France : Marseille redonne aux rafles de 1943 leur place dans la mémoire collective
La ville ouvre pour la première fois une année de commémorations destinées à redonner sa place à ces évènements restés selon lui "trop longtemps oubliés"
Une tragédie « trop longtemps oubliée, effacée ». 80 ans après, responsables politiques et survivants ont redonné, dimanche, leur place dans l’Histoire aux rafles de Marseille et au dynamitage de vieux quartiers de cette « ville monde » honnie des nazis.
Janvier 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Marseille représente alors « tout ce que les nazis détestent », « une ville monde où se fréquentent toutes les identités », considérée comme « une porcherie », un nid de résistance, a rappelé son maire divers gauche, Benoît Payan, devant une foule nombreuse, réunie sous le soleil mais dans un froid glacial.
Ils décident alors, avec la collaboration active du régime français de Vichy, de l’opération Sultan qui conduira à une série de rafles entre le 22 et 24 janvier 1943 dans la deuxième ville de France, parmi les plus vastes avec celle du Vel d’Hiv, en 1942 à Paris.
Environs 800 Juifs, notamment du quartier de l’Opéra, sont arrêtés, détenus à la prison des Baumettes puis envoyés dans les camps d’extermination au départ de la gare d’Arenc.
29 janvier 2023 devant l'hôtel de ville : souvenir douloureux de la #RafleduVieuxPort par les nazis avec la #collaboration de la police française
nov. 42 : l'arrivée de la cavalerie aĺlemande Porte d'Aix#Shoah pic.twitter.com/a77klrRgKD— Sébastien Lebret (@SbastienLebret8) January 29, 2023
Dimanche, devant l’hôtel de ville, sur ce qui fut jadis le quai du maréchal Pétain, une jeune fille lauréate du concours national de la résistance a lu le témoignage d’Elie Arditti, qui réussira à s’échapper.
« On nous entasse à tel point qu’il faut lever les bras pour faire de la place aux nouveaux arrivants, on nous jette dans le wagon sept boules de pain et trois boîtes de conserve. Le wagon est plombé avec de grosses pinces par un ouvrier. »
Outre les Juifs, une deuxième rafle visera « la petite Naples », le coeur historique de cette ville méditerranéenne, derrière le Vieux-Port. Ces quartiers populaires où résident de nombreux immigrés italiens sont vidés de force puis dynamités.
« Réveillé au petit matin le 24 janvier, Hitler avait décidé de détruire le quartier de mon enfance, berceau même de la ville », a témoigné Antoine Mignemi, un des derniers survivants de cet épisode, président du collectif Saint-Jean 24 janvier 1943. Il était enfant et se souvient encore de « la foule déboussolée, affolée ».
Discours du Président du Consistoire Israélite de Marseille et du Grand Rabbin.#rafleduvieuxport pic.twitter.com/QdhPWdEPeF
— ConsistoireMarseille (@CIM_marseille) January 29, 2023
Environ 20 000 habitants seront touchés, 15 000 enfermés un temps dans un camp à Fréjus, où « nous sommes restés une semaine, à dormir sur de la paille souillée », a-t-il raconté. Au total, 1 642 personnes seront déportées dans l’opération Sultan.
« Il aura fallu 80 ans pour qu’un maire et des ministres reconnaissent ensemble cette opération qui porte un nom, un crime contre l’Humanité », a déclaré Benoît Payan.
C’est sous son impulsion que la ville ouvre pour la première fois une année de commémorations de cette ampleur destinées à redonner sa place à ces évènements restés selon lui « trop longtemps oubliés, effacés presque de notre mémoire collective ».
Je suis venu à la demande d’@EmmanuelMacron dire qu’il y a 80 ans à Marseille, 20 000 femmes, hommes et enfants, en majorité juifs, ont été arrêtés lors des rafles de janvier 1943, avant la destruction des Vieux-Quartiers.
Ensemble, n’oublions jamais.@MIRALLESMP pic.twitter.com/C081lhUtTm— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) January 29, 2023
« Je l’ai attendu toute ma vie »
Et dans ce contexte, la présence pour la première fois d’un ministre de l’Intérieur à cette cérémonie, qui se résume habituellement à des dépôts de gerbes, est vécue comme une reconnaissance nationale.
« C’est à la demande personnelle du président de la République que les membres du gouvernement viennent ici réparer cette lacune et signent ici sa portée nationale », a expliqué Gérald Darmanin, accompagné de la secrétaire d’Etat chargée de la mémoire, Patricia Mirallès.
Il a reconnu au passage que les « rafles de Marseille et la destruction des vieux quartiers est bien trop peu relatée dans les livres d’histoire ».
« Ce moment, je l’ai attendu toute ma vie, pendant 80 ans. Il a fallu une plainte pour crime contre l’Humanité en 2019 par Me Pascal Luongo pour que ces drames ressurgissent de l’oubli », a expliqué Antoine Mignemi,
L’enquête, ouverte par un pôle spécialisé à Paris, est toujours en cours mais pourrait être classée faute d’auteur présumé vivant identifié, selon Me Luongo.
« Tout ce que vous avez vu ou lu n’est rien à côté de ce que nous avons vécu dans les camps de la mort », a expliqué Denise Toros-Marter, rescapée d’Auschwitz.
« L’important pour nous survivants de l’enfer des camps c’est de prévenir les jeunes de la tentation d’une orientation politique extrémiste », a conclu cette dame de 94 ans.
Le président français, Jacques Chirac, avait été le premier en 1995 à reconnaître la responsabilité de la France dans les rafles et les déportations. « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français », avait-il déclaré.