Être Juif à Sarcelles en 2020 : « Après 18h, on ne met plus la kippa »
"À mes enfants, je demande de n'avoir aucun signe extérieur religieux. J'ai trop peur qu'ils se fassent agresser", explique Jonathan, Sarcellois de 40 ans
Le journal Le Parisien et la radio RTL ont récemment consacré des reportages à la situation et au quotidien des Juifs en France, alors qu’un sondage Ifop publié la semaine dernière avançait que 70 % des Juifs de France ont déjà été victimes d’un acte antisémite au cours de leur vie, les jeunes étant particulièrement touchés.
Dominique Reynié, professeur à Sciences Po et directeur de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), qui avait commandé le sondage avec le bureau français de l’American Jewish Committee (AJC), avait réagi en expliquant qu’en France, les Juifs ne « mènent pas la même vie » que les non-Juifs.
Face à ce sondage, Le Parisien a cité l’exemple de Juifs de Sarcelles qui n’osent plus sortir de leur quartier avec des signes extérieurs, alors que la ville avait été touchée par de violentes émeutes anti-Israël à proximité d’une synagogue en 2014, et qu’une bombe avait explosé dans un supermarché casher en 2012.
Au sujet de la kippa, Jonathan, 40 ans, entrepreneur dans le BTP, explique : « Je ne la mets que pour aller à la synagogue. À mes enfants, je demande de n’avoir aucun signe extérieur religieux. J’ai trop peur qu’ils se fassent agresser, c’est une vraie angoisse. Vivons bien, vivons ‘casher’ comme on dit ! » Il rapportait que son fils de 14 ans s’était fait traiter de « sale Juif » en pleine rue quelques jours plus tôt.
Si des boutiques juives, deux synagogues et des écoles juives existent toujours à Sarcelles, « dès que vous passez de l’autre côté de la rue, il n’y a plus rien. Nous devenons invisibles », explique Yoann, 46 ans.
Jonathan se dit également navré face à la « bunkerisation » des lieux de cultes.« On dirait une caserne, il y a un sas pour entrer. Devant les écoles juives, vous avez des militaires maintenant, dit-il. On se sent en danger, on a l’impression que l’on veut nous effacer. Donc il y a une réaction en chaîne et on se cache nous-mêmes. »
« Après 18 heures, quand la nuit tombe, on ne met plus la kippa. Dans le tram, le RER ou le métro, pareil, explique Aaron, 16 ans, élève du lycée privé juif Ozar Hatorah. Ce sont des réflexes. Sinon, c’est trop dangereux. »
Son camarade Eykan explique lui enlever sa kippa pour se rendre au terrain de foot voisin, à quelques centaines de mètres de chez lui.
« La communauté se rétrécit. Avant, vous aviez des Juifs dans tous les quartiers. C’est dramatique que les jeunes n’aillent plus n’importe où avec leur kippa… », regrette Florence, 51 ans, professeur dans une école privée juive.
Mickaël, 46 ans, dit lui ne pas vouloir « se laisser intimider ou envahir par la peur », et refuse d’adapter son comportement à son environnement. « Sauf quand je sens que c’est trop chaud », précise-t-il.
Le reportage de RTL citait lui l’exemple d’une famille qui a quitté Montrouge, près de Paris, pour Jérusalem.
La famille a décidé de faire son alyah le 8 janvier 2015, jour de l’attentat de Montrouge lors duquel la policière Clarissa Jean-Philippe a été abattue.
De Jérusalem, ils estiment qu’il y a « beaucoup d’insécurité » en France. « Je ne crois pas qu’aujourd’hui, un Juif puisse aller à la synagogue avec la kippa sur la tête », explique le père de famille.
En 2018, 541 actes antisémites ont été recensés en France contre 311 l’année précédente – soit une hausse de 74 % –, selon un rapport publié par le ministère de l’Intérieur en février 2019.
Ce jeudi, à Jérusalem, face aux Français d’Israël, le président Emmanuel Macron a déclaré : « L’antisémitisme revient. Pas ces derniers mois, non, mais ces dernières années. Il est là, son cortège d’intolérance, de haine. […] Mais je veux vous le dire très clairement : la France n’aura pas ce visage. »
« L’antisémitisme […] ne doit pas être uniquement ni même d’abord le problème des Juifs. L’antisémitisme en France est d’abord et avant tout le problème de la République. L’antisémitisme, c’est la quintessence, le visage premier de la haine de l’autre », a-t-il ajouté. « Il nous faut le combattre avec force en luttant contre toutes les violences et tous les amalgames, les profanations de cimetières, de mémoriaux, les croix gammées sur les portraits, les insultes antisémites assainies par des foules aveugles, les violences sous toutes leurs formes. »