Enquête sur une Palestinienne qui aurait bloqué ses collègues médecins sur Internet
H. ne pourra pas continuer son travail à l'hôpital Sheba en raison des investigations en cours ; elle a indiqué avoir supprimé ses comptes sur les réseaux il y a des semaines
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Une Palestinienne qui poursuivait son stage post-doctoral de médecine à l’hôpital Sheba, près de Tel Aviv, fait actuellement l’objet d’une enquête de la police. Les investigations ont été lancées parce qu’elle aurait bloqué ses collègues juifs sur ses comptes Facebook et Instagram.
Arrêtée sur son lieu de travail, la femme, qui n’a été identifiée que par la lettre H., a été interrogée au commissariat local parce que, lui-a-t-il été dit, elle avait bloqué ses collègues de travail sur les réseaux sociaux, a fait savoir son avocat.
Même si ce n’est pas un crime, une enquête de police a été ouverte sur la femme médecin, qui est Palestinienne et qui réside en Cisjordanie. Elle affirme, de son côté, avoir supprimé ses comptes et n’avoir bloqué aucun utilisateur en particulier.
Si les investigations ont été lancées il y a deux mois, la jeune femme n’a pas été mise en examen et son dossier n’a pas été clos – malgré deux demandes de ses avocats. Elle se trouve dans l’incapacité de terminer son stage à l’hôpital Sheba en raison de l’enquête de police en cours.
L’incident a eu lieu deux semaines après les atrocités du 7 octobre – des terroristes de Gaza avaient envahi le sud d’Israël, tuant 1 200 personnes et prenant 240 personnes en otage – et le début de la guerre avec le Hamas. Il est survenu alors que des dizaines d’enquêtes ont été ouvertes contre des Arabes israéliens et contre des Palestiniens, avec parfois des inculpations, pour des publications parues sur les réseaux sociaux qui contrevenaient, semble-t-il, aux lois sur les incitations à la haine ou au terrorisme ou qui paraissaient soutenir les groupes terroristes.
Les organisations d’aide juridique se sont toutefois inquiétées des dérives de certaines de ces mises en examen qui, selon elles, se sont basées sur des écrits qui n’étaient pas concernés par la loi sur les incitations à la violence et qui étaient protégés par la liberté d’expression, telle qu’elle est définie dans le droit israélien.
Le 23 octobre, les agents du commissariat d’Or Yehuda sont arrivés à l’hôpital Sheba de Ramat Gan. Ils ont arrêté H. – qui ne souhaite pas être identifiée – et ils l’ont emmenée pour l’interroger, confisquant son téléphone sans ordonnance préalable de la Cour.
H., 31 ans, qui vit à Naplouse, est intégrée dans un programme permettant aux Palestiniens de Cisjordanie de venir en résidence, après le doctorat, dans les hôpitaux israéliens. Cela fait trois ans qu’elle est à Sheba – et elle devait initialement y rester cinq ans.
Elle a un permis d’entrée en Israël qui lui a été remis par l’Administration civile, qui dirige les affaires civiles en Cisjordanie, et son casier judiciaire est vierge, explique Reut Shaer, avocate au sein de l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI) qui la représente.
Les enquêteurs ont indiqué à H., pendant son interrogatoire, que quelqu’un avait contacté la police pour l’informer qu’elle avait bloqué tous ses collègues, à l’hôpital, sur les réseaux sociaux.
Elle a affirmé n’avoir bloqué personne, ajoutant qu’elle avait supprimé ses comptes deux ou trois mois avant son arrestation.
H. a ajouté que ses collègues l’avaient peut-être soupçonnée de tenter de cacher quelque chose lorsqu’elle avait supprimé ses comptes – même si un tel cas de figure n’aurait pas justifié non plus une enquête des forces de l’ordre.
Elle a ensuite été libérée, et la police ne l’a plus contactée depuis son interrogatoire. Si aucune mise en examen n’a été décidée, son dossier n’a pas pour autant été clos.
Si elle avait initialement pu continuer à travailler, elle avait été informée par l’hôpital Sheba, trois semaines après son arrestation, de la révocation de son permis d’entrée en Israël par l’Administration civile en raison des investigations lancées à son encontre.
« Les agents de police qui ont mené l’enquête n’ont pas précisé de fondement juridique susceptible de laisser penser qu’un crime a été commis dans cette affaire, que ce soit par le blocage [d’autres utilisateurs] ou par la désactivation de ses comptes sur les réseaux sociaux », a écrit Shaer dans une lettre, le 21 novembre, qui était adressée au commissariat d’Or Yehuda et au département juridique de la police israélienne au sujet de l’incident.
Elle a demandé à ce que l’enquête soit officiellement fermée de manière à ce que H. puisse retourner au travail à l’hôpital Sheba et à ce que son casier soit blanchi.
« C’est une jeune femme et une personne intègre, sans casier judiciaire, qui semble avoir été victime de persécutions politiques qui sont en recrudescence actuellement sur les lieux de travail et sur les lieux d’études », a écrit Shaer.
Elle a fait remarquer que dans des dizaines de cas de citoyens accusés d’avoir soutenu le terrorisme ou d’avoir incité à la violence, des mises en examen avaient rapidement suivi l’arrestation initiale. Et elle a souligné que lorsque de tels individus avaient ensuite été relâchés par la police, ils avaient été tenus de suivre des restrictions et que cela n’avait pas été le cas de H.
La police doit encore répondre à cette lettre ou à un courrier de suivi à cette dernière qui a été envoyé au mois de décembre.
Un porte-parole de la police a fait savoir, en réponse, que les investigations étaient encore en cours, refusant de s’exprimer davantage.
L’ACRI et d’autres groupes ont exprimé leur inquiétude face au nombre important d’enquêtes et de mises en examen de citoyens arabes israéliens pour incitation au terrorisme et apologie des groupes terroristes, depuis le début de la guerre.
Suite aux atrocités commises le 7 octobre, le Bureau du procureur de l’État a donné toute la latitude nécessaire à la police pour qu’elle soit en mesure d’ouvrir des enquêtes sur des soupçons d’incitation au terrorisme, d’apologie des groupes terroristes et autres charges similaires, sans approbation préalable de sa part, autorisant également le maintien des suspects en détention jusqu’au terme des procédures lancées à leur encontre « dans les cas appropriés ».
Environ 130 inculpations ont été prononcées contre des personnes accusées d’avoir violé ces lois depuis le 7 octobre – presque exclusivement des Arabes israéliens. Dans un grand nombre de ces affaires, les charges sont relatives à des partages de vidéo accompagnées d’écrits approbateurs ou autres activités du même type sur la Toile. D’autres sont plus floues.
La chanteuse arabe israélienne Dalal Abu Amneh, qui est aussi chercheuse au Technion, a été arrêtée pour comportement susceptible d’entraîner des troubles à l’ordre public pour avoir posté sur Facebook et Instagram, le 7 octobre, « Il n’y a pas d’autre vainqueur qu’Allah », un message qui était accompagné du drapeau palestinien.
Par ailleurs, le quotidien Haaretz a signalé que Mohand Taha, un humoriste, avait posté une story sur Instagram avec la légende : « Les larmes coulent pour les résidents de Gaza ». Il a été arrêté par une vingtaine de policiers quarante minutes plus tard, accusé de soutien apporté à un groupe terroriste.
« Il y a une véritable hystérie dans le public en général et la police et les autres agences chargées de faire appliquer la loi ont la gâchette facile dans ces enquêtes », déplore Shaer.
« Nous n’aurions jamais entendu parler d’histoires comme celles-là il y a quelques mois », a-t-elle ajouté, évoquant le cas de H. et des investigations lancées à son encontre.