En mer Rouge, le casse-tête stratégique de la coalition contre les Houthis
Lloyd Austin a annoncé la formation en mer Rouge d'une coalition de 10 pays, afin de faire face aux attaques des Houthis contre des navires qu'ils considèrent comme "liés à Israël"
Comment agir et avec quels moyens ? Qui protéger et avec quelles conséquences ? La coalition internationale contre les rebelles yéménites houthis en mer Rouge va devoir démontrer ses capacités opérationnelles dans un environnement militaire et stratégique miné.
Le ministre américain de la Défense a annoncé lundi la formation en mer Rouge d’une coalition de 10 pays, afin de faire face aux attaques répétées des Houthis contre des navires qu’ils considèrent comme « liés à Israël ».
Mais au-delà de l’effet d’annonce, l’efficacité du dispositif pose question.
La menace des Houthis
Les yéménites perturbent la circulation des navires marchands en multipliant les attaques à proximité du détroit de Bab-el-Mandeb, essentiellement par des frappes de missiles mais aussi des drones.
« Les progrès dans la technologie des missiles et des drones » font qu’aujourd’hui, « les pays et groupes avec des forces aériennes faibles ou inexistantes sont capables de mener des frappes longue portée en utilisant des drones ou des missiles anti-navire », fait valoir Fabian Hinz, de l’International Institute for Strategic Studies (IISS).
« C’est une nouvelle réalité pour l’Occident », fait-il valoir à l’AFP.
D’autant qu’une autre source de frappe est envisageable. « Est-ce que l’attention ira sur la menace existante – les attaques aériennes ? Cela pourrait encourager les Houthis à utiliser leurs bateaux-drones qui se sont révélés très efficaces par le passé », prévient Dirk Siebels, pour le groupe danois Risk Intelligence.
« Le simple fait que les bateaux-drones puissent être utilisés complique certainement le sujet ».
Comment garantir quoi ?
La coalition aura fort à faire pour garantir la liberté de navigation dans le détroit. Les Houthis justifient leurs attaques par la « solidarité avec le peuple palestinien et contre le blocus de (la bande de) Gaza » par Israël. Mais la réalité est plus complexe.
« Ces attaques sont devenues aléatoires et les navires visés n’ont pas de connexion avec Israël ni ne font route vers (le port israélien) d’Eilat », note l’experte indépendante Eva Koulouriotis sur X (ex-Twitter).
L’industrie maritime offre en outre de complexes montages industriels.
« Un bateau peut appartenir à une compagnie enregistrée à l’île de Man contrôlée par une institution en Allemagne qui a nommé un gestionnaire naval installé à Singapour pour opérer le navire battant pavillon du Libéria, assuré en Grande-Bretagne », schématise Dirk Siebels.
Dès lors que la coalition n’aura pas les moyens militaires pour protéger chaque navire, comment choisir, trier, prioriser ? Elle peut tenter de dissuader les Houthis et déjouer bon nombre d’attaques, mais elle aura du mal à garantir une circulation sans danger pour les opérateurs.
L’hypothèse de frappes
Inévitablement se pose la question de frapper les Houthis pour détruire leurs capacités balistiques. L’option n’est pas officiellement sur la table mais elle est discutée.
« Le gouvernement israélien est prêt à lancer des frappes aériennes (…) à Sanaa et Saada au Yémen, mais Washington a empêché une action militaire par volonté de contenir les pertes associées à ce dossier », assure Eva Koulouriotis.
« Pour l’heure, les Etats-Unis et leurs alliés n’ont pas envisagé d’attaques de représailles contre des cibles houthis, sur ou au large des côtes du Yémen », note pour sa part le think tank spécialisé dans les questions de sécurité Soufan Center, basé à New-York.
Il estime que la coalition « offre une alternative » à cette « option hautement recommandée mais plus risquée ».
Mais la fréquence des attaques en mer Rouge, essentielle pour le commerce mondial, en augmente la possibilité, précise-t-il. Dissuader les rebelles de mener d’autres attaques nécessitera d’aller « au delà des sanctions attendues ou de mesures diplomatiques ».
Risque d’escalade
Reste que frapper les rebelles yéménites, c’est risquer d’ouvrir un nouveau front contre un des membres de « l’axe de résistance », l’alliance formée par les groupes soutenus par l’Iran contre Israël, dont le groupe terroriste islamiste palestinien du Hamas et le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah.
Or, les Occidentaux veulent précisément éviter que le conflit entre le Hamas et Israël déstabilise toute la région et ne finisse par y entraîner l’Iran.
L’Arabie saoudite et les Houthis tentent de leur côté de poursuivre de fragiles pourparlers de paix pour sortir de la guerre au Yémen, où 400 000 personnes ont péri depuis 2014.
« Il est peu probable que les Houthis mettent en péril un accord potentiel en faisant quelque chose qui entraînerait une réaction saoudienne », estime Dirk Siebels.
L’Arabie saoudite, de son côté, « n’a nullement l’intention de geler ses négociations avec les Houthis et retourner à la guerre avec eux », confirme à l’AFP Hesham Alghannam, de l’Université pour les sciences de sécurité de Naif Arab (NAUSS), à Riyad.