La communauté juive dans la tourmente politique et économique du Brésil
Le chômage, les problèmes économiques et la peur des violences expliquent en partie la rapide hausse de l’alyah brésilienne
SAO PAULO, Brésil – Ces trois dernières années, la culture habituellement légère du Brésil a été assombrie par une crise économique et politique qui a entraîné la plus longue récession de l’histoire du pays.
Pour tenter d’éradiquer le mal qui affecte le Brésil, l’opération Lavage de voiture a exposé une corruption aux plus hauts niveaux politiques du pays. Dirigée par Sergio Moro, Eliot Ness des temps modernes, l’opération est l’une des enquêtes les plus importantes du genre.
En plus de descendre dans les rues et d’utiliser les réseaux sociaux pour protester, la seule distraction de la population est de regarder ses politiciens se faire descendre dans les médias, mais pourtant, le citoyen moyen continue de subir la plupart des conséquences de la crise.
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Les Juifs brésiliens partagent le même sort que les autres dans le plus grand pays d’Amérique latine, qui est aussi le plus peuplé et le plus développé sur le plan économique. La plupart d’entre eux appartiennent à la classe moyenne, une classe économique qui s’appauvrit depuis le début de la récession, il y a deux ans.
La destitution l’année dernière de la présidente Dilma Rousseff et la récente condamnation à neuf ans et demi de prison de son prédécesseur, Luiz Inacio Lula da Silva, appelé Lula, ont jeté un froid sur le Brésil.
Lula était accusé de corruption et de blanchiment d’argent, et Rousseff était soit impliquée dans ces faits, soit n’a pas réussi à y mettre un terme. A présent, de graves accusations contre l’actuel président, Michel Temer, jettent de l’huile sur le feu.
Pour compléter ce triste scénario, des politiciens et des hommes d’affaires sont régulièrement arrêtés, et de grandes entreprises impliquées dans les scandales de corruption, comme Petrobras et Odebrecht, ont été démantelées.
La situation a été très pénible pour la communauté juive du pays, qui compte 110 000 personnes.
« Nous, les Juifs, avons connu notre part de souffrance dans l’histoire. Peut-être pourrions-nous aider le Brésil en utilisant cela », a dit Bruno Laskowsky, président de la Fédération juive de Sao Paulo.
Sao Paulo est la ville où vivent le plus de Juifs dans le pays. « Nous avons été très bien accueillis au Brésil, et nous devons notre loyauté à ce pays qui, j’en suis certain, surmontera ce défi tôt ou tard », a ajouté Laskowsky.
La lumière au bout du tunnel ?
Mais même si la communauté tente de se concentrer sur la lumière au bout du tunnel, elle doit maintenir un certain degré de résilience, et la classe moyenne voit son mode de vie s’effondrer sous ses yeux.
« J’avais une belle maison et une voiture, un travail régulier. Et maintenant, je suis retournée chez mes parents. Ma famille m’aide, heureusement », explique Rochelle Rosensweig, économiste diplômée d’un MBA en finances.
Rosensweig ne s’appuie désormais plus que sur une bourse pour laisser son fils de 12 ans à l’école juive de Sao Paulo. Vivant de consultations occasionnelles en freelance, elle envisage d’être chauffeur Uber pour avoir un deuxième emploi et garantir un revenu plus stable.
Malgré ses qualifications de professionnelle de la santé, la psychologue Denise Lew a elle aussi du mal à boucler les fins de mois en tant que fonctionnaire.
« Je ne peux même pas payer les frais d’inscription de mon fils. Au bureau, j’ai vu la demande baisser drastiquement ces dernières années à cause de la crise. Personne n’a d’argent », a-t-elle dit.
Lew est ruinée, comme beaucoup d’autres. Les taux d’intérêts brésiliens ont décollé, entraînant une hausse exponentielle de la dette. Rosensweig, comme Lew, bénéficient de l’aide d’Unibes, une association caritative juive.
Beaucoup d’entreprises ont fermé ou fait faillite ces dernières années. Les piétons déambulant dans les centres commerciaux de Sao Paulo voient de plus en plus de magasins vides. Le marché de l’immobilier est bloqué, et les véhicules se vendent avec de fortes remises.
Le retournement économique a également entraîné une baisse de l’adhésion aux centres et clubs communautaires juifs, comme Hebraica.
Les familles juives du Brésil ont cependant des problèmes plus importants, comme d’assurer une éducation de qualité à leurs enfants. Récemment, le nombre de défauts de paiements aux écoles privées, juives ou non, a augmenté.
« La plupart des écoles juives reçoivent des financements philanthropiques pour pouvoir rester ouvertes », a dit Laskowsky.
Les demandes faites aux associations caritatives comme Ten Yad et Unibes à Sao Paulo ont aussi augmenté. Les deux organisations aident les personnes pauvres de toutes origines, et sont officiellement reconnues comme un service public. La demande croissante des membres de la communauté juive est frappante.
« La demande pour nos repas et nos services augmentent d’environ 20 % par an, et nous avons aussi observé une baisse de l’âge moyen de nos bénéficiaires, ce qui signifie que des jeunes ont besoin d’aide », a expliqué le rabbin David Weitman, directeur de Ten Yad.
Située dans Bom Retiro, le vieux quartier juif de Sao Paulo, Ten Yad propose aussi un programme qui livre de la nourriture à ceux qui n’ont pas de moyen de transport.
« Nous sommes à la limite de notre capacité », a dit Weitman au Times of Israël.
Fondée il y a un siècle, Unibes gère des magasins d’occasion de vêtements ou de produits légèrement abîmés pour récolter de l’argent. Interrogée sur la situation actuelle au Brésil, la direction d’Unibes a préféré ne pas répondre.
La situation à Rio
La situation est encore plus dramatique à Rio de Janeiro. La ville connaît une crise dans la crise. En plus de ses favelas, débordantes depuis que la capitale du pays a été déplacée à Brasilia dans les années 1960, Rio est envahie par le trafic de drogues.
La ville est souvent appelée la « bande de Gaza » par les Cariocas, les habitants de Rio. Des tirs à balle réelle touchent la population sans discrimination presque tous les jours.
Dans les classements de la corruption, l’ancien gouverneur de Rio, Sergio Cabral, tenait la tête. Il est maintenant en prison. Ces faits ont même touché les investissements pour la Coupe du Monde de football de 2014 et les Jeux olympiques de 2016, et maintenant, la plupart des installations sportives de la région sont à l’abandon.
Les recettes touristiques se sont également fortement réduites. Soixante-neuf magasins ferment tous les jours. Même la fameuse parade du Carnaval de l’année prochaine est menacée par l’absence de financement. Sans argent pour payer les policiers et les enseignants, il est difficile d’envisager de financer les divertissements.
La violence a poussé les Juifs de Rio à choisir d’émigrer en Israël, a indiqué le consul d’Israël à Sao Paulo, Dori Goren.
« Rio n’a pas de consulat, donc beaucoup de Juifs cariocas intéressés par l’alyah viennent ici [à Sao Paulo]. Ils signalent la peur de la violence comme l’une des principales raisons de leur émigration », a dit Goren.
Voter avec ses pieds
Le consulat d’Israël à Sao Paulo fait un effort supplémentaire pour répondre à la hausse de la demande d’émigration en Israël.
« Cela nécessite de traduire de nombreux documents et de passer par des procédures bureaucratiques. Ce n’est pas facile », indique Goren, qui a connu une situation similaire en Argentine il y a 15 ans.
Selon l’Agence juive, le nombre d’immigrants brésiliens augmente. La hausse a été de 77 % en 2015 (496 arrivées) par rapport à 2014, qui avait déjà connu une hausse de 39 % (280 arrivées) sur l’année précédente (207 arrivées).
En 2016, 684 personnes sont arrivées en Israël, soit 40 % de plus qu’en 2015. Et en mai 2017, 346 Brésiliens, 29 % de plus que sur la même période en 2016, avaient déjà fait d’Israël leur nouveau pays.
« Israël aura toujours les bras ouverts pour les Juifs, encore plus maintenant, avec un taux de chômage bas et une économie florissante. Contrairement à la croyance populaire, le taux de violence est faible en Israël, avec seulement deux morts violentes par an pour 100 000 habitants », a dit Goren.
Le pays du futur
La crise brésilienne s’inscrit dans une mosaïque troublante créée par le néo-populisme en Amérique latine.
Hugo Chavez et son successeur Nicolas Maduro au Venezuela, Lula et Rousseff au Brésil, et Nestor Kirchner et son épouse Cristina en Argentine ne sont que quelques-uns des exemples d’une gestion particulière des pays de la région.
Au Brésil, les équipes économiques de Lula et Rousseff pariaient sur les ressources pétrolières inexploitées pour masquer leur corruption et leur mauvaise gestion. Malheureusement, ils ont perdu leur pari, entraînant l’effondrement du pays.
Un grand nombre de jeunes Juifs idéalistes du Brésil ont été charmés par la perspective d’un pays dirigé par un ancien syndicaliste comme Lula. Ils ont imaginé qu’il pourrait réduire les inégalités sociales sans tomber dans les pièges qui ont entravé la gauche autrefois. Mais la réalité a été bien différente de ce qu’ils avaient imaginé.
Après une brève période d’amélioration, qui a vu l’amélioration du pouvoir d’achat de millions de personnes, le système s’est effondré.
L’absence de durabilité, d’investissement dans les infrastructures, l’incapacité à réformer un système archaïque et une mauvaise gestion sont les principaux responsables de la crise. Et il y a eu aussi, bien sûr, le niveau sans précédent de corruption. Les politiciens ont recouru à la démagogie pour sauver la face.
« Le crépuscule d’une idole », a récemment commenté l’analyste Hélio Schwartsman dans un article publié dans l’un des journaux les plus traditionnalistes du pays, Folha de S. Paulo. Il décrivait le sentiment de ceux qui ont fait confiance au dirigeant syndical.
A présent, un Brésil divisé ne sait pas gouverner le pays demain. Quelques optimistes se raccrochent encore à l’expression de l’auteur juif Stefan Zweig, qui avait trouvé refuge du nazisme dans le pays : « Brésil, le pays du futur. » Ironiquement, l’écrivain et son épouse se sont suicidés avant que ce futur n’ait une chance d’arriver.
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