France : Une enquête ne confirme pas des discriminations envers des élèves juifs
Les éléments recueillis "ne permettent pas de conclure que les élèves du lycée Yabné auraient subi une quelconque discrimination à raison de leur religion supposée ou de leur établissement d’origine"

Les soupçons et accusations de discrimination au préjudice d’élèves d’un lycée juif parisien lors du bac 2024 n’ont pas été confirmés par l’enquête administrative lancée par la ministre Nicole Belloubet, a indiqué jeudi soir l’Éducation nationale.
Les éléments recueillis « ne permettent pas de conclure que les élèves du lycée Yabné auraient subi une quelconque discrimination à raison de leur religion supposée ou de leur établissement d’origine », indiquent les résultats de l’enquête, conclue en une journée.
« Si certaines élèves ont pu connaître des notes plus faibles à cette épreuve très spécifique du Grand oral qu’à celles d’autres épreuves écrites dans les mêmes matières, rien n’établit que ces notes attribuées par un jury souverain l’auraient été pour des raisons autres que la maîtrise ou l’absence de maîtrise de cet exercice par ces élèves », ajoute-t-il.
Les modalités d’examen ont été « conformes », fait valoir l’enquête.
Nicole Belloubet avait demandé l’ouverture d’une telle enquête, « à la suite de signalements concernant une quinzaine d’élèves du groupe scolaire » privé sous contrat Yabné à Paris, rappelle le ministère.
Sur « les deux jurys incriminés », pour le premier, « l’analyse des résultats des candidats notés par ce jury, en comparant les élèves issus de Yabné et les autres élèves, ne révèle aucune distorsion de notation ».
Et pour le deuxième, s’il « s’est montré globalement plus sévère, rien ne permet de retenir une discrimination réelle ou supposée à l’égard des élèves du lycée » Yabné, ajoute-t-elle.
De manière générale, « 173 candidats ont passé le grand oral en physique-chimie » dans le centre d’examen situé dans le 18e arrondissement de Paris et « la distribution des notes ne montre pas de distorsion majeure pour les élèves du lycée Yabné », selon les conclusions de l’enquête.
L’avocat Patrick Klugman avait affirmé sur le réseau social X que le lycée Yabné avait « constaté un biais de notation au préjudice de 15 de ses élèves qui ont passé l’oral de spécialité du bac devant deux jurys d’un même centre d’examen à Paris ».
« On parle de 9 points d’écart sur 20 en moyenne par rapport aux 123 autres candidats du lycée qui sont passés devant d’autres jurys. Cet écart qui n’est explicable ni statistiquement ni pédagogiquement fonde une suspicion de discrimination », avait-il poursuivi.
Il a réagi à l’enquête en regrettant que l’affaire n’ait été prise au sérieux que huit jours après le premier signalement, « jusqu’à ce que la crise devienne médiatique ». « Puis, c’est devenu un empressement pour le ministère », a relevé l’avocat. Aussi, selon lui, l’enquête, telle qu’elle a été menée, ne permet pas de justifier qu’il n’y ait pas eu de discrimination. « Nous regrettons que l’enquête ait été aussi rapide et définitive dans ses conclusions. Nous aimerions partager ces dernières en disant que toutes les vérifications ont été faites. Mais cela n’est pas possible, ni juridiquement, ni scientifiquement. » Il a ainsi appelé le ministère à « rassurer les familles le plus méticuleusement possible » et « à poursuivre cette enquête de manière ouverte, sereine et transparente », souhaitant que les jurys, les bacheliers et l’établissement d’origine soient entendus. « L’école a ses propres statistiques au sujet de ses 138 élèves qui passaient le bac. Cela peut donc être intéressant de les consulter », a-t-il argué. Il voudrait aussi que les lycéens et enseignants concernés soient entendus. « Plusieurs propos rapportés circulent. Une professeur de mathématiques aurait entendu ses confrères dire ‘ce sont encore des élèves de cette école’ en parlant des candidats de Yabné. Il faut éclaircir la situation », affirme-t-il.
Dans un communiqué, le lycée Yabné avait assuré qu’une de ses « enseignantes présente le jour des épreuves sur l’établissement d’examen avait fait part à la direction du lycée de discussion en salle des professeurs stigmatisant Yabné comme ‘école hors contrat' ». Le lycée « a également été alerté par des parents d’élèves d’une attitude particulièrement agressive du jury lors du passage de leur enfant ». L’établissement avait demandé « que les notes discriminatoires soient écartées pour ne pas porter préjudice aux élèves ».
Après l’enquête, Julien Dray, ancien député, a lui écrit sur X : « L’Éducation nationale se moque du monde. En 24 heures, elle nous dit ‘on a vérifié, tout est normal’. C’est une honte digne des grandes lâchetés administratives de ce pays… une longue histoire ! » Avant d’ajouter, dans un nouveau tweet : « Une enquête menée en 24 heures… et on me dit que je suis parano, complotiste, antiprofs, que je (ne) vois tout que par le prisme juif, etc. OK, mais il se trouve que je suis fils d’enseignant, que j’ai été prof moi même, etc. Donc désolé mais des jurys qui saquent j’en ai vu… »
D’autres se sont réjoui des conclusions de cette enquête, en particulier la communauté enseignante. Dans un communiqué de presse, le syndicat national des lycées et collèges (Snalc) a écrit : « Le Snalc a été horrifié de l’emballement médiatique qui s’est produit suite à une rumeur concernant l’épreuve du grand oral (…) Le Snalc rappelle que l’école est aujourd’hui le principal rempart contre l’antisémitisme, comme elle l’est contre toutes les formes de discrimination. » Le syndicat en a profité pour demander à nouveau la suppression de l’épreuve, issue de la réforme du bac. « Sans surprise, et comme le prévoyait le Snalc, l’enquête a lavé nos collègues de tout soupçon, et n’a fait que révéler ce que nous savions déjà, à savoir que le grand oral est une épreuve qui dysfonctionne, tant dans sa préparation que dans son évaluation. »
Contacté par l’AFP jeudi, avant la publication des résultats de l’enquête, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Yonathan Arfi avait dit être « de nature prudente » mais « il y a beaucoup d’émotion et des notes qui interpellent ».
Plusieurs élus avaient interpellé la ministre de l’Éducation pour obtenir des éclaircissements sur les faits et dénoncer, s’ils devaient être avérés, une situation « extrêmement grave ». « Je n’ose croire que des examinateurs de Paris 18 se soient livrés à une telle discrimination. Une enquête s’impose effectivement très vite », avait déclaré la députée Renaissance Caroline Yadan.
« Si les faits et l’antisémitisme sont avérés, c’est extrêmement grave. Si c’est une rumeur, il faut y mettre fin », avait écrit la sénatrice PS Laurence Rossignol sur X.
Aujourd’hui, Patrick Klugman et l’école Yabné espèrent que leur demande de poursuivre l’enquête sera entendue par le ministère. « On ne souhaite pas en arriver là mais, en dernier recours, nous devrons envisager de porter plainte. » « Sauf élément nouveau porté à notre connaissance, les investigations sont closes à ce stade », répond le ministère.