Gilles Darmon ou le parcours d’une vie dédiée à la lutte contre la pauvreté
Fondateur de l'ONG israélienne Latet, pour lutter contre la faim, Gilles Darmon a commencé comme simple oleh francophone
Il a importé en Israël le modèle des mouvements humanitaires européens des années 1970-1980 et mis à l’ordre du jour une notion jusqu’alors occultée par les problèmes de sécurité : l’insécurité alimentaire qui touche plus de deux millions d’Israéliens.
En montant en Israël, Gilles Darmon a poussé l’idéal sioniste au bout de sa logique, puisqu’il a concouru à faire d’Israël « une lumière pour les nations » en créant Latet qui signifie ‘donner’ en hébreu.
À travers des missions sur les principaux théâtres humanitaires du monde, cette ONG humanitaire indépendante a en effet mis l’État juif sur la scène des nations. Au-delà de l’action caritative, Gilles Darmon, âgé de 46 ans, vise avant tout à pousser l’État à prendre ses responsabilités vis-à-vis des citoyens israéliens. Portrait d’un homme dont toute l’action, autant sociale que professionnelle, est tournée vers Israël.
Une ONG représentant la société civile israélienne créée par un Oleh
Gilles Darmon, père de trois enfants, PDG d’une banque d’affaires et fondateur de l’ONG humanitaire israélienne Latet, a grandi et étudié en France, où il était déjà actif au sein de la communauté juive.
À travers des mouvements de jeunesse comme celui du Consistoire de Paris, Tikvaténou, ou l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), qu’il préside à Paris I, M. Darmon donne déjà le ton d’un engagement pour Israël et le peuple juif. Après un DESS à la Sorbonne, il travaille au siège de la Compagnie de Suez, puis décide de « réaliser un vieux rêve » : s’installer en Israël.
Sioniste dans l’âme, comme beaucoup de ses compatriotes français, Gilles Darmon a pour ambition en arrivant en Israël « de faire quelque chose pour ce pays ». Il participe ainsi immédiatement à l’action d’une ONG française, où il est « pour la première fois réellement exposé à ce qu’est le travail humanitaire, tel que le pratiquaient les mouvements humanitaires des années 1970-80 en Europe ».
Auprès de professionnels bien équipés et faisant preuve « d’excellence dans l’innovation » pour aider les individus en difficultés, il puise « les valeurs de la société civile, de la transparence, de l’indépendance vis-à-vis du politique, de l’initiative citoyenne et du financement privé ».
Ces notions sont alors « relativement nouvelles en Israël » et le jeune Oleh (nouvel immigrant) décide de créer une organisation humanitaire qui soit une initiative de la société civile israélienne et qui intervienne à la fois à l’étranger et en Israël.
« Tel était le projet de départ de Latet, qui a commencé en 1996 dans ma cuisine à Tel Aviv. Je ne connaissais pratiquement personne en Israël, je n’avais pas un rond et je parlais l’hébreu comme on peut le parler en sortant de la Kita Bet d’un Oulpan. Mais j’avais beaucoup d’énergie, un idéal absolu et la sensation que c’était quelque chose qui pouvait manquer dans ce pays », confie-t-il au Times of Israël.
Petit à petit, des entreprises et des particuliers israéliens relèvent le pari, puis des fondations philanthropiques locales se joignent au projet.
Latet, dirigé par M. Darmon, monte une banque alimentaire et étend ainsi son activité sur l’ensemble du pays.
« L’idée, en effet, était de monter un projet national, et non local, qui s’adresse à l’ensemble de la population israélienne, sans différences. Notre but : que ‘tout le monde aide tout le monde’, mais aussi être indépendant de l’État, et donc ne pas demander de financement ni du gouvernement ni de l’étranger », explique le fondateur d’une ONG aux principes de base alors uniques dans le paysage associatif israélien.
Aujourd’hui, Latet a un volume d’activité de plus de 85 millions de shekels et porte assistance à au moins 60 000 familles en Israël. L’organisation a aussi développé, avec l’aide de la Fondation pour la mémoire de la Shoah française, un programme s’adressant à plus de 1 200 rescapés de la Shoah.
Latet gère également un mouvement de jeunesse dans plus d’une quinzaine de villes de l’ensemble du pays. « Nous sommes pratiquement la seule organisation en Israël à, à la fois, agir sur le terrain et préparer les futures générations israéliennes à assumer leur rôle de solidarité citoyenne. Il faut former au plus tôt les futurs citoyens israéliens à prendre conscience de la responsabilité qu’ils ont vis-à-vis d’autrui et non pas attendre que quelqu’un d’autre fasse le travail à leur place », explique M. Darmon.
De Paris à Tel Aviv, en passant par le Rwanda ou le Kosovo
« Mon parcours au sein de cette histoire est un peu étonnant », reconnaît Gilles Darmon. Et d’expliquer : « Lorsque je suis arrivé en Israël, nous avons effectué plus de 25 missions d’urgence à l’étranger, que ce soit au Rwanda, au Kosovo, au Sri Lanka, à Haïti, en Inde, au Guatemala, en Birmanie, en Turquie, etc. Nous étions présents dans pratiquement l’ensemble des théâtres humanitaires importants des 20 dernières années. »
Le jeune Oleh met donc en place des missions israéliennes sur le terrain dans divers pays : « alors que je n’en avais jamais fait avant, il me fallait improviser : nous étions un peu le fer de lance de l’action humanitaire israélienne ». Chaque opération organisée par Latet a déclenché « une chaîne de solidarité incroyable en Israël ». Et de renchérir : « Plus cela allait, plus on était capable d’acheminer des quantités d’aide humanitaire sur le terrain et d’arriver parmi les toutes premières ONG dans le monde sur des théâtres humanitaires ».
Pendant les dix premières années d’existence de Latet, M. Darmon et son équipe estiment qu’ « intervenir à l’étranger permet de faire entrer Israël dans la communauté des nations et dans le modernisme ». Entré dans l’âge adulte, Israël était capable de faire profiter le domaine de l’humanitaire de son expérience dans la gestion des crises. « Partout où nous allions, nous étions accueillis à bras ouverts, dans un dialogue positif et passionnant avec les populations aidées », se félicite M. Darmon.
Deux ans après la création de l’ONG, il décide de reprendre une activité professionnelle partielle et devient président actif de Latet, dont il définit les stratégies et où il participe à la définition des actions importantes menées sur la scène publique.
Faire de l’insécurité alimentaire un sujet central du débat public
Pour Gilles Darmon, la raison d’être d’une organisation humanitaire diffère de celle des organismes de Tzedaka, certes déjà actifs dans le pays au moment de la création de Latet.
« Pour moi, la différence entre ces deux concepts réside dans le fait que l’organisme de Tzedaka subit une situation et cherche à l’atténuer, alors que l’idée sous-jacente à notre lutte n’est pas de distribuer 10 tonnes de nourriture par an comme nous le faisons aujourd’hui, mais de trouver une solution aux questions de pauvreté et d’insécurité alimentaire », soutient le fondateur de l’ONG.
Car Latet a « engagé un bras de fer avec le gouvernement pour qu’il reconnaisse sa responsabilité et prenne en charge de façon frontale les questions de la pauvreté ». Petit à petit, Latet et Gilles Darmon réussissent à « introduire deux mots dans le lexique israélien : les notions d’humanitaire et d’insécurité alimentaire. »

Dans cette optique, Latet publie un rapport alternatif sur la pauvreté, qui fait chaque année la une des journaux et offre « une photographie indépendante de la question de la pauvreté en Israël ». Le but : « alimenter le débat sur des réflexions, comme la TVA 0 sur les fruits et légumes, la mise en place d’une commission nationale de lutte contre la pauvreté et la création d’un index indépendant du Bitouah Léoumi (Assurance nationale) pour mesurer le phénomène de pauvreté en Israël ».
Pour Gilles Darmon, « l’État a l’obligation de prendre des engagements précis pour réduire la pauvreté sur les dix prochaines années ». En 2006, l’organisation a aussi déposé un recours à la Cour suprême sur les questions de l’insécurité alimentaire.
« Cette action a donné naissance à la commission Herzkovich, une étape importante dans la reconnaissance par l’État de sa responsabilité dans les questions de l’insécurité alimentaire. C’était la première fois que l’État admettait que ce n’est pas aux organisations caritatives ou humanitaires de résoudre le problème, mais bien à lui. Ce dernier reconnaissait être en défaut sur cette question et se devoir d’y répondre », affirme M. Darmon.
Peu à peu, les choses progressent et en 2013, le Bitouah Leoumi lance une étude nationale de grande ampleur sur l’insécurité alimentaire. Pour la première fois, l’État donne des chiffres officiels sur ce sujet en Israël : plus de 800 000 familles en Israël souffrent d’insécurité alimentaire. Les chiffres de Latet restent plus élevés et font aujourd’hui état de 2,1 millions de personnes n’ayant pas les ressources suffisantes pour « avoir une vie décente ». Cet écart est dû à une méthode de calcul différente, l’État se fondant sur le seuil de pauvreté (qui correspond à la moitié du revenu médian).
« À mon avis, quand la commission Elalouf s’est créée il y a deux ans pour proposer un plan anti-pauvreté, c’était entre autres le résultat d’une action engagée par Latet depuis plusieurs années », estime M. Darmon. Depuis, l’État a fait diverses promesses, s’élevant à près d’un demi-milliard de shekels, estime le fondateur de Latet, mais traduites sur le terrain par la mise à disposition d’environ 5 % de cette somme.
« Mais nous ne perdons pas espoir. Il y a eu entre temps la création d’un comité gouvernemental de lutte contre l’insécurité alimentaire, qui a récemment proposé un plan d’action à la Knesset. Il lui reste à faire voter les moyens associés à ce plan et l’obligation de l’implémenter dans un temps le plus réduit possible », conclut-il.
Faire profiter autrui de son expérience
En dehors de Latet, M. Darmon fait partie du conseil d’administration du CNEF, une organisation israélienne aidant les jeunes francophones pendant les premières années de leur alyah. « Je pense que c’est ma responsabilité d’Olé Hadash qui est déjà passé par là de faire en sorte de faciliter l’alyah à tous ces jeunes, qui arrivent et se trouvent souvent en terre inconnue et sans trop de soutien », explique-t-il.
L’action publique de M. Darmon ne s’arrête pas là. Il fait également partie du conseil d’administration de Negba. Cette organisation offre un cadre aux enfants nécessiteux, essentiellement dans le sud du pays, autour de maisons ouvertes après les cours. Dans ces « Batim Hamim » (maisons chaleureuses), les enfants reçoivent de l’aide aux devoirs, un accompagnement, un repas chaud et une prise en charge après l’école.
Le fondateur de Latet est également à l’origine de la création de PlaNet Finance Israel, une extension du mouvement PlaNet Finance lancé par Jacques Attali en France.
« Nous avons ouvert une antenne en Israël il y a quelques années. Dans ce cadre, Latet a mis en place un programme de microcrédit important, Latet Atid. Le but : aider des femmes qui sont sur le seuil de pauvreté, sur la base d’un accompagnement et d’un crédit financier, à monter leur propre société, afin de générer leurs propres revenus et être indépendantes financièrement, pour sortir du cycle de la pauvreté. En quatre ans, environ 450 femmes ont déjà reçu un prêt et si on compte celles qui ont reçu une assistance, on arrive à peu près à un millier de personnes », explique-t-il.
Jusque dans son parcours professionnel, M. Darmon applique les valeurs du sionisme.
« Je m’occupe des intérêts de la SNCF en Israël et d’une filiale d’EDF sur des sujets d’infrastructure. Là aussi c’est une forme de sionisme, puisque j’ai dans cet engagement professionnel la possibilité de continuer à construire le pays dans des domaines extrêmement importants, comme le transport et l’énergie. Ces sujets vont modeler le futur du pays, notamment avec le tramway de Tel Aviv ou les champs de gaz offshore qu’on a découverts », confie-t-il.
Aujourd’hui, M. Darmon est directeur général d’une banque d’affaires, Lavi Capital, qu’il a fondée avec l’ancien directeur général du ministère des Finances, Yaron Ariav. Là aussi, il intervient dans des dossiers liés aux infrastructures d’Israël.
Ce qui ne l’empêche pas d’être présent auprès de ses trois enfants. « Je suis très bien assisté. À Latet aujourd’hui, il y a à peu près 70 salariés et un directeur général. À Lavi, les projets sont portés par toute une équipe. Si je reviens à Latet, le mot équipe me fait penser au fait que le vrai succès de Latet c’est la mobilisation de la société israélienne. Tous les dix-huit mois, il y a environ un million d’Israéliens qui participent à nos opérations, par des donations ou du volontariat. Aujourd’hui, Latet est l’organisation la plus connue en Israël, d’après nos enquêtes d’opinion. Latet au fil des ans est devenue une megabrand : nous faisons partie des 200 marques israéliennes les plus connues, à côté de Coca Cola, Bamba, Tsahal, etc. », conclut M. Darmon.
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