La difficile marche vers un traité contre la pollution plastique à Busan
Le texte à la base des négociations contient « tout et son contraire », selon David Azoulay, du Centre pour le droit international de l'environnement
Les négociateurs de quelque 175 pays se réunissent dans moins d’un mois à Busan, en Corée du Sud, pour adopter le premier traité mondial contre la pollution plastique, mais les positions restent si éloignées qu’un accord pourrait s’avérer impossible.
Les délégations se sont déjà rencontrées quatre fois, sous l’égide des Nations Unies, depuis le début en 2022 de ce processus censé se terminer fin 2024. D’après les observateurs, les progrès sur le fond ont été désespérément lents, et parfois même bloqués par des pays cherchant à rendre le traité final le moins contraignant possible.
Certains pays et le diplomate qui préside le processus se démènent depuis des mois pour éviter que les négociations de Busan ne débouchent sur un traité faible, voire sur pas de traité du tout.
L’ampleur du problème fait consensus : la pollution plastique a doublé en vingt ans et au rythme actuel, aura triplé d’ici 2060, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Pourtant, 90 % du plastique n’est pas recyclé. Une grande partie finit dans la nature ou enterré dans des décharges. Résultat : les microplastiques sont partout, dans les fosses océaniques les plus profondes, au sommet des plus hautes montagnes, et dans quasiment tous les organes du corps humain.
Les désaccords portent sur la manière de résoudre ce problème. Faut-il plafonner la production ? Comment financer une meilleure gestion des déchets ? Même la procédure à suivre pour adopter le traité — vote à la majorité ou consensus — fait l’objet de disputes.
« Tout et son contraire »
Les négociations démarrent sur la base d’un brouillon de 70 pages qui, de l’avis général, est complètement impossible à mettre en œuvre.
Il contient « tout et son contraire », avertit David Azoulay, directeur du programme de santé environnementale au Centre pour le droit international de l’environnement.
Même Luis Vayas Valdivieso, le diplomate équatorien qui préside les négociations, a admis « qu’il serait très, très difficile […] de commencer nos négociations à Busan avec un texte pareil ».
Ce brouillon chaotique reflète le désaccord fondamental sur l’objectif du traité.
Certains pays, en particulier les producteurs de pétrole comme l’Arabie saoudite, l’Iran et la Russie, insistent sur le fait qu’il devrait se concentrer sur les mesures dites « en aval », principalement la gestion des déchets. Ces mêmes pays souhaitent que les objectifs et la mise en œuvre soient fixés au niveau national.
D’autres veulent des règles limitant la production de nouveaux plastiques et les émissions qu’elle cause et soulignent l’échec de longue date de la gestion et du recyclage des déchets.
« Un vrai gâchis »
Ils militent également pour l’interdiction des produits chimiques considérés comme nocifs, et l’instauration d’objectifs contraignants et de mécanismes de contrôle et de sanction.
« C’est un vrai gâchis », déplore Graham Forbes, responsable du projet mondial sur le plastique au sein de Greenpeace USA. « Nous avons perdu beaucoup de temps ».
Les négociateurs n’auront qu’une semaine pour accoucher d’un traité viable. M. Vayas Valdivieso espère accélérer les choses en présentant son propre document de base. Mais ce texte n’a aucune base juridique, et il n’est pas certain que les négociateurs l’accepteront comme point de départ.
Les partisans d’un traité ambitieux craignent que, mis sous pression pour éviter un échec total à Busan, les délégués ne finissent, faute de mieux, par s’entendre sur un traité édulcoré et mou.
« Il y a une formidable dynamique politique pour aboutir à tout prix à quelque chose », explique M. Forbes. Mais « nous n’allons pas sacrifier notre ambition pour obtenir un résultat politique qui semblera facile à court terme », prévient-il.
Même au sein de la « Coalition des hautes ambitions », composée des pays favorables à un traité fort, il existe des divergences significatives sur le degré de rigueur et de spécificité du texte.
Et si certains acteurs majeurs de l’industrie soutiennent l’appel à limiter les « produits plastiques problématiques et évitables » et à réduire la production de plastique vierge, d’autres s’y opposent farouchement.
C’est le cas de l’American Chemistry Council, le lobby de l’industrie chimique américaine, qui a exhorté Washington à « éloigner la communauté mondiale » de tout plafond de production et de toute interdiction de matériaux.
Malgré tous ces désaccords, M. Vayas Valdivieso se veut optimiste. « Nous allons tenir nos promesses » à Busan, a-t-il récemment assuré.
Mais de nombreux observateurs jugent de plus en plus probable qu’un sixième cycle de négociations sera nécessaire, ou même que certains pays ambitieux quitteront le processus pour se lancer seuls dans l’élaboration de leur propre traité.
« Personne ne veut d’une négociation qui dure des années et des années, ou bien d’un résultat qui n’est pas adapté à l’objectif visé », explique M. Azoulay. « Toute la tension est là ».