Empêcher l’IVG plutôt que l’interdire : la stratégie des anti-avortements
Le groupe Efrat, dont le président se définit comme pro-choix, n'a jamais manifesté devant un centre gynécologique et n'a pas l'intention de le faire
JÉRUSALEM (JTA) – Sur un panneau d’affichage du centre de Tel Aviv, on peut apercevoir la photo en noir et blanc d’une femme, l’air bouleversé. Sous l’image, un message est inscrit en gras et en lettres rouges : « La douleur et le remords de mon avortement m’accompagnent tous les jours. »
Il s’agit d’une publicité pour Efrat, un groupe anti-avortement qui se surnomme lui-même le « Comité de sauvetage des bébés israéliens » et propose un soutien financier aux femmes pour les dissuader d’interrompre leur grossesse.
Efrat n’a jamais organisé de manifestations devant une clinique gynécologique et ne cherche pas à restreindre la législation israélienne, plutôt libérale, sur l’avortement.
Le mois dernier, l’organisation a même soutenu une proposition visant à autoriser les femmes à avorter sans devoir passer devant un comité, comme la loi l’exige actuellement.
Le président d’Efrat, Eli Schussheim, se décrit lui-même comme pro-choix, une position qu’il adopte par pragmatisme plus que par principe.
« Si je dis à une femme qu’elle n’a pas le droit d’avorter, elle me répondra de dégager », confie Schussheim à JTA. « Je me suis donc dit que j’allais être pro-choix. C’est important de donner des conseils aux femmes. Je pense que les lois n’éduquent pas les gens. »
Du mur des Lamentations à la Cisjordanie, les questions religieuses dominent le débat politique israélien.
Les partis orthodoxes représentent un quart de la Knesset.
Ils ont siégé dans quasiment toutes les coalitions au pouvoir depuis la création de l’État, se servant de leur pouvoir pour obtenir des privilèges en faveur de la minorité religieuse d’Israël.
Mais si la religion pèse lourd en Israël, les lois sur l’avortement sont, en pratique, parmi les plus libérales du monde.
Toute femme souhaitant interrompre sa grossesse doit prouver devant un comité tripartite qu’avoir un enfant lui nuirait physiquement et/ou émotionnellement, ou bien que sa grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste. Plus de 99 % des demandes sont approuvées.
Depuis la légalisation de 1977 [deux ans après le vote de la loi Veil en France, ndlr], il n’y a pas eu de mouvement de masse pour interdire l’avortement. En janvier, la Knesset a voté une loi qui prévoit des subventions d’État à destination des femmes se faisant avorter, soit près de 40 000 personnes par an.
Les experts estiment que les fondations laïques d’Israël, ainsi que la relative ambiguïté de la loi juive sur l’avortement, permettent d’expliquer le silence des partis religieux sur le sujet. C’est aussi la raison pour laquelle des groupes comme Efrat tentent d’empêcher l’avortement plutôt que de le rendre illégal.
Aliza Lavie, une avocate qui a proposé l’abolition des comités lors d’un récent débat à la Knesset, estime que les Israéliens sont pro-choix, car ils comprennent que les femmes n’abordent pas la question de l’avortement avec négligence.
« Je crois que les gens comprennent que nous aimons les enfants en Israël », explique Lavie à JTA. « Quand une femme en arrive à ce stade [de vouloir avorter], c’est qu’elle a de bonnes raisons. La culture israélienne est très pro-enfants. »
La loi juive traditionnelle ne considère pas que la vie commence au moment de la conception et rend même l’avortement obligatoire si la vie de la mère est en danger
La loi juive traditionnelle ne considère pas que la vie commence au moment de la conception et rend même l’avortement obligatoire si la vie de la mère est en danger.
L’opposition à l’avortement n’est donc pas une priorité pour les ultra-orthodoxes.Des partis haredim ont déjà essayé de rendre illégales les IVG tardives, mais les projets de loi ont échoué.
« Dans les pays dominés par le catholicisme, l’avortement est considéré comme un meurtre, même aux stades précoces de la grossesse. Mais dans le judaïsme, ce n’est pas aussi clair », analyse le rabbin orthodoxe Benny Lau, qui a participé aux discussions à la Knesset.
En l’absence d’un puissant mouvement anti-avortement, le débat israélien sur l’IVG se focalise sur des questions techniques, comme la nature des avortements finançables par l’État.
Le groupe Efrat se concentre lui sur la meilleure façon de ne pas inciter les femmes à avorter. Selon Schussheim, 60 % des avortements s’expliquent par des considérations financières.
C’est pourquoi Efrat a mobilisé un réseau national de 3 000 femmes volontaires pour fournir des conseils durant la grossesse et, si nécessaire, un soutien matériel les deux premières années suivant l’accouchement. L’aide comprend des livraisons de couches, de lingettes, de berceaux et même de poussettes.
L’assistante sociale en chef d’Efrat, Ruth Tidhar, explique que l’organisation soutient l’abolition des comités d’avortement pour des raisons pratiques. Selon elle, ils n’informent pas correctement les femmes sur les risques d’IVG.
Tidhar dit souhaiter que les docteurs fournissent des informations sur les risques médicaux et qu’ils imposent une période de réflexion de 72 heures permettant aux patientes de prendre la meilleure décision.
« C’est censé être une solution de dépannage. [L’idée est de dire aux femmes] ‘Réfléchissez. C’est une décision grave, qui va influencer le reste de votre vie’ », affirme Tidhar. « Je ne crois pas que la moindre femme se fasse avorter sans faire face à une certaine ambivalence ou à de mauvais pressentiments. »
En soutenant la suppression des comités, Efrat fait cause commune avec l’association féministe israélienne Isha L’Isha, Le groupe s’oppose aux panels qui, selon lui, représentent un obstacle à la liberté de choix des femmes. Isha
L’Isha souhaite également que les femmes obtiennent plus d’informations sur la procédure ainsi que des conseils médicaux.
Selon Mishpacha Hadasha, une organisation qui combat la coercition dans les mariages, les divorces et les gardes d’enfant, la moitié des 40 000 IVG annuelles est faite illégalement, les femmes préférant contourner les comités. Pour Lavie, leur abolition supprimerait l’incitation à réaliser des avortements illégaux.
« Seule les femmes peuvent dire ce qui est bon pour elles », soutient Ronit Piso, coordinatrice au sein d’Isha L’Isha. « Elles sont les seules à pouvoir juger s’il s’agit d’une décision économique ou d’autre chose. Nous pensons qu’il est important que les femmes reçoivent des conseils et qu’elles soient informées des implications médicales et du processus même. »
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