Le 9 août 1982, l’attentat de la rue des Rosiers
Au total, cette attaque qui aura duré trois minutes fait six morts et 22 blessés ; les avocats des victimes déplorent d' "inacceptables obstacles politiques"
Il y a 40 ans, le 9 août 1982, un commando attaquait le restaurant casher « Jo Goldenberg », en plein quartier juif de Paris, rue des Rosiers, faisant six morts et vingt-deux blessés.
Il est 13H15 ce 9 août. Une cinquantaine de personnes sont présentes dans le restaurant, situé dans une petite rue très passante du vieux quartier juif de Paris, dans le IVe arrondissement.
Un commando de trois à cinq hommes arrive rue des Rosiers, en deux groupes.
Le premier groupe jette une grenade en direction du restaurant. Le second pénètre dans l’établissement et ouvre le feu avec des pistolets-mitrailleurs « WZ-63 » de fabrication polonaise.
Quelques instants plus tard, les assaillants remontent en courant la rue des Rosiers. Ils tirent sur des passants affolés, qui cherchent désespérément un refuge et courent en tous sens en hurlant. Des corps ensanglantés gisent sur les trottoirs et la chaussée.
Au total, cette attaque qui aura duré trois minutes fait six morts et 22 blessés.
En France, où l’on a encore en mémoire l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic (4 morts le 3 octobre 1980), le choc est immense.
Le président François Mitterrand interrompt ses vacances dans le Sud-Ouest et assiste le soir même du drame à un office organisé dans la synagogue de la rue Pavée, toute proche de la rue des Rosiers. Il sera conspué par une centaine de manifestants.
Le restaurant baptisé du nom de son propriétaire, Jo Goldenberg, lieu emblématique de la vie communautaire juive parisienne, devient un symbole du terrorisme antisémite international.
Le Fatah-Conseil révolutionnaire (Fatah-CR) d’Abou Nidal, un groupe terroriste palestinien dissident de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), est très vite soupçonné. Mais pendant des années, l’enquête ne connaît pas d’avancée notable.
Abou Nidal, de son vrai nom Sabri al-Banna, meurt à Bagdad en 2002, à 65 ans. Un suicide selon les autorités irakiennes, « assassiné » par les services secrets irakiens, selon son groupe.
En 2015, des mandats d’arrêt internationaux sont délivrés contre quatre hommes soupçonnés de responsabilités dans l’attentat et vivant en Cisjordanie, en Jordanie et en Norvège.
La justice jordanienne refuse à plusieurs reprises d’extrader ses deux ressortissants concernés, d’origine palestinienne.
Le seul suspect à ce jour aux mains de la justice française est un Palestinien naturalisé Norvégien de 63 ans, Abou Zayed, soupçonné d’avoir été l’un des tireurs et extradé le 4 décembre 2020 par la Norvège.
Aîné de huit enfants, Abou Zayed est né en 1958 en Cisjordanie, près de Jenine, de parents paysans. Il travaille dans le bâtiment, adhère au Fatah en 1981 et part dans un camp d’entraînement en Syrie, selon son récit résumé dans des éléments de l’enquête consultés par l’AFP. De 1982 à 1983, il dit avoir séjourné au Liban. Quant au Fatah-CR, il soutient ne rien en savoir. Il se marie en 1985, a deux enfants. En 1991, il émigre avec de faux papiers en Norvège, qu’il ne quitte plus.
Trois témoignages « concordants »
« La commémoration de cet attentat ne doit pas faire oublier qu’il y a dans cette affaire un homme détenu qui clame son innocence. Répondre au terrorisme, c’est y opposer l’Etat de droit, pas l’Etat qui venge, ni celui qui cherche un coupable à tout prix », ont estimé ses avocats, Mes Bruno Gendrin et Romain Ruiz.
Selon Me Ruiz, Abou Zayed a appris le maniement des armes comme « tous les Palestiniens militants » et n’a jamais mis les pieds en France. Mais depuis le début des années 2010, les juges d’instruction français le soupçonnent d’avoir fait partie du commando.
Ils soulignent notamment des omissions, imprécisions et contradictions sur son parcours au début des années 1980 lors de ses différents interrogatoires.
Les magistrats s’appuient également sur des notes du renseignement et sur trois témoins, se présentant comme des anciens membres du groupe Abou Nidal, entendus par les enquêteurs entre 2011 et 2015.
Deux évoquent Abou Zayed comme membre du commando; l’un d’eux, sous le couvert de l’anonymat, le décrit comme un « exécutant très important de 1977 à 1984 » de l’organisation, tombée en désuétude après la mort de son chef à Bagdad en 2002.
Pour la chambre de l’instruction, qui a validé sa mise en examen, l’ancienneté des faits « ne suffit pas » à discréditer leurs témoignages, par ailleurs « concordants ».
Les juges pensent également avoir identifié trois autres suspects, deux localisés en Jordanie, dont le cerveau présumé de l’attentat, et un troisième en Cisjordanie, mais la Jordanie a refusé à plusieurs reprises l’extradition de ses ressortissants.
Les chances pour qu’ils soient un jour remis à la France sont « très minces », reconnaît Me Avi Bitton, avocat de parties civiles qui « attendent désespérément » la tenue d’un procès.
« Depuis 40 ans, la justice française ne baisse pas les bras mais elle se heurte à d’inacceptables obstacles politiques », déplorent Mes Pauline Manesse et Gérard Chemla, avocats d’une famille et de la Fédération nationale des attentats et des victimes d’accidents collectifs.
A la veille d’une cérémonie de commémoration de l’attentat, ils appellent à des « actions concrètes de la part des acteurs politiques français mais aussi internationaux » pour faire exécuter ces mandats d’arrêt.
« Le président de la République a redit le 17 juillet à Pithiviers sa détermination à lutter contre l’antisémitisme. Le procès des assassins de la rue des Rosiers en fait partie », estiment dans le JDD Mes Ariel Goldmann, Alain Jakubowicz, David Père et Francis Szpiner, autres avocats de parties civiles.
Ils jugent « également indispensable que les victimes de cet attentat puissent être reconnues dans leur statut de victimes d’acte de terrorisme ».