En Inde, un vétéran pour venir en aide aux soldats israéliens traumatisés par les combats
L'organisation 'Langage de l'âme' de Sam Goodriche a pour but d'aider les soldats qui viennent de quitter le service militaire à gérer leurs traumatismes de guerre au lieu de les enfouir au plus profond d'eux-mêmes
TEL AVIV (JTA) — Une nuit, dans une orangeraie située aux abords de sa ville natale dans le centre d’Israël, Sam Goodriche a chargé une seule balle dans le canon du fusil qui lui servait à l’armée.
Goodriche avait investi deux ans de sa vie dans des combats intenses en Cisjordanie aux côtés des forces armées israéliennes et, après un week-end de permission, il ne parvenait plus à faire face à la perspective de retourner sur sa base. Il préférait, se disait-il, mourir dans la poussière, à proximité de cette maison où il avait grandi.
Mais Goodriche n’a finalement pas pu assumer la catastrophe que causerait – il le savait – son suicide dans sa famille. Il a déchargé le fusil, allumé une cigarette et il s’est mis à pleurer. Le lendemain, il était de retour sur sa base militaire.
« Je ne me souviens pas exactement mais je sais que je me suis comporté comme d’habitude », raconte-t-il, se replongeant dans ses souvenirs de l’année 2002. « Je n’ai parlé à personne de ce qu’il s’était passé. J’avais honte ».
Aujourd’hui, 15 ans plus tard, Goodriche lance une organisation à but non lucratif appelée ‘le langage de l’âme’ qui s’est fixée pour objectif de venir en aide aux soldats israéliens des unités de combat à évacuer par la parole et à gérer les expériences qu’ils sont amenés à vivre.
Il ne s’agit pas d’ouvrir un centre de parole à Tel Aviv ou de lancer une hotline. Goodriche a décidé de partir en Inde, où des milliers d’Israéliens se rendent chaque année après avoir terminé leur service militaire obligatoire.
« La raison pour laquelle je vais en Inde, c’est pour approcher les soldats d’aussi près que je le peux après leur départ de l’armée », explique Goodriche, 34 ans et natif de Londres, à JTA dans un café de Tel Aviv. « Je tente de créer une situation où ils puissent intégrer en eux dans les meilleurs délais ce qu’ils ont vécu pour qu’ils ne gardent pas ce fardeau sur leurs épaules pendant 10 ou 20 ans ».
Après avoir dirigé un programme pilote pendant l’été à Dharamshala — une ville populaire où les touristes viennent en quête de spiritualité – Goodriche se prépare à repartir durant l’automne pour s’entretenir avec des soldats et les diriger vers les ressources thérapeutiques qui existent en Israël et qui l’ont soutenu lui-même, notamment les ONG Natal, le centre traumatique israélien pour les victimes du terrorisme et de la guerre et Bishvil Hamachar. Il prévoit également de faire venir en Inde des thérapeutes israéliens et d’organiser des événements de sensibilisation au sein des universités israéliennes.
Goodriche a grandi à Misgav Dov, un petit village du centre d’Israël où le service militaire est une tradition forte. Après sa sortie du lycée en 2001, il s’est enrôlé dans les brigades des parachutistes. La deuxième intifada était alors à son apogée, avec des kamikazes palestiniens qui terrorisaient les Israéliens presque chaque semaine. Goodriche a été envoyé en Cisjordanie dans le cadre de la répression sévère qui avait été décidée par l’Etat juif.
Il a surveillé des check-points, patrouillé dans les villes palestiniennes, arrêté des terroristes présumés et mené des raids contre leurs habitations – et a souvent été attaqué par des adolescents à coups de jets de pierre ou de cocktails Molotov, ou par des hommes armés.
« Même si votre vie n’est pas toujours en danger, vous avez le sentiment que c’est le cas », dit-il. « C’est une longue période de stress où vous craignez pour votre vie en permanence ».
Le jeune soldat est devenu toujours plus anxieux, déprimé. Chaque nuit, il s’est penché sous son lit à la recherche d’un éventuel terroriste et a fait des cauchemars récurrents durant lesquels le canon de son fusil s’enrayait alors qu’il fonçait dans la bataille. En 2004, pendant les derniers mois de son service, il a commencé à rencontrer le travailleur social de son unité, qui lui a suggéré de se diriger vers un psychologue pour traiter des symptômes relevant d’un état de stress post-traumatique.
Et, comme un grand nombre de ses pairs, Goodriche a quitté l’Etat juif une fois son service militaire terminé.
Partir en voyage, le sac sur le dos, dans des zones reculées – en particulier en Inde – est devenu quelque chose de traditionnel pour les soldats israéliens qui quittent le service. En 2013, des recherches menées par l’agence de voyage israélienne Issta ont révélé qu’environ 40 000 personnes se prêtent à ce genre de voyage chaque année, et que 70 % d’entre eux sont âgés de 20 à 24 ans. C’est un tiers des 75 000 Israéliens qui quittent l’armée par an.
Selon Darya Maoz, maître de conférences en anthropologie à l’école supérieure Hadassah de Jérusalem, cette culture de ce type de périple, le sac sur le dos, est une réaction contre la vie militaire. Les soldats se laissent souvent pousser les cheveux, portent des vêtements amples et vivent la nuit. Ils ont tendance à avoir une vie sexuelle permissive et à consommer des drogues pour une grande partie d’entre eux.
« Le voyage est considéré comme un tournant à 180 degrés par rapport au service militaire », explique Mao. « Ils fument parfois [de la marijuana] et restent à regarder le plafond pendant des jours, parfois pendant des semaines. C’est un élément au centre de l’expérience, ne rien faire en opposition au fait de s’être trouvé en permanence en mouvement ».
Maoz indique que pour de nombreux Israéliens, ce voyage post-militaire est la première chance d’être indépendant et de se découvrir, soi. C’est peut-être parce qu’ils en ont conscience, dit-elle, que les parents et la société dans son ensemble « détournent le regard » de ce comportement rebelle.
« Ils savent ce que font leurs enfants, mais ils disent : ‘D’accord, ils n’agissent pas comme ça en Israël, ils font ça loin d’ici », ajoute-t-elle. « Ce qui est important, c’est qu’à leur retour, ils reviendront au conformisme. Ils iront dans l’enseignement supérieur, ils trouveront un emploi, ils auront une famille et des enfants tout comme leurs parents ».
Le voyage de Goodriche vers l’Inde a connu plus d’un détour. Il a passé plusieurs années au Royaume-Uni, puis il est revenu en Israël en 2009, où il a travaillé dans un élevage de chameaux à Eilat avant de vivre d’autres petits boulots ici et là.
Mais partout où il s’est rendu, il n’a pu échapper à l’anxiété, à la dépression et aux cauchemars. Le jeune homme a commencé à avoir des visions quasi-quotidiennes qui venaient de son service militaire. Son regard cherchait des snipers sur les toits des immeubles devant lesquels il passait et il s’est senti devenir de plus en plus distant et solitaire.
Enfin, en 2013, Goodriche a cherché une thérapie. On lui a conseillé un psychologue spécialisé dans les traumatismes chez les soldats qui lui a confirmé qu’il souffrait d’un trouble de stress post-traumatique (ESPT). Sur la base de ce diagnostic, l’armée l’a déchargé de son devoir de réserve.
Et Goodriche n’est largement pas le seul dans son cas : Selon des études de l’armée menées au cours des années, 7 à 20 % des soldats qui ont expérimenté des situations de combat développent un ESPT, ce qui augmente le risque de suicide. Depuis quelques années, notamment ces deux dernières, le suicide a été la première cause de décès parmi les militaires, dépassant le nombre de morts au combat.
Les voyages exotiques et sauvages qui suivent le service peuvent exacerber le problème. Tal Brosh, un psychologue qui travaille auprès de l’organisation Bishvil Hamachar — une association qui prend en charge d’anciens soldats de combat pour des voyages thérapeutiques d’une semaine – estime que ces expériences vécues à l’étranger peuvent blesser encore davantage un petit pourcentage de soldats déjà traumatisés.
« Quand vous n’avez pas eu le temps de prendre du recul, quand vous n’avez pas fait une thérapie, le voyage peut être extrêmement perturbant », dit-il. « Et quand vous consommez des drogues et que vous souffrez déjà d’anxiété, que vous avez des flash-backs, les stupéfiants peuvent véritablement empirer la situation ».
Pour Goordiche, toutefois, aller en Inde a été un tournant dans sa guérison. L’année dernière, après de nombreux mois de thérapie, il est parti pour la première fois dans le pays dans un village de yoga – et là-bas, au cours de conversations sur la plage avec des soldats israéliens qui avaient servi au combat, l’idée de l’association lui est venue. En approchant ces jeunes dès la sortie du service militaire, dans un environnement relaxant, il a réalisé qu’il pouvait les aider à « intégrer leurs expériences de combat » avant de connaître éventuellement les problèmes à long-terme contre lesquels lui-même avait dû se battre.
Goodriche est retourné en Inde au mois de juin et il a passé deux mois à discuter avec des soldats israéliens de leurs expériences et de leur état d’esprit. Il a organisé des discussions hebdomadaires de groupe dans une maison d’hôtes locale.
L’une de ces rencontres a été filmée par la Première chaîne israélienne. Dans la vidéo, Goodriche est assis, les jambes croisées, face à deux douzaines de voyageurs israéliens affalés autour de lui sur des tapis. Il raconte comment il a été attaqué par des Palestiniens qui jetaient des cocktails Molotov en Cisjordanie et comment il a ouvert le feu. Cet affrontement, qui a tué un Palestinien, le hante encore.
« Je me souviens avoir regardé dans la lunette de visée de mon arme et, dans la fumée, j’ai vu le visage d’un garçon qui m’a rappelé mon petit frère », dit-il. « Je ne sais toujours pas lequel d’entre nous l’a tué ».
Deux baroudeurs racontent des histoires semblables et un homme plus âgé explique que tous les membres de sa brigade souffrent encore « d’une manière ou d’une autre » de symptômes non traités apparus pendant leur service durant la guerre du Liban de 1982.
« Trente-cinq ans plus tard, c’est de plus en plus dur chaque année », dit l’homme. « Si vous ne vous occupez pas de ça tout de suite après l’armée, les années passent et le mal vous frappe dans chaque coin sombre ».
D’où la mission que s’est fixée l’organisation du trentenaire. D’autres soldats continueront à aller au combat et ces jeunes tenteront de se réparer en faisant la fête à travers l’Asie. Goodriche indique qu’il veut que son association puisse simplement sensibiliser au fardeau psychologique engendré par la réalité de la vie militaire.
« Ces jeunes sauront qu’il y a un filet de sécurité, dit-il. « Il n’y a vraiment aucune raison à ce qu’Israël ne soit pas numéro un dans le monde dans le traitement de l’état de stress post-traumatique ».
Même s’il y a beaucoup de critiques autour de la gestion des problèmes de pathologie mentale au sein de l’armée israélienne – Goodriche lui même n’en est pas avare – il y a eu des améliorations ces dernières années. Par exemple, après la guerre de Gaza, en 2014, l’armée a offert un traitement pro-actif à des centaines de soldats qui avaient été blessés au combat ou impliqués dans des échanges de feu intenses.
Goodriche voudrait voir ce type de programme élargi à tous les soldats des unités de combat pendant leur service. Mais en même temps, il continuera à les rencontrer en Inde – et pas seulement pour leur bien à eux.
« C’est la seule chose qui me fait avancer depuis que j’ai terminé l’armée », dit-il. « Cette organisation me fait me sentir vivre à nouveau ».
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