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Grèce : Les Israéliens contre la mainmise des touristes dans leur nouvelle patrie

Alors que le tourisme représente 25 % du PIB grec, le Mouvement des serviettes lutte contre la hausse des prix et la surpopulation, et les expats sabra sont en première ligne

Les habitants de Paros se sentent privés de leur plage face à l'explosion de la privatisation des plages, et font souvent des pancartes comme celle photographiée ici, Paros, Grèce, août 2023. (Crédit : Romain Chauvet)
Les habitants de Paros se sentent privés de leur plage face à l'explosion de la privatisation des plages, et font souvent des pancartes comme celle photographiée ici, Paros, Grèce, août 2023. (Crédit : Romain Chauvet)

PAROS, Grèce – Ronit Nesher et son mari ont déménagé en Grèce il y a quelques années. Le couple avait choisi de s’installer sur l’île de Paros pour le calme qui y régnait et pour la décontraction du mode de vie. Mais tout cela a bien changé depuis.

« Dès le début de la saison, l’île est envahie par des chaises longues monstrueuses et des parasols immenses, avec de la musique à fond. C’est horrible. Toute la ville est envahie, c’est comme une occupation », s’exclame Nesher.

« Ils veulent transformer Paros en Ibiza ou Mykonos, mais nous nous y opposons. Ces entrepreneurs ne pensent qu’à l’argent, ils ne pensent ni à la nature ni aux gens », a-t-elle ajouté, précisant qu’elle a désormais renoncé à se rendre à la plage.

Cet été, Nesher a rejoint le Mouvement des serviettes, un groupe de résidents qui dénonce la mainmise du secteur privé sur les plages publiques de l’île. Ils affirment que certaines entreprises n’ont pas de licence et dénoncent celles qui en ont d’occuper de si grandes étendues de plage qu’il n’y a plus de place pour qui que ce soit d’autre sur la plage. De plus, compte tenu du prix exorbitant des chaises longues, qui peuvent aller jusqu’à 100 euros, certains se sentent lésés.

« Pourquoi devrais-je payer pour ce qui est censé être gratuit ? », s’interroge Kostas, un Parien venu constater les changements sur la plage de son enfance.

« Pour accéder à ce côté de la plage, il faut payer des dizaines d’euros. De l’autre côté, l’accès à la plage est gratuit, mais devinez pourquoi ? L’eau est remplie de rochers », s’indigne-t-il.

Ronit Nesher pose près de la plage d’Ampelas, sur l’île grecque de Paros, en août 2023. (Crédit : Romain Chauvet)

Le mouvement a organisé des manifestations par l’intermédiaire d’un groupe Facebook appelé Saving Paros Beaches [Sauver les plages de Paros], qui compte aujourd’hui plus de 12 000 membres, et a manifesté à plusieurs reprises devant les touristes en train de bronzer et qui ne comprennent pas toujours ce qu’il se passe.

« On se sent toujours mieux quand on manifeste pour une bonne cause, que ce soit ici en Grèce ou en Israël », indique Nesher, « Je pense que le moment est venu pour que la voix du peuple soit entendue partout. Nous sommes nos propres gouvernants, nous ne devons pas suivre quelque individu corrompu ou qui cherche à nous imposer sa volonté ».

Mais dans un pays où le tourisme représente près d’un quart du produit intérieur brut (PIB), de telles manifestations ne sont pas du goût du gouvernement conservateur du pays, réélu en juin dernier, et qui affirme ne pas avoir besoin de l’aide des manifestants pour réprimer les infractions commises en bord de mer.

« Nous n’épargnerons personne en matière de respect des lois sur les plages. Certains en doutaient », mais les mesures rapides et efficaces prises par le gouvernement leur ont donné tort, a noté Kostis Hatzidakis, ministre grec de l’Économie et des Finances, le mois dernier.

Des manifestants tiennent une pancarte en grec dénonçant l’inaction du gouvernement face au surtourisme à Paros, en Grèce, en août 2023. (Crédit : Romain Chauvet)

Des centaines d’inspections ont été effectuées sur un grand nombre d’îles grecques, au cours desquelles des irrégularités ont été constatées et apparemment résolues. Néanmoins, certaines plages auraient été réoccupées dès le départ des inspecteurs.

« L’accès aux plages a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », s’exclame Elias Petrakis, membre du Mouvement des serviettes, de Paros. Elias a également créé une carte des plages où se déroulent des activités présumées illégales.

« Tout ce que nous voyons aujourd’hui à Paros, ce sont les conséquences du tourisme de masse, et les autorités ne font rien », explique Petrakis. « Il y a une explosion de la construction, un manque d’infrastructures et maintenant nous sommes privés de nos plages. Ne détruisons pas notre paradis pour le profit, sinon nous perdrons tout. »

Elias Petrakis lors d’une manifestation contre l’inaction du gouvernement face au surtourisme à Paros, en Grèce, en 2023. (Crédit : Autorisation)

Gérer le tourisme de masse

Ronit Nesher (à droite) et Or Kaplan manifestent contre la privatisation des plages de Paros, en Grèce, en juillet 2023. (Crédit : Autorisation)

La Grèce reste une destination touristique très prisée. Le pays a accueilli près de 30 millions de visiteurs en 2022, et un nombre record de touristes est attendu cette année. Même si de nombreux Grecs vivent du tourisme – surtout depuis la crise de la dette qui a frappé le pays de 2009 à 2018 – la question du surtourisme préoccupe de plus en plus les citoyens.

« La priorité en Grèce doit changer ; le pays devrait se préoccuper davantage de la population locale et de la nature. C’est la raison pour laquelle je manifeste, pour soutenir les droits des citoyens, comme je le fais lorsque je rentre en Israël », confie Or Kaplan, un autre Israélien qui vit aujourd’hui à Paros. Il a lui aussi été témoin de l’impact du surtourisme sur l’île et s’est maintenant résigné à ne se rendre que dans des endroits encore inconnus des touristes, loin de la cohue et de l’agitation.

Depuis Paros, le mouvement contre la privatisation des plages et le tourisme de masse s’est rapidement propagé dans toute la Grèce, en particulier dans les îles. Les habitants se plaignent tous de la même chose : les locations à court terme, de type Airbnb, qui font exploser les prix des loyers pour les résidents, les ferries saturant certaines îles de visiteurs, la multiplication des constructions illégales qui menacent l’environnement.

Bien que les deux pays soient différents, Kaplan estime que la Grèce a peut-être des leçons à tirer de Tel Aviv, où des prix fixes ont été introduits pour les transats ainsi que pour certains articles de base.

« La municipalité de Tel Aviv a mis un peu d’ordre dans ses affaires. Ce n’est pas parfait, mais c’est un pas en avant, alors qu’ici il n’y a aucun contrôle, les autorités s’en fichent. C’est triste, nous sommes en train de perdre notre paradis », déplore Kaplan.

Comme le montre cette photo d’août 2023, pour avoir accès à certaines plages de Paros, en Grèce, il faut payer cher en raison de la privatisation des plages. (Crédit : Romain Chauvet)

Pour Iosif Botetzagias, professeur de politique environnementale à l’Université de la mer Égée, la Grèce est à un tournant.

« Beaucoup de gens ont vu leur île déserte pour la première fois de leur vie pendant le COVID et ils ont réalisé que ce n’était pas si mal. Depuis que je suis jeune, chaque année pendant la saison touristique, on nous dit de fermer les yeux et de ne pas poser trop de questions parce que c’est là que se trouve l’argent. Mais les choses ont changé », indique Botetzagias, originaire de Corfou, une autre île touristique. « Bien sûr, nous avons toujours besoin de cet argent, mais peut-être que trop c’est trop ».

La Grèce vient à peine de commencer à réglementer le tourisme sur le site de l’Acropole à Athènes, où des quotas de visiteurs quotidiens ont été fixés pour améliorer l’expérience des visiteurs, et pour protéger le monument le plus visité du pays. Certains habitants se félicitent de cette mesure, tout en soulignant qu’elle a été prise tardivement et que le tourisme de masse ne fait qu’exacerber le changement climatique. La Grèce a connu un été inquiétant, marqué par des incendies désastreux, une canicule record et des inondations historiques.

« Cette question sera certainement abordée lors de la campagne électorale [municipale] en octobre, mais il faudra beaucoup de temps pour tout changer. De nombreux entrepreneurs sont très puissants et ont le bras long », a déclaré Botetzagias.

Nesher, quant à lui, reste convaincu que « ce n’est que le début du mouvement. Le temps est venu de chercher le moyen de créer un avenir meilleur et durable pour Paros et se garder de suivre cette voie destructrice ».

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