En Hongrie, certains Juifs de gauche prêts à se rallier avec d’anciens néo-nazis
L'opposition commune après neuf ans sous Viktor Orban a donné lieu à d'étranges alliances entre des groupes juifs et le très antisémite parti Jobbik
BUDAPEST (JTA) — En 2011, le plus grand groupe juif hongrois avait appelé le ministère de la Justice à interdire le parti d’extrême-droite Jobbik, qu’il décrivait comme « antisémite » et « fasciste ».
Aujourd’hui, certains membres de la communauté juive, et même au sein de Mazsihisz, une fédération progressiste d’organisations juives hongroises, considèrent que Jobbik est un partenaire légitime en faveur d’un changement démocratique efficace, malgré son racisme flagrant.
Il y a quelques années, l’opposition à Jobbik était naturelle pour Mazsihisz. Les virulentes provocations de Jobbik faisaient de lui un cas particulier, même au sein des mouvements ultranationalistes européens.
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Malgré des tentatives de réhabilitation, le racisme semble toujours faire partie de l’ADN politique de Jobbik. Son actuel dirigeant, Tamas Sneifer, est un ancien skinhead qui avait avoué avoir battu un individu dans une prison avec des câbles électriques dans une présumée attaque raciste. En 2013, dans un discours au parlement, le numéro deux de Jobbik, Marton Gyongyosi, avait appelé à dresser une liste des Juifs hongrois parce qu’ils représentaient selon lui « un risque sécuritaire ».
Mais le paysage politique a évolué. Le parti de droite dirigeant Fidesz et sa main de fer sur le pouvoir suscite la frustration. Les militants anti-Fidesz, notamment au sein de Mazsihisz, se sont tournés vers Jobbik comme allié potentiel.
Cette démarche a donné lieu à la naissance d’une alliance improbable en amont des élections d’octobre, réunissant Jobbik et des partis de gauche qui le critiquaient autrefois vertement, notamment le Parti socialiste hongrois et la Coalition démocratique.
En vertu de l’arrangement annoncé le mois dernier, tous les partis d’opposition soutiendront le candidat qui est, selon les sondages, le plus susceptible de gagner dans une circonscription donnée. En d’autres termes, les partis de gauche enjoindront leur électorat à voter pour un candidat de Jobbik dans une circonscription où ils ont plus de chance de gagner, et inversement.
Nombre d’observateurs sont surpris par la coopération entre ultranationalistes et leurs opposants d’autrefois. Le président du Congrès juif mondial Ronald Lauder avait écrit en février que cette alliance le « troublait profondément ».
Mais pour de nombreux Hongrois, qui en ont assez de Fidesz sous l’égide du Premier ministre Viktor Orban, cette alliance prend tout son sens.
Politicien magistral aux tendances populistes ultranationalistes, Orban est aux commandes de la politique hongroise depuis plus de neuf ans, grâce à une série de victoires électorales écrasantes après avoir été Premier ministre de 1998 à 2002. Il a rendu Fidesz si puissant que le parti a triplé son nombre de suffrages à chaque élection parlementaire depuis 2010.
Dans ce contexte, Jobbik et les partis de gauche espère que leur alliance portera le premier coup à Orban et à sa main de fer en une décennie.
Les années Orban n’ont pas été bonnes pour les libéraux. Il a mené une répression sur les groupes de défense des droits de l’Homme, l’Etat de droit, l’enseignement supérieur et la liberté de la presse. Mais sa transition populiste a causé du tort à Jobbik aussi, lui volant sa base. Jobbik s’est effondré aux élections européennes, et n’a obtenu que 6 % des votes, contre 14 % en 2014.
Jobbik a réagi en cessant de promouvoir franchement l’antisémitisme pour se différencier auprès des électeurs classiques.
Gabor Vona, l’ancien chef du parti, a adressé ses vœux de Hannouka aux groupes juifs en 2016. L’année suivante, il a déclaré que Jobbik ne tiendrait plus de propos anti-Israël et traiterait l’Etat hébreu « comme n’importe quel autre pays ».
En 2014 et 2015, Vona avait promis de « démissionner immédiatement si quelqu’un [lui] découvrait des ancêtres juifs ». Mais dans une interview accordée en 2017 au Forward, Vona avait déclaré qu’au cours « des deux ou trois dernières années, j’ai été clair sur le fait que le parti ne faisait aucune place au racisme et à l’antisémitisme ».
Ces propos marquaient un tournant dramatique pour Jobbik, dont l’optique nationaliste devenait plus inclusive et se concentrait sur les scandales de corruption qui frappait Fidesz. Mais au regard de l’histoire du parti, les dirigeants de communautés juives et les progressistes ont rejeté les récentes déclarations de Vona.
Alors que Jobbik tentait d’assouplir son image, les relations entre le gouvernement Orban et Mazsihisz étaient plus tendues que jamais. En 2014, le groupe juif a suspendu ses contacts avec les responsables du gouvernement à cause d’une statue à Budapest qui, dit-il, blanchit la complicité de la Hongrie pendant la Shoah. D’autres groupes juifs ne s’étaient pas alignés à cette position.
L’an dernier, Mazsihisz a accusé Orban d’attiser le sentiment antisémite avec une campagne médiatique contre George Soros, un philanthrope progressiste juif et fervent détracteur d’Orban. De nombreux Juifs hongrois avaient également réfuté cette allégation.
« En théorie, la situation est telle qu’en Hongrie actuellement, Fidesz est l’extrême-droite et Jobbik est le parti de centre-droite, mais toujours assez à droite », a expliqué Adam Schoenberger, directeur de l’organisation progressiste Marom Jewish à Budapest.
Cependant, Schoenberg critique également l’alliance entre la gauche et Jobbik, estimant qu’elle est vouée à l’échec.
Le débat autour de l’alliance entre la gauche et Jobbik a émergé l’an dernier dans la communauté juive quand un dirigeant juif a soutenu un candidat de Jobbik aux élections municipales nommé Attila Kiss. Le dirigeant juif en question avait déclaré que Jobbik n’était « pas un parti nazi ».
Mais en 2009, Kiss avait appelé les membres du conseil municipal à « prendre des faux et des serpes » et à « exorciser la synagogue ». Mazsihisz avait intenté un procès à Kiss, l’accusant d’incitation à la violence raciste, mais les poursuites avaient été rejetées par les procureurs.
Mazsihisz s’est distancié du soutien accordé à Kiss. Mais les déclarations du groupe, aussi éloquentes furent-elles, ne condamnaient pas spécifiquement Jobbik et ne parlait que de l’engagement de l’organisation envers l’impartialité, de manière générale.
Un autre signe de réchauffement des relations entre Jobbik et Mazsihisz est survenu en 2017, quand le rabbin Zoltan Radnoti, président du conseil rabbinique de Mazsihisz a qualifié un groupe rabbinique rival de « anti-Jobbik ».
« Pendant les trois, voire quatre dernières années, Mazsihisz a effectivement moins critiqué Jobbik », a analysé Peter Feldmajer, un ancien président de Mazsihisz à la Jewish Telegraphic Agency. « Quelqu’un [au sein de Mazsihisz] a compris que l’opposition de gauche devait s’allier aux nazis pour renverser Fidesz. »
Feldmajer a critiqué la nouvelle alliance, qu’il a décrit comme un « scandale et une trahison ».
Mazsihisz a nié avoir soutenu l’alliance entre la gauche et Jobbik, et affirme n’être allié à aucun parti.
« Nous n’avons jamais eu, n’avons pas et n’aurons jamais de liens avec Jobbik », a déclaré le président de Mazsihisz Andras Heisler au JTA. Il a également douté de la sincérité de Jobbik dans son opposition à l’antisémitisme, étant donné que les chefs du parti ont tenu des propos antisémites.
Certains Juifs soutiennent toujours Orban.
Le rabbin Shmuel Glitsenstein, l’un des 17 rabbins qui travaillent pour le groupe rabbinique EMIH, affilié au mouvement Habad de Hongrie, rejette vivement l’idée que Fidesz soit une menace pour les Juifs.
« D’un point de vue juif, le gouvernement Orban se rapproche de l’idéal », a-t-il dit au JTA.
EMIH et Mazsihisz ont tous deux reçu des millions de dollars de biens et de financements ces dernières années en fonds publics, ce qui a permis l’ouverture de plusieurs synagogues et écoles juives dans le pays.
« Ceux qui ont parlé de la lutte contre l’antisémitisme et sont désormais prêts à coopérer avec Jobbik font preuve d’hypocrisie et d’indifférence à la haine des Juifs », a déclaré Glitsenstein.
La communauté juive hongroise est perçue comme libérale, et si elle s’insurge contre l’alliance de Jobbik, la communauté n’en parle pas. Les partis de gauche ont connu certaines dissensions à cause de cette alliance, a expliqué Schoenberger, mais ils n’ont pas connu la désertion des Juifs comme cela a par exemple été le cas pour le Parti travailliste britannique, qui est marqué par ses propres problèmes d’antisémitisme.
Les partis de gauche et les partisans de la « stupide coalition avec Jobbik l’ont intégrée par désespoir », a déclaré János Kőbányai, rédacteur d’un magazine juif de gauche, Múlt és Jövő. S’il rejette l’alliance, Kőbányai comprend le désespoir qui les y a conduits.
« Orban démantèle la démocratie, revisite l’Histoire, et notamment cette de la Shoah, et limite des libertés pour lesquelles des Hongrois se sont battus à mort », a déclaré Kőbányai. « Je crains que dans un tel climat, aucun Juif ne veuille venir dans les synagogues qu’il aide à construire. »
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