En coulisse du réchauffement des relations israélo-turques, un rabbin entremetteur
Rabbin influent et controversé pour ses liens avec des célébrités américaines et les cheikhs du Golfe, Marc Schneier évoque son rôle dans le rapprochement de Herzog et Erdogan

Dans l’ensemble, Marc Schneier n’est étranger à aucune des cours royales et émirats des pétromonarchies du monde arabe.
Fondateur de la Fondation pour la compréhension ethnique, Schneier n’a eu de cesse depuis maintenant plus d’une décennie de rassembler Juifs et musulmans, sautant d’une réunion à une autre avec les rois et princes héritiers des Émirats arabes unis, de Bahreïn, du Qatar et d’autres pays du Golfe.
Mercredi, alors que le président Isaac Herzog rencontrait le président turc Recep Tayyip Erdogan, Schneier est subitement apparu à Ankara.
Schneier n’a fait aucun effort pour rester incognito. Il a traversé la salle de presse, discutant avec désinvolture avec des journalistes, dont beaucoup connaissent son travail.
Fondateur et grand rabbin de la synagogue Hampton à Westhampton Beach, New York, Schneier cultive soigneusement, depuis des décennies, une image de rabbin d’un monde très fermé peuplé de jet-setters, de célébrités et de flambeurs travaillant dans des fonds spéculatifs.
Il est suffisamment familier des médias pour ne pas avoir à souffler mot du motif de sa présence dans le palais d’un autocrate turc, au beau milieu d’une rencontre des plus sensibles avec le président israélien, susceptible de déboucher sur un rapprochement diplomatique déterminant.
Sa présence en avait en effet fait sourciller plus d’un. Seuls les responsables du gouvernement turc, les membres de la délégation israélienne, des journalistes et membres du personnel de sécurité étaient autorisés. Il n’y avait pas de médiateurs, que ce soit des hommes d’affaires ou des responsables religieux.
Mais Schneier n’est pas un de ces médiateurs à l’ancienne. Comme il aime le dire lui-même, il est le shadhan, l’entremetteur, derrière cette romance ravivée.
Les premières étincelles sont apparues le 12 juillet, quand Erdogan a appelé Herzog pour le féliciter de son élection à la présidence. Cette conversation téléphonique a brisé la glace d’un froid diplomatique installé depuis dix ans entre les deux pays, autrefois alliés cordiaux.
Cette semaine, le redoux s’est installé en territoire turc avec la visite de Herzog et pourrait se concrétiser par une reprise complète des relations diplomatiques.
Derrière l’appel du 12 juillet dernier, on ne trouvera pas des semaines voire des mois de diplomatie prudente, de préparatifs timides ou de gestes prudents, mais une rencontre fortuite et un « objectif Lune » transcontinental, selon Schneier.
Quelques mois avant l’appel, Schneier prenait part à un repas d’iftar pour rompre le jeûne du Ramadan lorsqu’il a fait la connaissance de Hasan Murat Mercan, ambassadeur turc aux États-Unis.
Mercan a confié à Schneier avoir été envoyé par Erdogan avec le mandat de réparer les liens entre la Turquie et la communauté juive américaine. Il lui a donc demandé conseil.
« Alors j’ai dit, écoutez, je peux vous répondre en un mot. Et c’est ‘Israël’. Si vous voulez que la Turquie rétablisse ses relations avec les Juifs américains, le Congrès, l’administration, etc… le chemin passe par Israël », a-t-il déclaré au Times of Israel depuis Istanbul, où il était toujours jeudi, après le départ de la délégation israélienne.

Mais revenons au 11 juillet 2021, date à laquelle Mercan a répondu à l’invitation de prendre la parole à la synagogue de Schneier. Mercan a été longuement ovationné et Schneier, saisissant le moment, a suggéré qu’ils montent à l’étage, dans son bureau. Là, il lui a proposé d’appeler Erdogan pour lui suggérer d’appeler Herzog, qui avait prêté serment quatre jours plus tôt.
« Contactons Erdogan maintenant », se souvient Schneier. « Voyons s’il serait disposé à appeler Herzog pour le féliciter d’avoir accédé à la présidence d’Israël. »
Mercan a appelé Erdogan depuis le bureau de Schneier, et le lendemain Erdogan appelait Herzog. D’autres appels ont suivi lorsque la mère de Herzog est décédée et quand Erdogan a attrapé le COVID-19. Jusqu’à ce voyage, chargé de grands espoirs d’une reprise des relations diplomatiques.
Depuis le tout premier jour, se souvient Schneier, il était prêt à y aller. « J’entretiens de bonnes relations avec la partie israélienne, avec Herzog, et j’ai dit : ‘Initions le processus.’ »
Des camarades d’école devenus puissants et influents
Herzog et Schneier se sont connus en 1975, élèves de la même classe à la Ramaz School, une école juive située dans l’Upper East Side de Manhattan. Le père de Herzog, Chaim, qui deviendra plus tard président, était à l’époque affecté à New York en tant que représentant d’Israël auprès des Nations unies.
Herzog est retourné en Israël en 1978, mais les deux garçons sont restés en contact. Ordonné par l’Université Yeshiva, Schneier a par la suite, en 1989 puis 1990, créé la Fondation pour la compréhension ethnique et la synagogue Hampton, sorte de base internationale pour le rabbin plus connu comme le « rabbin des stars ».
Son travail axé sur les relations avec les Noirs et les musulmans a bientôt précipité Schneier et ses influentes relations dans le creuset d’une reprise de relations tolérantes entre Juifs et musulmans dans certaines parties du Golfe. Il s’est particulièrement rapproché du roi de Bahreïn Hamad bin Isa bin Salman Al Khalifa, qu’il conseille.
Dans les médias, il est souvent dépeint comme un homme qui a l’oreille des monarques du Golfe, avec une connaissance fine de la vision qu’ont les monarchies arabes d’Israël et d’autres questions.
Des sources officielles à Jérusalem, s’exprimant sous couvert d’anonymat, ont confirmé le récit de Schneier sur la diplomatie turque.

Un haut responsable tient Schneier pour « l’une des figures juives les plus influentes dans le monde musulman au sens large ».
Depuis qu’il a accédé à la présidence l’été dernier, Herzog est devenu une sorte de mentor pour le nouveau gouvernement du Premier ministre Naftali Bennett et du ministre des Affaires étrangères Yair Lapid. Peu expérimentés dans l’art de gouverner, les deux hommes ont permis à Herzog de prendre la tête d’un certain nombre de questions diplomatiques, la plus importante étant les mouvements vers un rapprochement entre la Turquie et Israël, après une décennie de relations quasi gelées.
Le rôle de Herzog est devenu clair en novembre, lorsqu’un couple d’Israéliens a été arrêté en Turquie. Les deux ont déclaré qu’ils étaient là en vacances et ne savaient pas qu’il était interdit de photographier le palais d’Erdogan. Pour autant, les autorités turques les ont accusés d’espionnage.
Israël a dépêché une série de hauts responsables pour résoudre le problème, et selon Schneier, lui et Ibrahim Kalin, l’influent assistant de camp d’Erdogan, ont également joué un rôle.

Le rabbin indique avoir averti Mercan que l’affaire pourrait torpiller les progrès diplomatiques accomplis jusque là.
« J’ai contacté l’ambassadeur et lui ai dit : ‘Tout ce que nous avons fait va exploser, même s’il n’y a pas vraiment de problème ici. C’est ridicule », se souvient Schneier. « Il a donc passé quelques appels téléphoniques. Tout le monde a travaillé pour que ce problème disparaisse. On pouvait aussi le sentir du côté turc. »
Après huit jours, le couple a été libéré.
Le rôle de Schneier en la matière a été reconnu. Plus tôt cette semaine, il a rencontré Jeff Flake, ex sénateur américain devenu ambassadeur des États-Unis en Turquie. Flake l’a remercié d’avoir utilisé ses relations pour aplanir les difficultés.
Schneier était d’ailleurs invité au dîner officiel donné en l’honneur d’Herzog à Ankara.
Maintenant que la mécanique est lancée, Schneier va pouvoir retourner aux États-Unis la semaine prochaine. À Washington, l’ambassade de Turquie doit organiser un dîner de gala avec les chefs d’organisations juives pour marquer la rencontre réussie entre Erdogan et Herzog.

Parmi les invités de Mercan figurent Mike Herzog, ambassadeur d’Israël aux États-Unis et frère du [président] Isaac Herzog.
« C’est quelque chose que tout le monde veut », a déclaré Schneier à propos de la relation florissante de la Turquie avec les Juifs américains et Israël.
« [Erdogan] a compris et sait que l’amélioration des relations avec la communauté juive profitera à la Turquie. »
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