Heinonen: L’AIEA doit inspecter, voire détruire les archives nucléaires d’Iran
Presque tous les documents secrets sont restés dans l'entrepôt de Téhéran, a noté l'ancien directeur-adjoint de l'Agence internationale de l'énergie atomique
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Un ancien directeur-adjoint de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a vivement recommandé à l’organisation, jeudi, de demander un droit de visite et d’inspection – voire de destruction – de ce qui reste des archives nucléaires secrètes détenues en Iran, qui ont été révélées par Israël l’année dernière.
Olli Heinonen, qui a joué un rôle déterminant au sein de l’Agence il y a presque deux décennies, a également dit que les scientifiques nucléaires, à Téhéran, étaient en mesure de produire aujourd’hui suffisamment de matière fissile pour une bombe atomique dans les six mois – même si le temps nécessaire pour fabriquer un tel dispositif reste encore indéterminé.
Selon Heinonen, ancien directeur-général-adjoint de l’AIEA, une grande partie des archives sur le nucléaires découvertes par des agents du Mossad l’année dernière est restée en Iran, et seulement un cinquième d’entre elles ont été ramenées en Israël.
Au mois d’avril 2018, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait révélé une opération au cours de laquelle des agents du Mossad ont fait sortir d’un entrepôt de Téhéran environ 100 000 documents sur 55 000 pages sur 183 CD, qui prouvaient que la République islamique avait travaillé d’arrache-pied sur la fabrication d’une arme nucléaire.
« Il y a encore 80 % qui est resté derrière », a-t-il dit durant une conférence d’une heure prononcée devant un think-tank israélien.
Heinonen, qui a rencontré Netanyahu jeudi dans la soirée, a eu accès à certains des documents obtenus par Israël et a indiqué que l’information, combinée à des rapports officiels de l’AIEA, signalait que le programme nucléaire iranien « était allé substantiellement plus loin que ce qui avait été établi par Téhéran et conclu par l’Agence dans sa dernière évaluation du mois de décembre 2015 ».
« Il y a eu un plan cohésif de fabrication d’armes nucléaires et quand et après que ce plan s’est arrêté, l’AIEA n’a pas reçu, comme l’Iran s’y était engagé, la pleine divulgation de son programme nucléaire passé, a dit le scientifique né en Finlande.

Le plan de Téhéran de produire des matières fissiles susceptibles de correspondre à des armements est incompatible avec le dessin pacifique présumé de son programme nucléaire, a estimé Heinonen, qui est aujourd’hui haut-conseiller sur les sciences et la non-prolifération à la Foundation for Defense of Democracies de Washington, qui s’était opposée à l’accord sur le nucléaire conclu entre l’Iran et six puissances mondiales.
L’AIEA « a été trompée encore en 2015 », a-t-il ajouté, disant qu’il y avait de « fortes indications » de violations des obligations imposées à l’Iran sous les termes du JCPOA (accord sur le nucléaire) ainsi que des autres conventions signées sur la non-prolifération.
Heinonen a appelé l’observatoire international sur le nucléaire à voir – et peut-être à détruire – le reste des archives, qui avaient été qualifiées par Netanyahu de preuve de ce que l’Iran prévoyait de reprendre son programme.
« Ce qu’il faut faire ? Avant tout, l’AIEA doit se rendre à ces endroits », a-t-il dit, en référence à l’entrepôt situé dans le quartier Turquzabad de Téhéran.
Tout comme elle l’avait fait en 2002 – lorsque l’existence d’une structure d’enrichissement d’uranium jusque-là tenue secrète avait été révélée – l’Agence devrait envoyer un courrier au gouvernement iranien demandant des explications et un droit d’accès.
« On peut aussi conseiller aujourd’hui de geler les documents qui restent », a-t-il dit de l’entrepôt sur le nucléaire. « De les placer sous scellé sous la direction de l’AIEA jusqu’à ce que les enquêtes soient terminées et que le dessein et la portée de ces documents aient été bien appréhendés ».
Et il faut peut-être « les détruire, les supprimer », a-t-il ajouté, soulignant qu’une telle initiative avait été prise dans plusieurs pays dans le passé.

Au début de l’année, les inspecteurs de l’AIEA auraient vu les archives sur le nucléaire de Téhéran à de multiples occasions, même si l’Agence n’a pas confirmé ces visites.
Alors qu’il lui était demandé si les Iraniens pouvaient admettre les inspecteurs internationaux dans l’entrepôt de Téhéran, Heinonen a dit que le régime en 2002 avait accordé l’accès au site de Natanz à l’AIEA, six mois après la révélation de l’existence de la structure d’enrichissement d’uranium.
« On devrait le demander aux Iraniens », a-t-il répondu. « Tentons de découvrir ce qu’il y a là… Il faut le faire de manière technique et avec l’esprit ouvert », a-t-il ajouté, soulignant que la requête ne devait pas être appréhendée comme un effort « d’exposer un méfait iranien mais seulement de dire les faits ».
Heinonen a également déclaré qu’il avait évoqué l’entrepôt nucléaire secret avec des responsables iraniens en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, l’année dernière.
« Ils ont dit que le dossier de DMP [dimension militaire possible] était clos et qu’il n’y avait aucun moyen de revenir en arrière », s’est-il rappelé.
Selon la clause 14 du JCPOA, l’Iran a été soumis à l’obligation de « prendre en charge les questions préoccupantes passées et présentes relatives à son programme nucléaire ».
Moins d’un an pour une bombe
S’adressant à des diplomates étrangers au Centre de Jérusalem pour les Affaires publiques – plutôt de droite – Heinonen a également clarifié les commentaires faits sur la capacité actuelle de l’Iran à fabriquer des armes nucléaires, qui a été mal rapportée cette semaine dans les médias israéliens.
La république islamique est « en mesure de produire des matériels fissiles suffisants pour un dispositif nucléaire en six à huit mois », a-t-il déclaré. « Ce qui n’est pas la même chose que fabriquer ce même dispositif ».

L’Iran possède aujourd’hui 15 000 centrifugeuses avancées, qui peuvent produire très rapidement de l’uranium en vue de fabriquer des armes, a-t-il noté.
« Comment peuvent-ils y arriver ? C’est très simple. Pas besoin d’être un scientifique de pointe », a-t-il affirmé. Le régime peut commencer à faire fonctionner quelques milliers de centrifugeuses puis « augmenter petit à petit la pression » sur la communauté internationale.
Mercredi, des médias israéliens avaient fait savoir sur la base d’un reportage diffusé à la radio militaire que Heinonen avait dit que – selon ses calculs personnels – l’Iran pouvait produire des armes nucléaires en six ou huit mois si le pays « investissait un maximum d’efforts ».
Pendant la conférence de jeudi, il a estimé qu’il était impossible d’évaluer le temps qu’il faudrait – à partir du moment où une quantité suffisante de matériels fissiles serait obtenue – pour fabriquer une arme nucléaire, tout en ajoutant que « cela ne devrait pas prendre plus d’un an ».
Pour avoir une réponse précise à cette question, il faudrait mettre en place une inspection des sites nucléaires au sein de la république islamique, a-t-il déclaré.
« Qu’est-il arrivé aux structures qu’il y avait à Parchin, qui avaient été mises sur pied pour fabriquer des armes nucléaires et des composants hautement explosifs ? », a-t-il interrogé. « Se trouvent-elles encore à Parchin ? Ont-elles été déplacées ailleurs ? », a-t-il poursuivi.
Les scientifiques nucléaires iraniens ont beaucoup de bon sens et « ils travaillent depuis deux décennies », a continué Heinonen. « Ils sont des ingénieurs de talent. Ils ont des ressources énormes. Ils sont allés dans les meilleures universités du monde. Et quand vous regardez les techniciens qui travaillent dans ces structures, ils sont très différents de ceux que j’ai vu travailler dans d’autres industries, comme la production de chars ou de voitures. Ce sont les meilleurs parmi les meilleurs ».

Le 15 mai, l’Iran a annoncé que le pays allait renforcer son programme d’enrichissement de l’uranium en réponse à la décision prise l’année dernière par les Etats-Unis de s’extraire de l’accord conclu sur le nucléaire en 2015 et d’imposer des sanctions lourdes au niveau économique sur l’Iran, les pays et les groupes faisant des affaires avec la république islamique. La semaine dernière, l’AIEA a expliqué que Téhéran restait dans les limites fixées par le JCPOA, même si ses tocks d’uranium faiblement enrichi et d’eau lourde avaient augmenté.
L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.