Face à l’offensive des rebelles dans l’est de la République démocratique du Congo, une ONG israélienne voit son travail compromis
Le fondateur israélo-américain d'Africa 3030, Ariel Kedem, craint une troisième guerre civile congolaise qui pourrait être fatale aux enfants gravement sous-alimentés qu'aide son ONG
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.

Le directeur israélien d’une ONG d’aide aux enfants souffrant de malnutrition sévère en République démocratique du Congo dit craindre pour l’avenir de son projet et plus globalement pour celui de la région dans laquelle il travaille, suite au passage des rebelles soutenus par le Rwanda en début de mois.
Créé il y a de cela dix ans, Africa 3030 gère un centre rural situé à 2,5 kilomètres au sud-ouest de Kavumu, dans la province du Sud-Kivu, qui permet de nourrir 200 enfants âgés de 1 à 10 ans souffrant de grave malnutrition.
Vendredi dernier, après la prise de Kavumu par le Mouvement rebelle du 23 mars, qui porte le nom M23, l’ONG a demandé à ses employés et à leurs familles de rester chez eux et a caché ses véhicules de peur qu’on les leur vole.
« Ce groupe armé de l’étranger est officiellement le nouveau maître de la ville et personne ne sait ce qui va se passer », explique Ariel Kedem, fondateur et président d’Africa 3030 en ajoutant que les enfants pris en charge par son initiative sont tous « gravement sous-alimentés et fragiles » et que « deux ou trois jours sans notre aide pourraient leur être fatals ».
Africa 3030 fournit à ces enfants des repas quotidiens et des biscuits à base d’algues spiruline séchées, cultivées sur place. La spiruline est un superaliment riche en protéines, minéraux et vitamines.

L’ONG finance par ailleurs des bourses d’études qui permettent à 80 enfants d’aller à l’école, en plus d’accorder des microcrédits à plus de 150 femmes pour les aider à créer de petites entreprises.
La région, qui borde le Rwanda, est en proie à des troubles depuis 1996, à la suite du génocide de 1994 au cours duquel 800 000 personnes, essentiellement des tutsis, ont été assassinés par leurs voisins hutus, et de l’arrivée au pouvoir au Rwanda du chef militaire tutsi Paul Kagame, devenu président en 2000.
Kagame a mené deux guerres en RDC, au cours desquelles plus de six millions de personnes sont mortes, officiellement pour protéger les populations tutsies de ce pays. Aujourd’hui, on craint une troisième guerre civile après la prise de contrôle rapide des provinces de l’est du Kivu, de la capitale du nord, Goma, à celle du sud, Bukavu, par le M23.
Des voix se sont élevées pour dire que la véritable raison de cette instabilité était la richesse des sous-sols de la région, exploitée sous la supervision d’innombrables milices, souvent au moyen du travail des enfants, et introduite clandestinement au Rwanda, pays apprécié des pays occidentaux.

L’est de la RDC est riche en cuivre, cobalt, étain, tantale et lithium, qui servent par exemple à la fabrication de téléphones portables.
Africa 3030 était en train de « sauver les enfants petit à petit », a expliqué Kedem au Times of Israël, mercredi, depuis son domicile, dans le centre de Kfar Saba.
« Les soldats renégats pourraient venir prendre nos générateurs ou nos panneaux solaires. Nous avons quelques véhicules que nous cachons ailleurs en ville, car le M23 a pillé les véhicules, de Goma à Bukavu, et les a emmenés au Rwanda. Notre Land Cruiser est notre bouée de sauvetage : elle sert aux déplacements du personnel, à apporter des fournitures, à tout », a-t-il ajouté.
« Notre centre dispose d’équipements qui suscitent la curiosité », poursuit-il. « Les soldats errants pourraient bien faire ce qu’ils veulent. Il y a dix jours, des soldats congolais qui avaient fui la bataille ont formé un gang et ont arpenté, de nuit, la rue principale de notre village en agressant les gens pour obtenir de l’argent. Ils ont fait neuf victimes. »

Kedem explique que du fait de la fermeture des banques, « il n’y a plus d’argent, plus d’autorités, qu’elles soient locales ou régionales, plus de services sociaux. Les prix des produits alimentaires ont grimpé en flèche, la nourriture se fait rare et il ne faudra que quelques jours, peut-être quelques semaines, avant qu’il n’y ait plus rien à manger ou à boire, que les enfants tombent malades et que les gens se mettent en colère. Dans ce cas, il est fort probable que le M23 tirera sur les gens. Ce ne sont que des soldats supposés prendre le contrôle du gouvernement. Sans savoir comment. »

« Je suis presque sûr que nous réussirons à trouver ce qu’il faut pour notre communauté. Mais si les choses s’enveniment, s’il y a des couvre-feux et que les enfants ne peuvent plus venir au centre et que les déplacements sont limités, ils pourraient en mourir », craint-il.
Selon les sources d’information disponibles, les batailles qui ont eu lieu dans l’est du Congo ont donné lieu à des violences, des pillages et des viols généralisés par le M23 et les combattants du gouvernement congolais.
Mardi, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a confirmé des cas d’exécutions sommaires d’enfants par le M23 à Bukavu et de recrutement d’enfants soldats. Il a condamné les attaques contre les hôpitaux et entrepôts humanitaires ainsi que les atteintes au pouvoir judiciaire.
« Tout le monde s’intéresse à l’Est du Congo », conclut Kedem. « Notre plus grande crainte est celle d’une troisième guerre du Congo. »