gêne, de honte, et de certificats de la pauvreté ». D’après elle, cela signifie « que vous mettez les faibles avec les faibles et tout le monde devient plus faible ».
Si c’est la pratique courante ici, en Israël, elle affirme qu’un cours réservé aux Afro-américains susciterait l’indignation dans l’armée américaine.
Les Ethiopiens sont classés comme marginaux et faibles
« Depuis des années, il y a un processus qui désigne les immigrants éthiopiens comme des sujets devant être traités spécialement », relate Chen Bram, experte en politique multiculturelle et en gestion de la diversité à l’Institut de recherche Harry S. Truman pour la promotion de la paix à l’Université hébraïque.
Si certains programmes et initiatives au service de la communauté éthiopienne ont connu quelques succès, Bram estime qu’un prix énorme a été payé.
« Il y a une énorme frustration chez les Israéliens éthiopiens parce qu’ils sont triplement marqués. Ils sont considérés comme des personnes de couleur, des habitants de quartiers pauvres, et ils ont été classés par la politique et la recherche dans la catégorie méritant un traitement spécial », affirme Bram.
Selon Bram, cela partait souvent des meilleures intentions. Cependant, les divers organismes, structures et programmes spéciaux établis par le gouvernement et les ONG pour aider la communauté des immigrants éthiopiens, forte de 130 000 membres, finissaient par les classer comme des marginaux faibles méritant un traitement différent. Et ce message qui s’est imposé culturellement est maintenant vieux de plusieurs décennies.
« Evidemment, les policiers d’aujourd’hui ont appris ce message social en grandissant », note Bram.
Yuvi Tashome-Katz est éducatrice et cofondatrice des Amis de Nature – un organisme communautaire qui réinstalle dans leurs vieux quartiers les adultes israéliens éthiopiens ayant réussi, où ils vivent avec leurs jeunes familles et oeuvrent pour le changement.
Tashome-Katz a été emmenée en Israël enfant, en 1984, dans le cadre de l’Opération Moïse, où les Juifs éthiopiens ont été sauvés de la famine frappant le Soudan. Elle décrit la situation de la communauté aujourd’hui comme celle d’Israéliens éthiopiens vivant « une existence parallèle au reste de la société israélienne, du berceau à la tombe ».
Quelques statistiques dures : si 89 % des adolescents (plus que la moyenne nationale de 75 %) et 62 % des adolescentes de la communauté éthiopienne servent dans l’armée israélienne, un tiers d’entre eux finissent dans les prisons.
Les soldats d’origine éthiopienne ne représentent actuellement que 3 % de Tsahal, et une énorme part d’entre eux – 13 % – occupent les prisons militaires.
Les taux déshonorant de désertions des soldats éthiopiens, de 22,8 % pour les hommes et de 10,6 % pour les femmes, sont également bien au-dessus des moyennes nationales, respectivement de 16,5 % et 7,5 %.
« La plupart des condamnés sont accusés de désertion ou d’absence non autorisée… Parfois, ils ne peuvent retourner à la base à temps, en raison d’urgences familiales. Les soldats n’étant payés que 400 shekels par mois, beaucoup doivent travailler pendant leurs années de service obligatoire. Ces contraintes familiales et financières pèsent sur eux, et le système juridique militaire s’empresse de les expédier en prison pour des infractions liées à leur milieu socio-économique », a regretté un article d’opinion du Forward, en février 2014.
Birsaw et Ravit Talmi Cohen, une anthropologue au Centre universitaire Peres de l’Université de Tel-Aviv qui a étudié la communauté éthiopienne, citent un autre chiffre inquiétant : 40 % des mineurs emprisonnés sont des jeunes d’origine éthiopienne.
Toutefois, Cohen, qui a fondé le projet Matzofim (de l’Agence juive) pour les immigrants éthiopiens, a bon espoir que la jeune génération apportera des changements.
« Ils voient leur réalité différemment de leurs parents, qui ont accepté l’état de fait. Ce sont des gens jeunes, bons, qui veulent faire partie de la société. »
Mali Alon, une jeune mère de Jérusalem venue d’Ethiopie enfant, renchérit. Elle veut que la situation s’améliore pour ses enfants qui grandissent ici.
« Nous ne voulons pas être séparés. Nous sommes juifs, et nous sommes israéliens. »
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