Israël en guerre - Jour 429

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Eisenkot dénonce le désarroi, l’indécision et la politique politicienne

Un député qui a fait partie du cabinet de guerre affirme que si Netanyahu a "perdu l'équilibre" après le 7 octobre, il s'est rapidement ressaisi, cachant les protocoles, disant des mensonges aux médias et modifiant les objectifs de guerre pour apaiser l'extrême-droite

Le député HaMahane HaMamlahti Eisenkot lors d'une interview avec la chaîne N12 diffusée le 9 novembre 2024. (Capture d'écran/chaîne N12)
Le député HaMahane HaMamlahti Eisenkot lors d'une interview avec la chaîne N12 diffusée le 9 novembre 2024. (Capture d'écran/chaîne N12)

Un député de l’opposition de premier plan – qui avait été membre du cabinet de guerre, la cellule de commandement militaire gouvernementale, au début de la guerre à Gaza – s’est livré à un réquisitoire accablant contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu en matière de prise de décision au cours d’un entretien qui a été accordé vendredi. Il a affirmé que les dirigeants du pays n’ont agi que sur la base de considérations politiques dans la prise en charge du conflit qui se joue actuellement sur plusieurs fronts, adoptant un comportement « quasiment criminel » pour tenter de dissimuler cette réalité au public.

Le député Gadi Eizenkot, élu sous l’étiquette du parti HaMahane HaMamlahti, ancien chef d’état-major qui aura siégé en tant qu’observateur au cabinet de guerre pendant les huit premiers mois du conflit, a expliqué à la chaine d’information N12 que le renvoi, la semaine dernière, du ministre de la Défense Yoav Gallant n’était que la continuation d’une tendance plus générale dans la prise de décision de Netanyahu – un processus décisionnaire qui, selon lui, est soumis exclusivement à des considérations étroites d’ordre politique.

Il a aussi accusé le Premier ministre de faire durer la guerre pour répondre aux souhaits de certains membres de son gouvernement qui veulent faire appliquer la loi martiale dans la bande de Gaza pour, à terme, y reconstruire des implantations. Il a noté que Netanyahu craignait que son gouvernement ne s’effondre s’il ne parvenait pas à apaiser les éléments d’extrême-droite de sa coalition, cédant ainsi à tous leurs désiderata.

HaMahane HaMamlahti avait quitté la coalition, il y a cinq mois, en raison de l’incapacité du Premier ministre à établir un plan clair dans le cadre du conflit. Le parti avait âprement critiqué la gestion de la guerre par Netanyahu, déplorant que ses prises de décision étaient constamment influencées par des considérations de politique politicienne.

Dans cet entretien accordé vendredi, Eisenkot a déclaré que lorsqu’il avait rejoint le gouvernement d’urgence en compagnie du leader de sa faction, Benny Gantz, le 11 octobre 2023 en début de soirée – soit quatre jours après le pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, un pogrom qui avait fait voler en éclats la stratégie de tolérance à l’égard du Hamas qui avait été adoptée par les gouvernements israéliens successifs pendant de longues années – il avait trouvé un leadership plongé dans un désarroi profond, qui luttait pour conserver le contrôle de la situation.

Selon le récit du député de l’opposition, après quelques semaines – une période que lui et Gantz avaient tenté d’exploiter, a-t-il précisé, pour convaincre Netanyahu de lancer une offensive terrestre à Gaza, y parvenant finalement – le Premier ministre avait repris ses esprits et il avait commencé à pousser systématiquement à la marge les deux anciens chefs d’état-major tout en cédant aux demandes soumises par ses partenaires d’extrême-droite qui, pour leur part, étaient soucieux de voir les combats se poursuivre.

Au point, a noté Eisenkot, que les ministres de HaMahane HaMamlahti ont eu le sentiment de servir de « couverture » et qu’ils ont décidé de quitter le gouvernement.

Le Bureau de Netanyahu a dénoncé les propos tenus par Eisenkot, évoquant des « mensonges », sans donner de détails supplémentaires.

« Quelqu’un ne voulait pas qu’on sache »

Eisenkot a été interrogé sur les multiples enquêtes criminelles qui ont été ouvertes sur des actes répréhensibles présumés dont le bureau du Premier ministre se serait rendu coupable – avec notamment le vol, par un collaborateur de Netanyahu, de documents classés top secrets à l’armée et les changements possibles intervenus dans les protocoles officiels des réunions consacrées à la guerre.

Faisant remarquer qu’il avait été chef d’état-major et secrétaire militaire des Premiers ministres Ehud Barak et Ariel Sharon (1999-2001), Eisenkot a répondu que « j’ai bien vu comment fonctionne le bureau du Premier ministre. Ainsi, au-delà de la faiblesse intrinsèque de l’équipe qui entoure le Premier ministre, il s’agit, selon moi, d’un comportement quasiment criminel qui peut être totalement perçu en filigrane ».

« Je ne suis pas surpris de l’existence de tels dossiers – c’est un environnement où certains agissent de manière inappropriée, manipulatrice », a-t-il ajouté, accusant l’équipe de Netanyahu d’avoir laissé fuité des informations mensongères auprès de la presse.

« J’assistais à une réunion et je savais très exactement ce que moi-même, Gallant, Gantz et Netanyahu pouvions dire ; le lendemain, on entendait totalement le contraire dans certains médias », a-t-il expliqué.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à gauche) et le chef d’état-major de l’armée israélienne Gadi Eizenkot donnent une conférence de presse au quartier général militaire de la Kirya à Tel Aviv, le 4 décembre 2018. (Noam Revkin Fenton/Flash90)

Eisenkot a indiqué qu’au cours d’une discussion cruciale qui avait eu lieu le 11 octobre 2023 – durant laquelle une attaque majeure visant le Hezbollah, au Liban, avait presque été lancée avant d’être annulée à la dernière minute – l’équipe de Netanyahu avait soigneusement évité qu’un sténographe n’enregistre les propos échangés pendant la première heure de la rencontre.

« J’ai pris part à des centaines de discussions au bureau du Premier ministre et il est impossible pour moi de me souvenir d’une seule réunion de cette importance où la première heure s’est déroulée sans être enregistrée, sans présence d’un sténographe. Ça veut dire quelque chose », a-t-il déclaré, ajoutant que c’était intentionnel et que « quelqu’un ne voulait pas qu’on sache » les propos échangés.

Les « buts cachés » de la guerre

Alors que le journaliste lui demandait la première réaction qui avait été la sienne lorsqu’il avait appris le renvoi de Gallant, mardi dans la soirée, Eisenkot a riposté : « La stupéfaction ».

Rejetant l’explication donnée par Netanyahu concernant ce limogeage – il avait cité un manque de confiance entre lui et son ministre de la Défense – Eisenkot a affirmé que ce licenciement était lié, entre autres, au travail effectué par Gallant en vue de la mise en œuvre du jugement rendu par la Haute cour de justice dans le dossier du service militaire des jeunes ultra-orthodoxes – les magistrats avaient décidé que Tsahal devait commencer à enrôler dans ses rangs un grand nombre d’étudiants en yeshiva. Ce renvoi a aussi été relatif, a-t-il ajouté, à l’opposition de Gallant à toute loi venant encadrer cette question délicate sans coordination préalable avec les partis d’opposition.

« C’est un ordre des priorités complètement défectueux qui est dû aux pressions politiques » qui sont exercées sur le chef du gouvernement, a-t-il déclaré.

« Nous avons constaté des problèmes profonds dans la prise de décision et dans les considérations de Netanyahu – des problèmes qui ont entraîné un échec total, abyssal, en cela qu’il y a encore aujourd’hui 101 otages dans la bande de Gaza. C’est un terrible abandon qui portera sur lui son nom – il en a été le seul responsable en tant que Premier ministre ».

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à droite) et le ministre de la Défense Yoav Gallant assistant au vote sur le budget de l’État au plénum de la Knesset, à Jérusalem, le 13 mars 2024. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Tout en évitant de dire explicitement – comme le disent de nombreux Israéliens, selon les récents sondages – que Netanyahu mettrait en danger la sécurité nationale, Eisenkot a déclaré que « ce que je peux dire, c’est que les décisions dont j’ai été témoin pendant toute la période où j’ai siégé au gouvernement n’ont pas émané de la nécessité d’agir en faveur des intérêts nationaux d’Israël. Des composantes centrales du processus de décision ont été des considérations personnelles et politiques lourdes, et cela a été le cas alors que la guerre avait déjà commencé depuis quelques semaines ».

Eisenkot a noté que Gantz et lui-même avaient œuvré, à partir du mois de février, à terminer la première phase de la guerre à Gaza de manière à pouvoir concentrer les combats dans la lutte contre le Hezbollah, dans le nord du pays (le gouvernement n’a finalement consacré toute son attention au Hezbollah qu’au mois de septembre, plusieurs mois après le départ de Hamahane HaMamlahti de la coalition). Il a critiqué les dirigeants, y compris Gallant, pour n’avoir riposté que de manière limitée aux attaques du Hezbollah pendant de longs mois et pour ne pas avoir employé « une force maximale pendant un temps minimum ».

Il a expliqué que l’effort de guerre sur les deux fronts avait duré beaucoup plus longtemps que cela aurait dû être le cas en raison des politiques appliquées, ajoutant que « nous avons été entraînés dans une situation où, après treize mois et alors que nous avons connu quelques succès cumulés notables, c’est une réalité complètement folle qui est devenue la norme avec 200 à 300 projectiles qui sont tirés, tous les jours, vers le nord et le centre du pays, avec des gens qui trouvent ça raisonnable ».

Au-delà des objectifs établis de la guerre – l’élimination des capacités militaires et de gouvernance du Hamas à Gaza, le rapatriement des otages, le retour dans leurs habitations des dizaines de milliers d’Israéliens qui ont été déplacés du nord et du sud du pays – Eisenkot a accusé des personnalités de premier plan, au sein de la coalition, de tenter d’atteindre « des buts cachés », avec notamment l’établissement d’une gouvernance militaire israélienne à Gaza et la reconstruction d’implantations sur le territoire.

Ces motivations ont-elles empêché la conclusion d’un accord de cessez-le-feu à Gaza ? A cette question, Eisenkot a répondu : « Absolument. Il y a ces considérations d’ordre politique, il y a la certitude qui est celle de Netanyahu, qui sait que s’il libère des terroristes en échange des otages, que si l’armée se retire de Gaza, cela ferait s’effondrer sa coalition et son partenariat avec les ministres d’extrême-droite Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich ».

Les ministres d’extrême-droite Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, à la Knesset le 29 décembre 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Et quel serait le plan d’action qu’il recommanderait ?… Eisenkot a répondu au journaliste qu’il était favorable à la finalisation d’un accord de cessez-le-feu – pendant quelques mois seulement – pour garantir la remise en liberté des captifs.

« Je présume que nous allons combattre le Hamas et le terrorisme pendant des décennies », a-t-il indiqué, affirmant que Gaza devait, après la guerre, être prise en charge comme l’est actuellement la Zone A de Cisjordanie, où les Palestiniens ont un contrôle civil et militaire mais où l’État juif mène périodiquement des incursions militaires pour éliminer des cellules terroristes.

« Un leadership effrayé et instable »

Évoquant le 11 octobre 2023, où il avait assisté à une réunion immédiatement après avoir rallié le gouvernement avec Gantz, Eisenkot a souligné que « cela a été la première fois que j’ai vu ce qu’était réellement un leadership ayant perdu tout équilibre ».

Décrivant le profond désarroi des dirigeants israéliens dans le sillage de l’attaque surprise du Hamas et du massacre sanglant commis par les hommes armés, Eisenkot a fait remarquer que « j’ai constaté une instabilité chez des personnes avec lesquelles j’avais travaillé, des personnes que je considérais comme stables et rationnelles. C’était très inquiétant, et c’est pourquoi nous sommes entrés [au gouvernement] – pas pour Netanyahu, mais pour l’État d’Israël ».

De gauche à droite : Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, le ministre de la Défense Yoav Gallant et le ministre du cabinet de guerre Benny Gantz lors d’une conférence de presse, à Tel Aviv, le 28 octobre 2023. (Crédit : Capture d’écran YouTube)

Il a affirmé que si Netanyahu avait fait la promotion, dans les médias, d’un narratif qui laissait entendre que Gantz et Eisenkot avaient lutté contre son désir d’entreprendre des actions plus agressives, le freinant dans cette volonté, cela avait été le contraire, en réalité.

« Sans nos pressions, il n’y aurait pas eu d’offensive terrestre – le Premier ministre était très effrayé par l’idée d’une telle offensive. Toutes sortes d’experts étaient venus le voir et ils lui avaient fait peur ».

« Quand les protocoles sont publiés, que les gens entendent ce que certains ont pu dire sur le sujet… J’ai vu un leadership effrayé, instable, qui aurait pu prendre des décisions irresponsables et je pense que nous avons pu apporter une contribution… Cela s’est reflété au cours des premiers mois de la guerre ».

Toutefois, a-t-il ajouté, « j’admets qu’après que les choses se sont stabilisées, j’ai eu l’impression d’être une feuille de vigne, une couverture – cette impression que nous n’avions aucune influence. Nous avons pris des initiatives majeures pour avoir de l’influence et pour ne pas avoir à partir au beau milieu d’une guerre, parce que nous comprenions parfaitement ce que cela signifiait ».

Toutefois, « à un certain moment, nous avons réalisé que nous servions de couverture à un Premier ministre qui prenait ses décisions seul, comme le disait Yoav Gallant ».

Lors d’une réunion, selon Eisenkot, le ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer – un proche de Netanyahu – avait perdu patience, disant : « Pourquoi perdons-nous notre temps ici ? En fin de compte, nous sommes trois personnes seulement à prendre les décisions ».

« Nous lui avons demandé : ‘Nous savons qui est la première, nous savons qui est la deuxième mais qui est la troisième ?’, » s’est souvenu Eisenkot. « Nous n’avons pas obtenu de réponse. »

Et qui était donc ce « troisième homme » (sans doute en plus de Netanyahu et de Dermer) ? A cette question, Eisenkot a répondu avec une certaine ironie : « Je ne sais pas. Peut-être s’agissait-il d’une troisième femme » – une référence possible à l’épouse du Premier ministre, Sara, qui aurait une influence très forte sur les décisions prises par son époux depuis des années.

Le bureau de Netanyahu a réagi à l’interview accordée par Eisenkot, disant : « Une quasi-criminalité consiste à dire au public des mensonges en se cachant derrière son immunité parlementaire. Nous appelons Eisenkot à abandonner son immunité » – apparemment de manière à ce que l’équipe de Netanyahu puisse le poursuivre en diffamation.

Eisenkot a déclaré en réponse que « lorsqu’il n’y a rien à dire sur un sujet, les réponses sont forcément absurdes. Je suis prêt à renoncer à mon immunité à tout moment et sur n’importe quel sujet ».

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