L’affaire Ronen Bar révèle un chaos croissant, avec des institutions soumises aux pressions de la coalition
La campagne menée par le gouvernement contre de multiples institutions et autres responsables - campagne qui vise à affaiblir les garde-fous et à concentrer le pouvoir - génère des dysfonctionnements internes

La décision qui a été prise lundi par le chef du Shin Bet de démissionner de son poste – cinq semaines après son licenciement par le cabinet – a apparemment épargné au pays un combat destructeur opposant le gouvernement à l’autorité judiciaire, au moins temporairement.
Les recours qui ont été déposés pour dénoncer le renvoi de Ronen Bar par la coalition seront probablement retirés de l’ordre du jour de la Haute Cour, même si les magistrats risquent de taper sur les doigts du gouvernement en se laissant aller à quelques paroles bien senties sur le caractère déterminant de l’indépendance professionnelle du responsable du Shin Bet – et de tous ceux qui sont amenés à exercer une fonction publique.
Mais si les marrons, comme le dit le proverbe, ont finalement été tirés du feu dans le dossier Ronen Bar, la bataille autour de son licenciement, de son bien-fondé et de sa légalité a mis en lumière un chaos institutionnel qui ne fait que s’aggraver sous les coups incessant d’un gouvernement déterminé à réorganiser et à asseoir sa mainmise sur de multiples institutions publiques de premier plan.
Un chaos qui s’est parfaitement illustré par la défenestration de Bar et par ce qui avait commencé à se passer dans le sillage de la présentation de deux déclarations sous serment – d’abord celle du chef du Shin Bet et ensuite celle de Netanyahu – devant les juges.
Les recours qui dénonçaient le limogeage de Bar devant la Haute Cour – un renvoi qui avait été voté à l’unanimité par le cabinet au mois de mars, sur la recommandation de Netanyahu – demandaient aux juges d’annuler le licenciement du chef du Shin Bet en raison de problèmes de procédure liés à la manière dont les choses s’étaient passées. Elles évoquaient également des inquiétudes de fond – les requérants exprimant la crainte que le dirigeant de l’agence ait été sacrifié sur l’autel des convenances personnelles et politiques du Premier ministre.
Avant que Bar n’épargne les magistrats en présentant lui-même sa démission, il semblait probable que la Cour allait tenter d’éviter de juger ces accusations explosives de fond, et qu’elle allait plutôt essayer de remédier aux problèmes de procédure en demandant au gouvernement de se rapprocher de la commission consultative des nominations de haut-rang, une instance placée sous la houlette du juge à la Cour suprême à la retraite Asher Grunis.

La procureure-générale Gali Baharav-Miara avait indiqué au gouvernement qu’il devait consulter les membres de cette commission avant de procéder au licenciement de Ronen Bar – mais son conseil avait été ignoré, ce qui semble être devenu une habitude pour la coalition au pouvoir au cours des deux dernières années.
La Haute Cour avait exprimé son mécontentement face au refus du gouvernement d’écouter la procureure-générale lors de l’audience qui était consacrée aux requêtes, le 8 avril, et elle avait fortement laissé entendre que les hauts-responsables devaient consulter la commission pour tenter de trouver un potentiel compromis.
Une consultation qui aurait toutefois été extrêmement difficile à mener à bien en raison des tentatives, de la part du gouvernement, de réformer une autre institution de l’État : la commission de la Fonction publique.
Le commissaire à la fonction publique, de par la loi, doit figurer parmi les quatre membres qui forment la commission consultative. Il n’y a néanmoins aucun commissaire à la fonction publique à l’heure actuelle – le gouvernement s’étant efforcé de modifier le mode de nomination à cette fonction, dans le cadre de sa bataille plus large qui vise à concentrer les pouvoirs entre ses seules mains.
Au mois d’août, l’année dernière, le gouvernement avait adopté une résolution au sein du cabinet qui permettait à Netanyahu de nommer directement le prochain commissaire de la Fonction publique – ce qui évitait de devoir faire appel à une commission de recherche. Une mesure qui facilitait la nomination d’un candidat qui, s’il devait être favorisé, pour une raison ou une autre, par le Premier ministre, pouvait ne pas être suffisamment qualifié pour assumer cette fonction.
La procureure-générale avait informé le gouvernement qu’un tel processus de nomination risquait de donner une dimension fortement politique au poste de commissaire – mais le gouvernement l’avait à nouveau ignorée et il avait approuvé cette résolution.
Cette décision avait été rapidement gelée par la Haute Cour alors qu’elle se prononçait sur les requêtes qui s’étaient opposées à ce changement. Avec pour conséquence que le poste de commissaire est resté vacant depuis que le précédent titulaire a pris sa retraite, au mois de décembre dernier.
Si un jugement qui aurait exigé que le gouvernement s’entretienne avec la commission consultative a semblé être le moyen privilégié par la Haute Cour dans sa prise en charge du dossier du licenciement de Bar – avant qu’il ne démissionne – il reste extrêmement difficile de dire comment la dite commission aurait pu être convoquée en raison de la lutte, lancée par le gouvernement, pour le poste de commissaire de la Fonction publique.

Une action sans précédent
Mais même si cette commission avait pu se réunir, la nature sans précédent du comportement du gouvernement à l’égard du chef du Shin Bet ne permet guère de déterminer comment le panel aurait été en mesure d’examiner la décision.
Une résolution du cabinet datant de 2018 stipule que la commission consultative doit être consultée – sa recommandation étant indispensable si le gouvernement souhaite licencier sept hauts-fonctionnaires particuliers, l’un d’entre eux étant le chef du Shin Bet. (Les six autres sont le chef d’état-major de Tsahal, le commissaire de la police israélienne, le chef du Mossad, le directeur de l’administration des prisons ainsi que le gouverneur et le gouverneur adjoint de la Banque d’Israël. Aucun d’entre eux n’avait jamais été renvoyé dans le passé). Mais ce processus est censé se dérouler avant que la décision de licenciement ne soit officiellement prise, et non a posteriori.
La décision prise en 2018 par le cabinet autorisait la commission à émettre une recommandation concernant la légitimité de l’intention du gouvernement de licencier l’un de ces responsables. En revanche, elle n’accordait pas à cette dernière les outils d’analyse nécessaires pour examiner la décision après qu’elle a été prise.
On ignore ce que Grunis aurait fait, dans cette situation, au regard de la façon douteuse dont Bar a été licencié et de la nature sans précédent du dossier.
L’indifférence suprême
La fureur et l’hostilité du gouvernement à l’égard des institutions de l’État sont également pertinentes lorsqu’il s’agit de comprendre la raison pour laquelle la Haute Cour a apparemment été désireuse de ne statuer que sur les problèmes de procédure liés au licenciement de Bar, et non sur la question de fond, à savoir s’il a été licencié pour des raisons politiques.
Dès le début du mandat du gouvernement, à la fin du mois de décembre 2022, ce dernier aura pris toutes les initiatives possibles pour limiter l’autorité des tribunaux et pour limiter les capacités de contrôle de la Cour suprême sur les branches exécutive et législative.
Le 4 janvier 2023, le ministre de la Justice, Yariv Levin, avait dévoilé un projet de loi qui aurait paralysé le contrôle exercé par les juges de la Cour suprême sur les lois adoptées par la Knesset, limitant également sa capacité à examiner les décisions du gouvernement. Il aurait aussi considérablement accru le pouvoir du gouvernement sur les nominations judiciaires et, par conséquent, sur les autorités judiciaires elles-mêmes.

L’enveloppe de projets de loi avait suscité une vaste controverse nationale. Il avait été en grande partie gelé à la suite du pogrom commis par le Hamas, le 7 octobre 2023. Une partie de ce projet – il s’agit d’une législation légèrement édulcorée comparativement à sa dernière version, mais qui accroît néanmoins considérablement l’influence politique sur les nominations judiciaires – a été promulguée le mois dernier.
Dans le même temps, le gouvernement a critiqué la Haute Cour pour toutes les décisions prises à son encontre, arguant que les juges ont ostensiblement agi « contre la volonté du peuple ». Les ministres du cabinet et la coalition ont proféré de nombreuses menaces visant à neutraliser la Cour.
La question du licenciement de Bar est devenue particulièrement délicate en raison du positionnement adopté par le gouvernement qui estime que dans la mesure où la loi lui accorde le pouvoir d’embaucher et de licencier le chef du Shin Bet, la Haute Cour n’a pas le droit d’intervenir.
Plusieurs ministres ont menacé d’ignorer ou de contourner une éventuelle décision de justice qui aurait déclaré que le licenciement de Bar était illégal – notamment le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui a déjà pris des mesures dans ce sens en boycottant Bar.
Il a ainsi défié l’ordre donné par la Haute Cour qui avait sommé le gouvernement de ne pas changer ses relations de travail avec le chef du Shin Bet tant que l’affaire de son licenciement serait encore devant le tribunal.
Un tel défi peut d’ores et déjà être considéré comme une crise constitutionnelle de bas niveau – avec une branche du gouvernement qui se refuse à écouter l’autre. Une situation qui, si elle devait ensuite passer à grande échelle, plongerait le pays dans l’anarchie juridique.
Les médias israéliens ont rapporté, dans la soirée de dimanche, que Netanyahu avait déclaré à ses ministres que si le tribunal annulait la décision de licencier Bar, le cabinet délibérerait pour déterminer s’il devait se plier ou non à l’ordre du tribunal.
Une telle menace a amené Israël à vivre une situation où un gouvernement a été apparemment prêt à envisager de ne pas respecter le fondement même de l’État de droit : les décisions de justice.

Même si ces informations étaient basées sur des fuites qui n’avaient comme unique objectif que de « simplement » intimider le tribunal, elles en disent aussi beaucoup, de manière plus large, concernant l’attitude du gouvernement et sa relation avec les institutions fondatrices de l’État israélien, sans parler de l’effet de glissement de la rhétorique qui se transforme en autant de pressions exercées sur ces dernières.
Il n’est guère surprenant que, dans une telle situation, la Cour ait été encline à espérer que la commission consultative pourrait trouver un moyen d’approuver le licenciement de Bar, plutôt que de risquer la possibilité d’une crise constitutionnelle à part entière.
Tout, partout et en même temps
Dès sa création, le gouvernement actuel a cherché à se débarrasser des entraves que les institutions démocratiques et les fonctionnaires de l’État, aux postes les plus importants, imposent au pouvoir exécutif, et à exercer un plus grand contrôle sur eux – qu’il s’agisse de la Cour suprême, de la procureure-général ou de la police.
La décision qui a été prise de licencier Bar au moment même où le Shin Bet enquête sur plusieurs proches collaborateurs de Netanyahu semble, de plus, témoigner d’une volonté d’exercer une plus grande influence sur l’agence de sécurité intérieure, une institution qui joue également un rôle déterminant dans la mise en œuvre de l’État de droit.
Dans le même temps, le gouvernement a cherché à accroître son contrôle sur les institutions qui sont des symboles de pouvoir et d’autorité – telles que la fonction publique, le radiodiffuseur public, le médiateur pour les juges et d’autres.
Comme l’a montré l’imbroglio autour du licenciement de Bar, lorsque tant d’institutions sont ainsi prises pour cible, les mécanismes internes de l’État peuvent commencer à vaciller, car les conséquences d’une tentative de réforme d’une agence, tout en rejetant l’autorité d’une autre, vont nécessairement avoir des répercussions sur une troisième.
La refonte de ces institutions est sans aucun doute l’objectif principal qui est poursuivi par le gouvernement actuel – et il a clairement indiqué qu’il avait l’intention de continuer à avancer, quoi qu’il arrive.
« Il y a une chose que nous devons faire : c’est de poursuivre notre campagne, notre lutte en faveur du changement du système juridique, mais aussi du système judiciaire, ce qui entraînera un changement profond dans tous les systèmes de l’État », a déclaré cette semaine le ministre de la Justice, Levin. « Il faudra du temps pour démanteler tout ce qui a été construit ici au fil des décennies ».
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