Iris Haïm, la mère d’un otage tué, apporte aux Juifs américains « une nouvelle voix d’espoir »
Lors d'un voyage dans toute l'Amérique du Nord, l'infirmière dont le fils, Yotam Haïm, a été accidentellement abattu par les soldats israéliens, a réclamé la fin des clivages en Israël - et laissé entendre qu'elle pourrait s'investir dans l'arène politique
Le 15 décembre 2023, dans le chaos des combats, alors qu’ils venaient d’échapper audacieusement à leurs ravisseurs du Hamas, Yotam Haïm et deux autres otages du groupe terroriste, Alon Shamriz et Samar Talalka, ont été abattus de manière tragique par les soldats alors que, tentant de se signaler, ils brandissaient un drapeau blanc. Ils étaient désarmés.
Ils avaient été kidnappés par les terroristes du Hamas au kibboutz Kfar Aza pendant le massacre du 7 octobre. En cette funeste matinée de Shabbat, les terroristes ont semé la désolation dans le sud d’Israël, tuant près de 1 200 personnes et enlevant 251 personnes, qui ont été prises en otage au sein de l’enclave côtière.
La mère de Yotam, Iris Haïm, a ultérieurement raconté dans un entretien accordé aux médias israéliens que le commandant du 17e Bataillon de la Brigade Bislamach, au sein de Tsahal, avait reconnu son fils et qu’il avait ordonné à ses troupes de ne pas ouvrir le feu – mais c’était déjà trop tard. Un soldat avait alors déjà fait usage de son arme dans la confusion qui régnait, sur le terrain.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Haïm, 58 ans, a ému la nation lorsqu’elle a transmis un message d’amour aux troupes, les exonérant de toute responsabilité dans le décès de son fils bien-aimé.
« Je suis la mère de Yotam », a-t-elle dit dans ce message enregistré. « J’avais envie de vous dire que je vous aime énormément et que, de là où je suis, loin de vous, je vous prends dans mes bras. Je sais très bien que tout ce qui est arrivé n’est absolument pas votre faute ; je sais très bien que ce qui est arrivé n’est la faute de personne sinon celle du Hamas – que son nom et son souvenir puissent être effacés et éradiqués de cette Terre. »
« Je veux que vous fassiez attention à vous et je veux que vous ayez conscience, à chaque instant, du fait que vous faites le meilleur… Personne ne va vous juger ou vous en vouloir. Ni moi, ni mon mari Raviv. Ni ma fille Noa. Ni Yotam, que sa mémoire soit bénie. Et pas Tuval, le frère de Yotam. Nous vous aimons tous énormément. Et c’est tout », avait dit la mère éplorée.
La résilience et la miséricorde dont Haïm a fait preuve dans son deuil personnel ont fait d’elle une icône nationale. Elle est régulièrement apparue dans les médias israéliens, elle a allumé une torche lors de la cérémonie officielle de Yom HaAtsmaout, la Journée de l’Indépendance de l’État juif, qui a eu lieu sur le mont Herzl à Jérusalem – et elle est récemment partie pour l’Amérique du Nord avec pour objectif de s’adresser aux communautés juives qui vivent là-bas.
Haïm a donné le coup d’envoi de cette tournée de conférences lors d’un événement de collecte de fonds organisé à Toronto, il y a trois semaines. Elle est ensuite allée à San Francisco, où elle a fait cinq conférences, et elle vient tout juste de terminer son voyage à l’occasion d’une dernière prise de parole à San Diego.
S’exprimant en hébreu, via Zoom, depuis un appartement loué dans la baie de San Francisco, avec son fils Tuval en arrière-plan (« je ne veux pas rester toute seule », explique-t-elle, la voix conservant en permanence le ton assuré qui est devenu sa marque de fabrique), Haïm, qui est infirmière dans une unité de soins palliatifs, a évoqué auprès du Times of Israel la thématique qui est au cœur de son intervention, la réconciliation. Elle aborde aussi, entre autres, une possible apparition dans la sphère politique.
Cet entretien à été révisé à des fins de concision et de clarté.
Times of Israel: Au lieu de devenir une incarnation de la colère, de l’abattement, vous êtes devenue le symbole du pardon. Comment cela s’est-il produit ?
Iris Haïm : C’est difficile à expliquer mais après ce qui est arrivé, la force de l’amour que je porte à Israël m’est apparue de manière très claire. Avant le 7 octobre, j’étais ancrée dans le camp qui était le mien ; je ne connaissais que des gens comme moi, des gens qui pensaient comme moi, qui parlaient comme moi, qui me ressemblaient. Je ne connaissais pas la majorité des Israéliens… Puis mon fils a été kidnappé et emmené à Gaza, et c’est tout Israël qui s’est mobilisé pour nous venir en aide.
Quelque chose s’est ouvert en moi. Tout à coup, j’ai réussi à percevoir l’humanité chez tous les individus, j’ai réussi à percevoir les bonnes intentions de tout le monde… Je n’en peux plus des généralisations telles que « les Juifs orthodoxes me prennent mon argent ; leurs séminaires religieux sont inutiles ». Avant, je parlais comme ça, mais ce n’est plus le cas dorénavant. Aujourd’hui, je réussis à percevoir les contributions apportées par tous.
J’ai donc dorénavant une perception des choses qui est très différente. D’accord, il y a d’autres voix qu’on entend dans les médias, mais elles ne racontent pas forcément l’histoire de ce qu’est réellement Israël. Nous savons ce que nous avons traversé le 7 octobre, nous nous en souvenons et nous n’oublierons pas – mais maintenant, nous cherchons à ouvrir une nouvelle voie… Plus de « nous contre eux », plus de droite contre gauche, plus de laïcs contre Haredim ; je porte une nouvelle voix d’espoir, d’unité et il y a une demande très forte de ce genre de message.
Je veux que le discours change au sein de l’État d’Israël. Bien sûr, nous pouvons nous disputer, mais il ne faut plus le faire comme nous l’avons fait jusqu’à présent. La politique est très militante ; nous avons de nombreux anciens généraux qui siègent au Parlement. Les Israéliens veulent autre chose, même si on ne parvient pas à le voir aujourd’hui, et un nombre très important d’Israéliens entrent en contact avec moi en me demandant que ce message d’unité soit promu devant le Parlement.
Après la mort accidentelle des trois otages, dont Yotam, les tensions en Israël ont bouillonné, avec des accusations dures qui ont été lancées à l’encontre de l’armée. Il semble que votre enregistrement resté célèbre soit parvenu à apaiser les choses.
L’épouse du commandant du Bataillon auquel les soldats impliqués appartenaient est entrée en contact avec moi, dans la matinée, et elle m’a expliqué combien la situation était mauvaise pour ces militaires. J’ai donc enregistré mon message sur WhatsApp et j’ai demandé à ce qu’il soit transmis aux soldats.
Dans la soirée, on m’a dit que les gens critiquaient les soldats et qu’ils étaient rabaissés dans les médias. Je me suis dit : « Impossible », et j’ai fait passer le fameux message aux médias. Après ça, tout le monde s’est tu. Après la semaine rituelle de deuil, j’ai parlé avec les journaux, les chaînes de télévision. J’étais là, dans les studios, et les invités des émissions, les journalistes militaires tentaient d’obtenir de moi une réaction furieuse. Je leur ai dit : « Je ne suis pas en colère et vous ne me persuaderez pas de la nécessité, pour moi, d’être en colère. »
Personnellement, je ne regarde pas la télévision. Je trouve ça très démoralisant. Je voudrais plus d’informations positives, plus de soutien apporté au gouvernement. Je voudrais qu’on ne se focalise pas seulement sur ce qui ne va pas. Cela nous affaiblit en tant qu’État et cette faiblesse, le Hamas l’exploite.
Est-ce que vous avez toujours été ainsi ?
C’est un processus. Je ne suis pas devenue soudainement celle que je suis aujourd’hui. Mon caractère est resté le même mais, le 7 octobre, quelque chose s’est déclenché en moi, quelque chose que j’ai envie d’appeler « l’esprit de responsabilité ». J’ai réalisé que je n’étais pas seulement la mère de Yotam. Je ne suis pas seulement Iris Haïm. Je suis une citoyenne de l’État d’Israël.
Ce n’était pas dans mes intentions de faire en sorte que le message que j’avais à transmettre se répande. Au début, j’ai simplement parlé de Yotam et mon message positif, optimiste – celui où je disais que nous pouvions affronter les choses tous ensemble – a réellement ému. Je n’ai pas parlé du 7 octobre comme d’une catastrophe qui marquait le point final pour nous, avec un massacre qui nous ôtait toute capacité à vivre dans ce pays. Je rejette une certaine idée de victimisation.
Pouvez-vous nous parler de cette tournée actuelle de conférences ?
Les Juifs, en Amérique, me demandent comment ils peuvent venir en aide à Israël. Je leur réponds que nous sommes tous les mêmes ; que ce n’est pas qu’Israël serait faible et que les Juifs des États-Unis seraient particulièrement puissants. Notre relation nous est mutuellement bénéfique. Nous, les Israéliens, faisons naître de la fierté au sein de ces communautés.
Ils me racontent qu’ils se heurtent à des sentiments antisémites qui leur rappellent des choses qui sont arrivées il y a 80 ans. Ils sont incrédules.
L’un des messages que je leur transmets, c’est celui d’immigrer aujourd’hui en Israël, de « retourner à la maison ». Ces gens se trouvent aux États-Unis non pas parce qu’ils n’aiment pas Israël – tout le monde aime Israël – mais parce que les États-Unis offrent une zone de confort qui est difficile à quitter. Ils y vivent mais, de cœur, ils sont en Israël.
D’où tirez-vous votre force ?
Je suis infirmière dans une unité de soins palliatifs. Je soigne et j’accompagne des malades en phase terminale et leur famille. La vie m’a amenée à mener une activité professionnelle qui nécessite beaucoup de sensibilité, mais qui nécessite également d’être déconnectée. J’ai appris, par le biais de mon travail, qu’il y a beaucoup de choses qui sont au-delà de ce que nous pouvons contrôler. Je ne m’effondre pas à chaque fois que l’un de mes patients meurt ; je sais pertinemment que nous ne choisissons ni le moment de notre naissance, ni le moment de notre mort. Et même si je ne suis pas quelqu’un de religieux, j’ai une grande foi. Je crois à un monde qui offre un plan à chacun d’entre nous, je crois à un monde organisé.
Vous avez dit que Yotam est mort en homme libre. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ?
À sa naissance, Yotam était atteint de plusieurs maladies physiques et une maladie mentale a également ultérieurement été diagnostiquée – ce qui a donné naissance à une relation, entre nous deux, qui était d’une très grande proximité, voire surprotectrice de ma part. Quelques mois avant le 7 octobre, Yotam m’avait demandé de le laisser se détacher un peu. Il m’avait dit : « Je suis fort. Tu ne vois pas suffisamment ce dont je suis capable. »
Le jour de l’attaque menée par le Hamas dans le sud d’Israël, je m’étais entretenue au téléphone avec lui alors qu’il s’était réfugié dans la pièce blindée, juste avant d’être emmené à Gaza. Il a été fort dans ces moments horribles, puis ensuite au cours des 60 jours qu’il a passés en captivité. Plus tard, on a trouvé une photo de lui alors qu’il était entre les mains de ses ravisseurs ; il semblait très maigre, mais ses yeux irradiaient de force intérieure. Avec d’autres informations que nous avons pu réunir, nous sommes parvenus à reconstituer l’image d’un individu qui s’est montré psychiquement fort, qui a été capable de s’adapter à une situation d’une grande dureté.
Après avoir appris sa mort, nous, sa famille, nous avons traversé une épreuve psychologique et spirituelle. Yotam s’est libéré en faisant des choses incroyables, il n’est pas mort en captivité. Sa mort a été un moment de triomphe, d’héroïsme. Il n’est pas « tombé », ce qui est un mot difficile à employer pour moi – il s’est « élevé ». Yotam a quitté ce monde en homme libre.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel