Gay et orthodoxe: Un livre aborde cette double identité, autrefois impensable en Israël
« Queer Judaism », l'ouvrage de l’universitaire Orit Avishai, étudie l'évolution, en l'espace de 20 ans, de la visibilité et de l’activisme des juifs religieux LGBTQ
Il y a quelques semaines, le journaliste israélien Yair Cherki de la Chaîne 12 annonçait sur les réseaux sociaux qu’il était gay.
La nouvelle a défrayé la chronique, non seulement du fait de la popularité de Cherki, mais aussi en raison de ses origines, à savoir une famille et une communauté religieuses conservatrices et nationalistes bien connues de Jérusalem.
« J’aime les garçons, et j’aime Dieu – et ce n’est pas contradictoire », a écrit Cherki dans son message sur Facebook.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« Je vis constamment ce conflit entre ma foi et mes préférences sexuelles. Certains l’évacuent en disant que Dieu n’existe pas, d’autres en assurant que c’est l’homosexualité qui n’existe pas. De mon point de vue, les deux existent. »
Par ce geste, impensable il y a encore 20 ans, Cherki a déclaré son intention de vivre ouvertement sa vie de gay religieux.
C’est sans doute à cette date l’Israélien orthodoxe le plus connu à avoir fait son coming out.
La révolution au cœur des Israéliens gays religieux est précisément le sujet que l’universitaire Orit Avishai documente et étudie dans son nouvel ouvrage, Queer Judaism: LGBT Activism and the Remaking of Jewish Orthodoxy in Israel.
S’appuyant sur des entretiens avec des dizaines de juifs et activistes gays israéliens, des événements LGBTQ orthodoxes et des blogs, Avishai retrace l’histoire de l’activisme gay dans le monde religieux d’Israël et la transformation rapide des attitudes et des revendications.
« Ce mouvement est très récent… il faut attendre le milieu des années 2000 pour que les organisations se fédèrent et celui des années 2010 pour que l’activité explose littéralement, avec des organisations dotées d’une grande visibilité, de réseaux et d’un vocabulaire bien à soi, avec l’appui de rabbins », expliquait-elle il y a peu au Times of Israel.
« Généralement, l’histoire et les mouvements sociaux – vous ne changent pas aussi rapidement. »
Née en Israël et devenue professeure de sociologie à l’Université Fordham de New York, Avishai décrit dans son ouvrage comment les personnes LGBTQ orthodoxes en Israël se sont battues pour être acceptées, finalement assez rapidement, au sein de leur communauté.
Certes, nombre d’homosexuels israéliens élevés dans la religion ont préféré quitter leur communauté au profit d’un mode de vie laïc et ils sont encore nombreux à le faire.
Mais désormais, assure Avishai, certains s’en tiennent fièrement aux deux facettes de leur identité sans y voir de contradiction.
« Ils sont passés des forums de discussion et des coulisses, de la crainte, du silence et de l’anonymat à la diffusion de récits, personnels ou collectifs, via des messages sur Facebook qui présentent fièrement leur visage, leur nom, leur histoire », écrit-elle.
Dans cet ouvrage – universitaire mais d’une lecture relativement accessible – Avishai s’entretient avec de nombreux Israéliens LGBTQ orthodoxes qui refusent de considérer qu’être gay implique d’abandonner leur communauté religieuse ou leur mode de vie.
Elle cite en particulier les propos d’une femme qui lui a confié : « Ma vie serait beaucoup plus facile si je cessais d’être orthodoxe, si j’étais prête à abandonner mon monde religieux. Mais je sens au plus profond de moi que je ne peux pas y renoncer. J’y crois vraiment, vraiment. J’appartiens au monde religieux, quoi qu’il arrive. Mais je sens aussi que je ne peux pas être avec des hommes. »
L’auteure dit à quel point il a été « crucial d’écouter les gens se confier sur ce qui fait leur vie quotidienne », ce qui lui a permis de comprendre « comment ils créaient cette nouvelle manière d’être orthodoxe, nouvelle variation sur le même thème ».
Elle se penche également sur les tracas et dilemmes spécifiques aux juifs homosexuels religieux qui naviguent entre deux mondes.
Les personnes LGBT orthodoxes précisent que leurs décisions concernant la fondation d’une famille tiennent compte non seulement de leur propre bien-être et de leurs désirs, mais aussi de ceux de leurs futurs enfants – « Seront-ils acceptés à l’école ? Pourrons-nous célébrer leur naissance dans une synagogue ? Pourront-ils faire leur bar-mitsva ? », écrit-elle.
« Avoir des enfants est d’une telle importance dans le judaïsme orthodoxe : se reproduire est une mitsva que l’on est supposé accomplir. Cette mitsva est si importante qu’elle a convaincu certaines autorités rabbiniques de soutenir les unions monogames entre personnes de même sexe.
Selon Avishai, si la communauté des Israéliens gays très religieux n’est pas importante numériquement, leur existence-même, leur mouvement et les changements qu’ils ont obtenus témoignent d’un réel changement d’attitude au sein des milieux orthodoxes.
« La façon dont la majorité répond à leurs revendications, à leur volonté d’être vus et entendus, acceptés, inclus en dit long sur le groupe dominant et son mode de pensée », explique-t-elle.
« Ces histoires particulières dessinent également l’histoire de leur communauté ou des communautés orthodoxes prêtes à débattre de ce que signifie être orthodoxe. »
Le travail de tout sociologue est d’étudier des groupes, des mouvements et des communautés, aussi Avishai prend-elle soin de noter dans le livre qu’elle n’est ni orthodoxe ni membre de la communauté LGBTQ.
« Il y a un vrai débat sur la question de savoir si l’on peut et doit étudier les communautés en dehors de la sienne », dit-elle.
« L’avantage d’être un outsider est de ne pas être impliqué de la même manière, que ce soit pour une cause, un peuple, une théorie. »
D’une certaine manière, on peut dire que l’ouvrage d’Avishai, Queer Judaism, est plutôt optimiste, en ce qu’il dessine une tendance positive à l’acceptation.
« Le destin de ces personnes LGBT orthodoxes a pu changer grâce aux actions qu’elles ont entreprises afin de ne pas vivre leur vie comme un problème constant », écrit-elle en conclusion, « elles ont reconsidéré leurs attentes et exigé que familles, amis, chefs religieux et congrégations reconnaissent leur existence et leur fassent une place auprès d’eux. »
La professeure admet toutefois avoir dépeint une réalité sous des couleurs parfois trop belles, car de nombreuses communautés orthodoxes restent résolument homophobes et le militant anti-LGBTQ d’extrême droite Avi Maoz s’est vu confier un poste gouvernemental il y a quelques mois à peine.
« Les mouvements sont dynamiques, ils dialoguent les uns avec les autres : le contrecoup est normal », assure-t-elle, tout en ajoutant « Mais si vous considérez la trajectoire d’ensemble, c’est celle d’une visibilité toujours plus grande…»
En ont-ils terminé avec leur lutte ? Non, et qui sait ce sur quoi la recomposition des forces en cours en Israël va déboucher. Mais cela fait partie de la question. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel