La France renonce à la livraison controversée de 6 bateaux à la Libye
"Si la cession a été un temps envisagée au bénéfice de la Libye, la ministre a finalement décidé de ne pas livrer les embarcations à cet Etat", écrit le ministère des Armées
La France a renoncé à la livraison controversée de six bateaux à la marine libyenne, sur fond d’implication militaire croissante de la Russie dans ce pays englué dans la guerre.
La ministre française des Armées Florence Parly avait annoncé le don de ces six embarcations rapides, des semi-rigides Sillinger de 12 mètres, lors d’une rencontre avec le Premier ministre libyen Fayez al-Sarraj en février.
« Si la cession a été un temps envisagée au bénéfice de la Libye, la ministre a finalement décidé de ne pas livrer les embarcations à cet Etat », écrit le ministère des Armées dans un mémoire du 26 novembre adressé à la Cour administrative d’appel, dont l’AFP a obtenu copie.
« La situation en Libye ne permet pas de réaliser ce don d’embarcations », a confirmé le ministère des Armées, sans plus de précisions.
Depuis la chute en 2011 du régime du dictateur Mouammar Kadhafi après une révolte, ce pays riche en pétrole est plongé dans le chaos avec des luttes de pouvoir et des milices armées qui font la loi.
Le 4 avril, les forces du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen, ont lancé une offensive pour s’emparer de la capitale Tripoli, siège du Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, reconnu par l’ONU.
« Etat de droit »
La livraison des embarcations devait commencer au printemps, pour aider la marine libyenne à « lutter contre l’immigration clandestine », selon le ministère français des Armées.
Elle était contestée devant la justice par huit ONG internationales, dont Amnesty et Médecins sans Frontières, qui dénoncent les violations des droit humains perpétrées sur les migrants en Libye, notamment par les garde-côtes.
Dans son mémoire où il juge la demande des ONG « mal fondée », le ministère des Armées assure que la cession des embarcations avait « pour seul objectif d’accompagner l’Etat libyen dans le processus de consolidation de l’Etat de droit et de reconstruction des capacités militaires de sa marine nationale ».
La France, très impliquée dans les efforts de paix inter-libyens, a tenté en vain une médiation entre les principaux acteurs du conflit depuis l’élection du président français Emmanuel Macron en 2017. Mais elle est aussi souvent critiquée pour son soutien supposé au maréchal Haftar, qu’elle dément formellement.
Emmanuel Macron lui a offert une légitimité internationale en le recevant à deux reprises, aux côtés de son rival Fayez al-Sarraj, en 2017 et 2018.
Pour Jalel Harchaoui, chercheur sur la Libye au centre de réflexion néerlandais Clingendael, plus que le revirement de la France, c’est sa décision initiale de livrer les embarcations aux autorités de Tripoli qui constituait une surprise.
« La France était au départ plutôt opposée à ce genre de gestes qui ont pour corollaire de renforcer, consolider le pouvoir politique de certains groupes » dans la capitale, dit-il à l’AFP.
« Mais en février il y avait cette idée que Haftar allait entrer à Tripoli sans faire la guerre, à travers des arrangements » politiques, souligne-t-il.
Mercenaires russes
Le maréchal a depuis lancé son offensive, sans réussir à s’emparer de la capitale. Les combats perdurent et les raids se multiplient sur la banlieue de Tripoli. Au moins cinq civils ont encore péri sous les bombes dans la nuit de dimanche à lundi.
Des puissances régionales sont accusées de mener une guerre par procuration. Les pro-Haftar bénéficient du soutien discret des Emirats arabes unis et de l’Egypte, et le GNA est soutenu par la Turquie
L’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar est aussi soupçonnée d’avoir reçu le renfort des mercenaires du groupe russe Wagner, réputé proche de Vladimir Poutine et dont la présence a été rapportée dans plusieurs pays d’Afrique.
« Des forces régulières (russes) et du groupe Wagner sont déployées en nombre important au sol en appui de l’ANL », a déclaré le secrétaire d’Etat adjoint américain pour les Affaires du Proche-Orient, David Schenker, le 26 novembre.
« Et la manière dont cette organisation, et les Russes en particulier, ont agi jusqu’ici laisse craindre des pertes civiles à grande échelle », s’est-il inquiété.
Le quotidien américain New York Times a fait état début novembre du déploiement de près de 200 mercenaires russes, ce que Moscou dément.
« La situation a beaucoup changé depuis début septembre. Les Russes ont vraiment fait basculer la dynamique », estime pour sa part Jalel Harchaoui.
Les combats ont fait plus de 1 000 morts et 120 000 déplacés depuis avril, selon l’ONU.