La douleur des patients, victime involontaire de la fatigue des médecins – étude
La nuit, les malades ont 20% à 30% moins de chances d'obtenir une prescription d'anti-douleurs de la part d'un médecin que dans la journée, a indiqué une recherche
La fatigue des médecins nuit aux patients au sens physique du terme, selon une nouvelle recherche israélienne qui a établi que les médecins étaient moins susceptibles de prescrire des anti-douleurs pendant la nuit que pendant la journée.
Une équipe de recherche de l’Université hébraïque de Jérusalem et de l’hôpital Hadassah a analysé 13 482 lettres de décharge de patients qui se sont présentés entre 2013 et 2020 dans les salles des urgences en Israël et aux États-Unis.
Ces conclusions, publiées lundi dans la revue à comité de lecture Proceedings of the National Academy of Sciences, établissent que si les patients d’âge similaire et touchés par la même pathologie se rendent aux urgences pendant la nuit, ils ont 20% à 30% moins de chances de quitter le service avec une ordonnance d’anti-douleurs que ce n’est le cas pour les patients qui viennent pendant la journée.
Les chercheurs notent que ces conclusions soulignent que lorsque les médecins sont fatigués – et qu’ils subissent les autres conséquences des gardes de nuit, comme un stress accru – les soins accordés aux patients en pâtissent. Dans un grand nombre de cas examinés, les médecins contreviennent, par leur incapacité à prescrire des anti-douleurs, aux recommandations faites par l’Organisation mondiale de la Santé.
« Nous avons été surpris par ce qui a été découvert et aucune donnée n’avait été recueillie sur le sujet jusqu’à aujourd’hui », explique le docteur Alex Gileles-Hillel, l’un des auteurs de l’étude, au Times of Israel. « Les conclusions sont claires – si vous pouvez ainsi rentrer chez vous dans la journée avec une ordonnance d’anti-douleurs, il est bien moins probable que ce soit le cas si vous vous rendez aux urgences pendant la nuit ».
« Notre hypothèse est que l’empathie est moins forte pendant la nuit et que la perception de la douleur, chez les médecins, est altérée lorsqu’ils sont fatigués », suggère-t-il.
La docteure Anat Perry, autre membre de l’équipe de recherche, note que cette tendance reste significative même après avoir ajustement du niveau rapporté de douleur, du profil du médecin et du patient, du type de plainte émise par le malade et autres facteurs.
Perry déclare que « ce que nous retenons, c’est que les horaires de nuit sont une source d’influence importante dans la prise en charge de la douleur, une source qui n’était pas reconnue jusqu’à présent et qui émane d’une perception altérée de la souffrance. Même les experts médicaux, qui font tout leur possible pour offrir les meilleurs soins à leurs patients, sont susceptibles d’être influencés par les effets des gardes de nuit. »
En plus d’analyser les registres et les supports des hôpitaux, les chercheurs ont testé les médecins pour juger leur niveau d’empathie à des moments différents. Ils leur ont donné une série de tâches à accomplir qui ont été utilisées pour déterminer leur degré d’empathie à la fin d’une garde de 26 heures ou au début de leur journée de travail. Les médecins venant de terminer leur travail de nuit ont montré moins d’empathie pour la douleur. Par exemple, lorsqu’il a été demandé de juger le niveau de souffrance d’un patient sur la base d’une photographie, ils ont toujours sous-estimé sa souffrance par rapport au jugement rendu par les médecins travaillant de jour.
Gileles-Hillel a indiqué que la recherche devait entraîner tout un travail de lutte contre la fatigue des médecins et encourager l’usage de technologies venant en aide à ces derniers dans la prise de décision, et devait les amener aussi à prendre en compte les anti-douleurs en réponse à certaines plaintes.
Il a expliqué que la recherche soulignait également la nécessité de débattre plus largement de l’impact de la fatigue. « Cette étude parle des médecins, mais nous devrions aussi examiner l’effet de la fatigue sur les interactions dans tous les domaines de la vie – par exemple sur les interactions entre les parents et les enfants. La privation de sommeil est un phénomène généralisé dans notre société et c’est donc un sujet important », a-t-il conclu.